3 Avril 2015
L'architecte de l'utopie sociale
L'architecte Le Corbusier est né à La Chaux-de-Fonds (Suisse) sous le nom de Charles-Édouard Jeanneret.
Dédaigné dans son pays d'origine, il va s'installer à Paris en 1917 et c'est en France qu'il va déployer l'essentiel de son génie.
Il crée en 1920 la revue L'Esprit nouveaudans laquelle apparaît pour la première fois son pseudonyme Le Corbusier, inspiré du patronyme maternel.
L'heure est à la reconstruction de la France, après les ravages de la Grande Guerre.
Dans cette perspective, le jeune architecte témoigne de l'intérêt pour le béton armé, une technique nouvelle que préconise son aîné, l'architecte d'origine belge Auguste Perret.
En 1925, il fait scandale avec le « plan Voisin » dans lequel il préconise la réduction de Paris à une vingtaine de gratte-ciel.
Plus concrètement, il exprime ses vues audacieuses dans des villas destinées à de riches prescripteurs, comme la villa Savoye, à Poissy, en 1928-1931.
Il réalise également le pavillon suisse de la Cité internationale de Paris, en 1930.
Sa réputation naissante de théoricien d'avant-garde lui vaut de présider le IVe Congrès international d'architecture moderne, sur un bateau entre Marseille et Athènes, en 1933, d'où va sortir la Charte d'Athènes.
Il promeut en particulier dans ce document le « zonage » des activités dans nos agglomérations et l'usage de l'automobile au nom du « fonctionnalisme ».
Invité au Brésil, il inspire deux disciples à l'origine de la future capitale Brasilia, Oscar Niemeyer et Lucio Costa.
Après la Seconde Guerre mondiale, Le Corbusier se voit sollicité de toutes parts en vue de la reconstruction au plus vite des villes sinistrées. Lui-même convainc les gouvernants français du bien-fondé des grands ensembles verticaux organisés autour de l'automobile.
Lui-même donne l'exemple. Dans le droit fil de l'utopiste Charles Fourier et de sesphalanstères, il conçoit et construit des unités d'habitation de 1600 personnes, les« Cités radieuses ». La première est érigée en 1947 à Marseille, où on la qualifie volontiers de « maison du fada ». Quatre autres suivront, à Rezé, Berlin, Briey et Firminy.
Ces immeubles, fondés sur le « Modulor », une mesure inventée par Le Corbusier à partir du nombre d'or et des suites de Fibonacci, sont supposés répondre à tous les besoins d'une communauté humaine quelle qu'elle soit. Ils traduisent la vision totalisante de l'architecte, lequel perçoit le peuple comme une masse malléable.
Mais ces unités d'habitation ont du mal à convaincre les ménages populaires destinés à les occuper. À Marseille, Après avoir tenté, pendant la guerre, de vendre ses idées au gouvernement de Vichy, il se rapproche à la Libération du parti communiste qui a le vent en poupe. En 1947, il écrit à ses amis syndicalistes de la CGT : « Je fais chaque jour ma part dans la révolution machiniste..., mais il faut enseigner à vos gens la discipline nécessaire ».
Il n'aura guère de succès en définitive avec les gens ordinaires, rétifs à ladite discipline, et ses unités d'habitation vont demeurer des utopies propres à séduire quelques intellectuels et artistes.
L'architecte a plus de chance avec l'archevêque de Besançon qui lui confie en 1963 la reconstruction de la chapelle Notre-Dame du Haut, à Ronchamp (Haute-Saône). Le résultat est un édifice aux formes audacieuses conformes à l'exigence de spiritualité.
En Inde, dans les années 1950, Le Corbusier conçoit la nouvelle capitale de l'État du Pendjab, Chandigarh.
Plus soucieux de diffuser ses idées que de les mettre en pratique, Le Corbusier cultive l'amitié des artistes comme du ministre des Affaires culturelles André Malraux. Victime d'une crise cardiaque, le 27 août 1965, pendant son bain de mer en contrebas de son cabanon estival, à Roquebrune-Cap-Martin, il bénéficie de funérailles quasi-nationales.
Par la suite, en France, dans les années 70, Émile Aillaud, l'un des disciples de Le Corbusier, construit le grand ensemble de Grigny La Grande Borne cependant que Georges Candilis, un autre disciple, construit à Toulouse un quartier d'avant-garde :Le Mirail, sous l'impulsion du maire Pierre Baudis. Ces réalisations prestigieuses doivent selon leurs créateurs régénérer les liens sociaux et établir une nouvelle citoyenneté.
La suite en décidera autrement. Comme la plupart des ensembles hérités de Le Corbusier, Le Mirail et La Grande Borne sont devenus des concentrés de tous les maux urbains (chômage, déculturation, immigration). Elles souffrent de la dégradation des grands ensembles érigés dans les « Trente Glorieuses » et témoignent de l'impuissance de l'architecte face aux réalités humaines et sociales.