3 Juillet 2015
Prince indigne
À son avènement, de façon fort peu royale, Louis XI se venge des serviteurs de son père qui l'ont combattu pour le bien de l'État. Le chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins (ancêtre du sociologue Bertrand de Jouvenel) figure parmi les fidèles serviteurs de Charles VII qui seront un temps embastillés. Dunois, le vainqueur de Castillon, est écarté du Conseil du roi.
À l'opposé, les grands seigneurs féodaux qui ont été écartés par Charles VII reviennent en grâce, à l'exemple de Jean V d'Armagnac ou du duc d'Alençon.
Le roi, heureusement, revient vite à plus de bon sens et restaure les meilleurs conseillers dans leurs fonctions. Il en recrute de nouveaux dans la bourgeoisie comme l'argentier Jean Bourré.
Mais le plus célèbre est son barbier Olivier Le Daim (ou Le Dain), que l'on voit dans le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. Il gagne la confiance du roi et devient à partir de 1469 son conseiller occulte et exécuteur des basses œuvres. Le roi, reconnaissant, le fait comte de Meulan. Détesté à cause de son arrogance et de sa fortune trop vite acquise, il sera pendu au gibet de Montfaucon après la mort de son protecteur.
Dans son souci de mettre de l'ordre dans le royaume, Louis XI dit le Prudent ne tarde pas à se faire de nombreux ennemis. Le clergé lui reproche son indépendance vis-à-vis du Saint-Siège romain. Il lui reproche aussi de lui faire payer des impôts comme tout un chacun.
Le roi multiplie les vexations à l'égard de la noblesse, jusqu'à priver certains seigneurs de leur pension ou limiter leur droit de chasse. Il cherche noise au duc de Bretagne François II, trop indépendant à son goût. Il intrigue aussi contre le duc de Bourgogne, son ancien protecteur, en vue de prendre les villes de la Somme et d'imposer son autorité à Liège.
Haines féodales
Les féodaux reprochent à Louis XI de les dépouiller de leurs fiefs, de réduire leurs pensions, de leur imposer des mariages à son avantage et de gouverner avec des bourgeois. Ils n'ont pas de mal à trouver des alliés parmi les plus grands seigneurs du royaume, les ducs de Bourgogne, de Bretagne et de Bourbon, le comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne, et même Dunois.
Louis XI au château de Plessis les Tours
Ils forment ce qu'ils appellent improprement une « Ligue du Bien public » et prétendent dans un manifeste remédier au « désordonné et piteux gouvernement ». En entrant en guerre contre le roi, la coalition projette d'installer à sa place un régent à sa dévotion qui ne serait autre que l'inconsistant « Monsieur Charles », duc de Berry (18 ans) et frère de Louis XI. Elle sera défaite comme autrefois la Praguerie...
Le comte de Charolais Charles le Téméraire, devenu duc de Bourgogne à la mort de son père le 16 août 1467, manigance une nouvelle coalition contre Louis XI avec le duc de Berry, le jeune frère du roi, et le duc de Bretagne François II. Soucieux d'éviter la guerre, le roi rencontre son rival à Péronne. L'entrevue tourne mal du fait qu'au même moment, les Liégeois se soulèvent contre le duc à l'instigation de son hôte ! Louis XI doit à Philippe de Commynes, chambellan du duc, d'échapper à la captivité, voire à la mort. Il s'en tire avec un humiliant traité.
Habilement, Louis XI met à la raison les féodaux et tire satisfaction de la mort de son irréductible adversaire Charles le Téméraire sous les murs de Nancy, le 5 janvier 1477. Sitôt après, il s'empare du duché et du comté de Bourgogne ainsi que de la Picardie et du Boulonnais. Outre ces acquisitions, le roi peut se flatter d'avoir enlevé le Roussillon au roi d'Aragon.
Mais il ne peut empêcher le mariage de Marie de Bourgogne, fille unique du Téméraire, avec Maximilien de Habsbourg, fils de l'empereur d'Allemagne, et l'extension des Habsbourg vers les très riches contrées flamandes.
