2 Juin 2015
Alain
(Emile-Auguste Chartier)
Philosophe et journaliste français
1868 - 1951
Biographie d'Emile-Auguste Chartier, dit Alain
Fils d'un vétérinaire, Emile-Auguste Chartier, dit Alain, est avant tout un professeur. Après l'Ecole Normale Supérieure, il est reçu à l'agrégation de philosophie puis est nommé professeur successivement à Pontivy, Lorient, Rouen et à Paris (lycée Condorcet, puis au lycée Michelet).
A partir de 1903, Emile-Auguste Chartier publie dans la Dépêche de Rouen, sous la signature d'Alain, les "Propos du dimanche", puis les "Propos du lundi" sous forme de chroniques hebdomadaires. Devenu professeur de Khâgne au lycée Henri IV en 1909, il exerce une influence profonde sur ses élèves (Raymond Aron, Simone Weil, Georges Canguilhem...).
A l'approche de la guerre, Alain milite pour le pacifisme. Lorsque celle-ci est déclarée, sans renier ses idées, et bien que non mobilisable, il s'engage pour satisfaire ses devoirs de citoyen. Brigadier de l'artillerie, il est démobilisé en 1917 avec un pied broyé.
Ayant vu de près les atrocités de la Grande Guerre, Alain publie en 1921 son célèbre pamphlet "Mars ou la guerre jugée". Sur le plan politique, il s'engage aux côtés du mouvement radical en faveur d'une république libérale strictement contrôlée par le peuple. Considérant que la seule liberté de l'homme est celle de l'esprit, Alain enseigne dans des universités populaires. Bien que n'ayant jamais adhéré au socialisme, il manifeste de la sympathie pour les mouvements ouvriers et pour le syndicalisme. Jusqu'à la fin des années 30, son œuvre est guidée par la lutte pour le pacifisme et contre la montée des fascismes. En 1936, une attaque cérébrale le condamne au fauteuil roulant.
Alain met au point à partir de 1906 le genre littéraire qui le caractérise, les "Propos". Ce sont de courts articles, inspirés par des événements de la vie de tous les jours, au style concis et aux formules séduisantes, qui couvrent presque tous les domaines. Cette forme appréciée du grand public a cependant pu détourner certains critiques d'une étude approfondie de son œuvre philosophique.
Les maîtres à penser d'Alain furent Platon, Descartes, Spinoza, Kant et Auguste Comte. Le but de sa philosophie est d'apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés. Humaniste cartésien, il est un "éveilleur d'esprit", passionné de liberté, qui ne propose pas un système ou une école philosophique mais apprend à se méfier des idées toutes faites. Pour lui, la capacité de jugement que donne la perception doit être en prise directe avec la réalité du monde et non bâtie à partir d'un système théorique.
Alain, dont la vie coïncide presque avec la IIIe république, est un radical au sens de la fidélité aux idées ayant fondé la République. C'est grâce à elle, qu'issu du peuple, il a pu développer son génie et rejoindre l'élite intellectuelle.
Principales œuvres :
La théorie de la connaissance des Stoïciens (1891, publié en 1964)
Spinoza (1900)
Les Cent un Propos d'Alain (2ème série) (1910)
Propos d'un Normand (1912)
Eléments de philosophie (1916)
Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions (1917)
Petit Traité d'Harmonie pour les aveugles (en braille, 1918)
Mars ou la guerre jugée (1921)
Propos sur l'esthétique (1923)
Propos sur les pouvoirs - Eléments d'une doctrine radicale (1925)
Sentiments, passions et signes (1926)
Le citoyen contre les pouvoirs (1926)
Les idées et les âges (1927)
Propos sur le bonheur (1928)
Propos sur l'éducation (1932)
Propos de littérature (1934)
Propos de politique (1934)
Propos d'économique (1935)
Souvenirs de guerre (1937)
Les Saisons de l'esprit (1937)
Propos sur la religion (1938)
Eléments de philosophie (1940)
Vigile de l'esprit (1942)
Préliminaires à la mythologie (1943).
