14 Janvier 2015
Femmes algéroise au 19ème siècle
Plus qu'aucune autre nation européenne, la France a cultivé au cours des siècles une fascination pour l'Orient et la civilisation islamique.
Cette fascination a culminé au Siècle des Lumières et à l'époque romantique. Elle s'est alors traduite par des œuvres poétiques, picturales et littéraires de valeur intemporelle, réunies dès 1826 sous le nom d'orientalisme.
Mais elle n'a pas résisté aux idéologies nauséeuses de la fin du XIXe siècle et du XXe : colonialisme, racisme, totalitarismes.
En ce XXIe siècle, les idéologies islamo-terroristes ont détruit la fascination que possédait l'Orient quand ses communautés y vivaient dans une relative harmonie et une paix approximative.
C'est à l'époque romantique que « l'Orient est devenu une préoccupation générale ». C'est le jeune Victor Hugo qui l'affirme.
L'auteur des « Djinns » s'est contenté de rédiger Les Orientales (1829) dans son salon parisien.
Mais d'autres ont préféré faire leurs bagages, à commencer par son modèle François-René de Chateaubriand.
Celui-ci a fait le tour de la Méditerranée orientale, de la Grèce à la Tunisie, de juillet 1806 à juin 1807, et publié le récit de son voyage en 1811 : Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811).
Le voyage « pittoresque » en Orient devient dans les décennies suivantes une étape incontournable, facilité par le développement des moyens de transport.
Revêtus du costume local, armés de leurs boîtes d'aquarelles, de leur tout nouvel appareil photo ou de leurs calepins, nos curieux partent à la recherche d'une nouvelle inspiration.
La génération romantique, en effet, se sent mal à l'aise dans ce siècle qui ne répond pas à sa soif d'absolu.
Il faut, comme lord Byron, partir pour vivre enfin intensément ! Et puisque la Grèce et ses antiquités ne sont plus à la mode, allons de l'autre côté de la Méditerranée découvrir d'autres horizons, d'autres aventures...
On peut ainsi croiser Alphonse de Lamartine à Beyrouth (1832-1833), Gérard de Nerval au Caire (1843), Théophile Gautier à Constantinople (1853) ou encore Gustave Flaubert et son ami Maxime du Camp à Jérusalem (1849-1850).
À leur retour, outre de nombreux récits de voyages, quelques œuvres détonantes viennent mettre un peu de piment en littérature.
Citons, entre autres, le Salammbô(1862) de Flaubert sur la Carthage antique et les romans plus tardifs du lieutenant de vaisseau Pierre Loti, qui parvint à faire pleurer toute une génération sur le sort de la belle turque Aziyadé (1879).
Mais c'est surtout dans le domaine de l'art que l'Orient devient incontournable. Comme Eugène Delacroix admirant le tableau d'Antoine-Jean Gros consacré aux Pestiférés de Jaffa (1804), les peintres tombent sous le charme de ces grandes toiles d'Histoire représentant paysages et personnages d'Égypte ou d'Algérie.
Ils y trouvent non seulement de nouveaux thèmes mais aussi des lumières que le ciel français ne connaît pas.
Pour les plus courageux qui se sont rendus sur place, tel Delacroix, Chassériau ou Fromentin, la technique de l'aquarelle héritée des Anglais permet de saisir sur le vif luminosité et teintes. La palette se remplit de couleurs chaudes et vives, les contrastes sont accentués pour mieux attirer l'oeil : chez Delacroix par exemple, au blanc des costumes répondent les tons rouges ou bruns des paysages.
Mais il est toujours facile de faire la différence entre les œuvres pleines de vie du peintre des Femmes d'Alger (1834) et celles de Jean-Dominique Ingres, auteur néo-classique du Bain turc (1862), car chaque artiste conserve sa sensibilité et sa technique personnelle.
L'orientalisme n'est en effet pas un mouvement pictural à proprement parler, mais un sous-genre. Ainsi, un tableau orientaliste se reconnaît au premier coup d'œil non pas à cause du style du tableau, mais grâce aux thèmes qui y sont traités.
Finies les scènes d'inspiration mythologique ou historique d'un Jacques-Louis David : on ne veut plus voir de personnages en toge dans de faux temples grecs ! Le public souhaite découvrir sur les toiles les pays où il ne pourra jamais aller. On demande aux artistes des scènes de rues, des portraits d'après nature, des paysages ressemblants.
La conquête de l'Algérie offre aux artistes une source d'inspiration privilégiée en leur ouvrant les portes d'une société foncièrement différente de la leur.
Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, Théodore Chassériau ou encore Horace Vernet, peintre de la guerre d'Algérie, expriment à travers leurs œuvres l'attirance et le respect que leur inspirent la société algérienne.
Ces grands artistes se plaisent à la représenter sous des aspects chevaleresques et nobles, comme ci-contre dans La Chasse au faucon(1862), par Eugène Fromentin. On y discerne de la nostalgie pour un Âge d'Or en voie de disparition.
Les officiers de Louis-Philippe comme de Napoléon III, souvent de souche noble et respectueux du catholicisme, apprécient tout autant la société aristocratique algérienne. Ils communient volontiers avec les nobles locaux dans l'amour de la chasse et des chevaux. Ils partagent également avec eux les mêmes valeurs familiales.
Odalisque, sultane ou esclave, la femme est incontournable dans l'univers des orientalistes.
Courtisane voluptueuse, alanguie au milieu d'un riche décor, cette nouvelle Salomé est vue comme un objet de désir permettant aux artistes de montrer toute leur habilité dans la peinture des corps et des drapés. Inspiré par le mystère entourant le harem ottoman, mystère que les voyageurs de toutes les époques se sont empressés de nourrir, ce fantasme de femme à la fois fatale et soumise a beaucoup fait pour le succès de ce genre de peinture.
Mais il ne faut pas réduire les orientalistes à des producteurs d'images subversives ; nombre d'entre eux ont en effet cherché à montrer la femme orientale dans toute sa diversité, musulmane ou chrétienne, petite paysanne ou marchande des rues.
L'arrivée du naturalisme, qui secoue le monde de l'Art à partir des années 1880, n'est pas sans conséquence sur l'orientalisme qui commence à livrer des paysages moins typés mais plus proches de la réalité.
À la manière d'un Gustave Guillaumet s'attachant à rendre sans fard la rudesse du désert algérien, les artistes s'éloignent peu à peu du clinquant de la période précédente. Puis ce sont les impressionnistes qui se détournent de ce genre : comme Auguste Renoir, qui n'a été qu'un temps inspiré par un voyage en Algérie, ils lui préfèrent la vie bourgeoise.
C'est que l'Europe change au tournant des années 1870. En Angleterre, le Premier ministre Benjamin Disraeli exalte la vocation impériale des Britanniques. En France, la République, conduite par Jules Ferry, se propose de "civiliser les races inférieurs". Pas plus que leurs concitoyens, les artistes et les écrivains ne manifestent guère d'empathie ni de curiosité pour les autres cultures.
L'exotisme n'est plus à la mode même s'il survit encore quelque temps dans l'art colonial, destiné à vanter les possessions françaises à l'étranger. Publicités et affiches célèbrent l'« indigène » en burnou tandis que « La Belle Fatma », seins nus et pose lubrique, fait la fortune des éditeurs de cartes postales. À l'empathie desLumières et des romantiques a succédé une condescendance entachée de mépris pour les races et civilisations « inférieures ».