8 Septembre 2015
9 septembre 1570 : Chypre devient turque
Le 9 septembre 1570, les Turcs ottomans occupent Nicosie. L'île de Chypre tombe sous leur domination pour trois longs siècles, jusqu'à ce que les Anglais imposent leur protectorat
L'histoire de Chypre
L'île de Chypre fut très célèbre dans l'Antiquité. C'est là que florissaient les villes d'Amathonte, de Paphos, d'Idalie, toutes trois consacrées à Aphrodite, qui prenait de là le nom de Cypris. Cette île fut soumise successivement aux Phéniciens (jusqu'en 620 av. J.-C.), aux Égyptiens (550) et aux Perses (depuis Artaxerxès Mnémon); cependant elle se gouvernait par ses propres lois; souvent même elle se révolta avec l'appui des Grecs, notamment du temps de Cimon (450). Elle était indépendante au commencement du IVe s. av. J.-C. et on y comptait alors 9 royaumes dont le plus célèbre est celui de Salamine. Elle fut ensuite comprise dans l'empire d'Alexandre. Sous les successeurs de ce prince, elle fut souvent disputée par les rois d'Égypte et de Syrie, et parfois elle forma un royaume particulier, qui fut possédé par divers princes de la famille des Ptolémées. Les Romains s'en emparèrent en 58 av. J.-C.
Les Arabes la prirent aux empereurs grecs en 648. Au temps des croisades, elle forma un État particulier dont les Lusignan furent rois. Les Vénitiens s'en rendirent maîtres en 1473 et la gardèrent environ un siècle. En 1570, cette possession leur fut enlevée par les Turcs, sous l'administration desquels elle déclina rapidement. En 1878, la Porte ottomane céda l'île à la couronne Britannique, qui, en 1925, en fit une colonie jusqu'à l'indépendance, qui fut accordée en 1960. L’archevêque de Nicosie, Makarios III, accéda à la présidence de la République de Chypre ainsi constituée.
Dès 1963, des violences éclatèrent entre les communautés grecque et turque de l'île. Une intervention militaire de la Turquie en 1974 a abouti à la partition de l'île, qui s'est concrétisée en 1983 par la proclamation d'une République turque de Chypre du Nord. La réunification de l'île, soumise à un référendum en 2004 a été rejetée par la population grecque. Chypre a cependant été admise officiellement dans l'Union européenne. Bien que cette admission concerne de droit toute l'île, seule la République de Chypre (partie grecque) est, à ce jour, concernée de fait. Les lois communautaires européennes sont suspendues au Nord.
Antiquité
L'île de Chypre fut d'abord une terre phénicienne; Kition, Paphos, Amathonteétaient des villes phéniciennes; la première, probablement la plus importante, donna longtemps son nom à l'île (Kittim). Amathonte, Paphos, Idalie, Golgos étaient des centres religieux qui jouissaient d'un grand prestige. Les Chypriotes voulurent s'émanciper et soutinrent fréquemment des luttes contre les rois de Tyr. Quand ceux-ci furent affaiblis par leurs guerres contre l'Assyrie et la Chaldée, les princes vassaux de Chypre se rendirent à peu près indépendants; ils battaient monnaie. Une grande partie de la population de l'île devait être anciennement déjà d'origine grecque, ainsi que l'attestent les inscriptions chypriotes en écriture cunéiforme; des Grecs n'ont pu adopter cette écriture; ils l'ont connue avant l'invention de leur alphabet dérivé de celui des Phéniciens. L'élément grec fut renforcé par la colonisation, surtout d'Éoliens (Les Colonies grecques); il est vraisemblable que ce nouvel afflux de Grecs eut lieu au temps de leurs grandes migrations, après l'invasion dorienne. Au VIe siècle, on comptait dans l'île de Chypre neuf royaumes : Salamine, le plus puissant; Soli (Soles), Chytri, Kourion (Curium), Lapathos, Kerynia, la nouvelle Paphos, Kition, Amathonte; celui de Salamine était exclusivement grec, Kition et Amathonte phéniciens.