Les extraits et citations les plus connues Emile Chartier dit Alain
"Si tu veux concevoir la paix, pose d'abord les armes."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos sur la religion, Le signe de croix, 31 janvier 1914
"Ceux qui exposent leur vie jugent peut-être qu'ils donnent assez. Examinons ceux qui n'exposent point leur vie. Beaucoup se sont enrichis, soit à fabriquer pour la guerre, soit à acheter et revendre mille denrées nécessaires qui sont demandées à tout prix. J'admets qu'ils suivent les prix ; les affaires ont leur logique, hors de laquelle elles ne sont même plus de mauvaises affaires. Bon. Mais, la fortune faite, ne va-t-il pas se trouver quelque bon citoyen qui dira : "J'ai gagné deux ou dix millions ; or j'estime qu'ils ne sont pas à moi. En cette tourmente où tant de nobles hommes sont morts, c'est assez pour moi d'avoir vécu ; c'est trop d'avoir bien vécu ; je refuse une fortune née du malheur public ; tout ce que j'ai amassé est à la patrie ; qu'elle en use comme elle voudra ; et je sais que, donnant ces millions, je donne encore bien moins que le premier fantassin venu" ? Aucun citoyen n'a parlé ainsi. Aucune réunion d'enrichis n'a donné à l'État deux ou trois cents millions."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Mars ou la guerre jugée- Les Passions et la Sagesse - 1921
"Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit ; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c'est à peine s'il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu'il pourrait être seul de son avis.
Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre, mais si le pays veut ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays au lieu de s'interroger eux-mêmes."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Mars ou la guerre jugée- Les Passions et la Sagesse - 1921
"L'humanisme a pour fin la liberté dans le sens plein du mot, laquelle dépend avant tout d'un jugement hardi contre les apparences et prestiges. Et l'humanisme s'accorde au socialisme, autant que l'extrême inégalité des biens entraîne l'ignorance et l'abrutissement des pauvres, et par là fortifie les pouvoirs. Mais il dépasse le socialisme lorsqu'il décide que la justice dans les choses n'assure aucune liberté réelle du jugement ni aucune puissance contre les entraînements humains mais au contraire tend à découronner l'homme par la prépondérance accordée aux conditions inférieures du bien-être, ce qui engendre l'ennui socialiste, suprême espoir de l'ambitieux. L'humanisme vise donc toujours à augmenter la puissance réelle en chacun, par la culture la plus étendue, scientifique, esthétique, morale. Et l'humaniste ne connaît de précieux au monde que la culture humaine, par les œuvres éminentes de tous les temps, en tous, d'après cette idée que la participation réelle à l'humanité l'emporte de loin sur ce qu'on peut attendre des aptitudes de chacun développées seulement au contact des choses et des hommes selon l'empirisme pur. Ici apparaît un genre d'égalité qui vit de respect, et s'accorde avec toutes les différences possibles, sans aucune idolâtrie à l'égard de ce qui est nombre, collection ou troupeau. Individualisme, donc, mais corrigé par cette idée que l'individu reste animal sous la forme humaine sans le culte des grands morts. La force de l'humanisme est dans cette foule immortelle."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Mars ou la guerre jugée - 1921
"Une idée que je crois fausse, et à laquelle s'attachent souvent les partis les plus opposés, c'est qu'il faudrait changer beaucoup les institutions et même les hommes, si l'on voulait un état politique passable. Ceux qui ne veulent point du tout de réformes y trouvent leur compte, car ils effraient par la perspective d'un total bouleversement ; ainsi, ne voulant pas tout mettre en risque, on ne changera rien. Et, d'autre côté, les révolutionnaires essaient de faire croire la même chose à leurs amis, les détournant avec mépris des demi-mesures. Or nous vivons de demi-mesures."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos, 24 janvier 1930
"Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c'est que je consens, c'est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. [...] Réfléchir c'est nier ce que l'on croit. [...] Qui se contente de sa pensée, ne pense plus rien."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos sur les pouvoirs - Éléments d'une doctrine radicale - 1925
"Rien n'est plus dangereux qu'une idée quand on a qu'une idée, j'ai vu courir la plus meurtrière de toutes les idées... Il s'agit d'une théologie nouvelle qui a ses fanatiques et ses martyrs. Un nouveau dieu qui est la source des dieux. Et en même temps un dieu qui parle, qui ordonne, qui récompense, qui punit, un dieu que l'on touche de la main, un dieu sensible au coeur; un dieu qu'il est doux et enivrant d'aimer; qu'il est amer de ne pas aimer. Un dieu qui pardonne des années d'oubli pour un mouvement de sacrifice; un dieu qui se réjouit plus d'une brebis retrouvée que de tout le peuple bêlant fidèle à l'étable. Mais qu'est-ce que c'est ?
C'est la société même sans laquelle l'homme n'est rien et ne serait rien. A force d'étudier les religions primitives, les sociologies ont fini par trouver qu'il n'y avait jamais eu d'autres religions que ce culte, que l'on rend à la société dans les fêtes et cérémonies."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos sur la religion, Un nouveau Dieu, 20 juillet 1930