L'ordre royal de Saint-Michel
Louis XI institue le 1er août 1469 à Amboise l'ordre royal de Saint-Michel, en vue de concurrencer l'ordre de la Toison d'Or créé par le duc de Bourgogne Philippe III le Bon en 1430. Sur cette peinture sur parchemin de Jean Fouquet, le roi préside un chapitre de l'ordre.
Un administrateur plein de modération
Autant Louis XI se montre rusé en politique étrangère, autant il agit avec modération dans les affaires intérieures. En 1467, il concède aux magistrats le privilège d'inamovibilité. Cette réforme est une garantie majeure contre l'arbitraire royal, indispensable à toute bonne justice. Elle ouvre aussi la voie à de futurs conflits entre la magistrature, forte de ce privilège, et la monarchie...
Pour la première fois dans l'Histoire du pays, le souverain se montre soucieux du développement économique. Il favorise la construction de routes et organise un réseau postal. Il fait venir à Lyon puis à Tours, sa résidence favorite, des ouvriers italiens en vue de créer sur place une industrie de la soie.
Les villes voient les corporations de métiers se développer. C'est l'époque aussi où l'imprimerie se diffuse. Une nouvelle société, fondée sur l'industrie et le commerce, émerge. Ces bouleversements se traduisent par des dépenses publiques croissantes et, pour les financer, Louis XI multiplie les impôts par deux ou quatre, en particulier la taille instituée par son père !
Un marieur sans scrupule
Louis XI met le mariage au service de sa politique. C'est ainsi qu'un mois après la naissance de sa fille Jeanne, apprenant que l'enfant est boiteuse, il décide sur le champ de la marier à son lointain cousin Louis d'Orléans, fils du poète Charles d'Orléans, dans le but avoué que le mariage reste stérile et que s'éteigne cette branche capétienne rivale de la sienne !
Rien, dans cette histoire nauséeuse, ne se passera comme prévu. Le mariage se fera mais ne sera pas consommé. Louis deviendra roi sous le nom de Louis XII à la mort de son cousin Charles VIII, fils et successeur de Louis XI. Il répudiera alors Jeanne la Boiteuse pour épouser la veuve de Charles VIII, la duchesse Anne de Bretagne. Mais ce deuxième mariage ne lui donnera que des filles et c'est son gendre, François d'Angoulême, qui lui succèdera sous le nom de François 1er.
Sainte Jeanne de France
Sainte princesse
La pauvre Jeanne de France, répudiée à 34 ans après un mariage non consommé, se retirera à Bourges où elle fondera l'ordre religieux de l'Annonciade et vivra dans la sainteté jusqu'en 1505. Son ex-mari Louis XII viendra prier sur sa tombe. Elle sera béatifiée en 1950.
Anne, l'autre fille survivante de Louis XI et Charlotte de Savoie, est mariée à Pierre de Beaujeu. Le roi a une grande estime pour elle : « C'est la moins folle femme du monde, car, de sage, il n'y en a point ». Anne de Beaujeu et son mari assureront la régence pendant la minorité du nouveau roi, Charles VIII.
Notons que Louis XI, mort le 30 août 1483 dans son manoir de Plessis-lez-Tours, aujourd'hui disparu, a exigé de ne pas être inhumé à Saint-Denis. Il craignait que, l'oubliant au milieu de tous ses ancêtres, on néglige de prier pour le salut de son âme ! Il repose aux côtés de sa femme Charlotte de Savoie dans la basilique de Cléry-Saint-André, sur les bords de la Loire.
Quoique retors et bigot jusqu'à la superstition, ce roi mérite de figurer dans l'Histoire de France comme l'un des principaux acteurs de l'unification du royaume et de sa centralisation administrative.
La Renaissance en germe
La Renaissance pointe son nez en France dès le règne de Louis XI, bien avant donc que les nobles français se lancent dans leurs folles équipées italiennes. On peut en voir un témoignage au nord d'Angers dans l'un des châteaux que s'est fait construire le trésorier du roi, Jean Bourré. Ce château du nom de Plessis-Bourré est un remarquable exemple de la transition architecturale entre le goût gothique et la Renaissance.
château de Pessis-Bourré (Maine et Loire)