Subordonnés aux Assyriens au VIIIe siècle à l'époque de Sargon II, au VIe siècle aux Égyptiens dont Amasis établit l'autorité pour une trentaine d'années, les habitants de Chypre passèrent sous la domination des Perses. En 502, ils se joignirent à la révolte de l'Ionie; mais les Phéniciens, restés hostiles, firent échouer le mouvement. Les victoires remportées plus tard par Cimonsur les côtes de Chypre ne purent enlever l'île aux Perses qui s'y maintinrent et en restèrent maîtres après 449. En 410 le roi de Salamine, Evagora, réunit l'île entière sous son autorité et s'insurgea contre les Perses. Il lutta obstinément contre Artaxerxès II. Après la bataille d'Issus, Chypre fut conquise par Alexandre. Quand on se disputa son empire, Ptolémée, souverain de l'Égypte, s'efforça d'annexer Chypre. Après la ruine de Démétrius, il en resta maître. Les Ptolémées gardèrent l'île, organisée en vice-royauté, quelquefois en royaume vassal. Les Séleucides firent de vains efforts pour la leur enlever. En 59 elle fut réduite en province romaine par Caton qui y vint sans armée ni flotte; rendue aux Égyptiens par Antoine, elle devint sous Auguste une province sénatoriale, administrée par un proconsul.
L'art chypriote ancien.
La population chypriote, à la formation de laquelle concoururent tous les peuples de la Méditerranée orientale, était sans grande originalité d'art ou de pensée. Cependant par sa position d'intermédiaire entre la Phénicie et la Grèce, elle a joué un grand rôle dans l'histoire de l'art antique. Centre du culte d'Aphrodite qui y possédait ses sanctuaires les plus vénérés, elle était célèbre par ces temples de Paphos, d'Amathonte, d'Idalie, de Golgos. Ces temples étaient sur le modèle phénicien, avec autel à ciel ouvert; à Paphos il n'y avait encore au Ier siècle après J.-C. qu'un simple bétyle pour figurer la déesse. Les fouilles pratiquées aux environs des anciens temples ont fourni un grand nombre d'objets d'art. Le fameux vase d'Amathonte (du Louvre) était un réservoir à eau, pour l'usage du culte. Cesnola a retrouvé le trésor du temple de Kourion qui a livré les pièces les plus précieuses pour la connaissance de l'art chypriote. La sculpture n'est connue que par des milliers d'ouvrages en pierre de toute dimension, statues, sarcophages, et par de petits bronzes. Il n'y a pas là de style original, peu de variété; c'est une sculpture purement religieuse; les statues sont à l'attitude du repos. Ce sont des oeuvres d'artistes grecs très imprégnés d'influences orientales, phénicienne, syrienne, assyrienne même et égyptienne. Le type le plus curieux créé ou modifié par cet art est le type d'Aphrodite dont Chypre est le vrai pays d'origine.
Les bijoux du trésor de Kourion sont phéniciens : colliers, bracelets, anneaux, médaillons sont fort beaux. La céramique chypriote est très inférieure à la grecque; elle a appris des Phéniciens toute la technique, mais n'est jamais arrivée à la perfection atteinte plus à l'ouest dans les pays tout à fait helléniques. Elle est restée plus une industrie qu'un art. La peinture sur vase n'y eut jamais grande valeur.
Moyen Âge et Temps modernes
De l'empire d'Orient à Richard Cœur de Lion.
Lors de la division de l'empire romain en 395, Chypre fut attribuée à l'empire d'Orient. Administrée au nom de l'empereur, tantôt par des consulaires, tantôt par des stratèges ou des présidents, l'île jouit d'une parfaite tranquillité jusqu'au milieu du VIIe siècle, c.-à-d. jusqu'à l'invasion des Arabes dans l'empire grec. Mais à peine la Palestine et la Syrie furent-elles tombées au pouvoir des Musulmans, que Chypre se vit assaillie à son tour. En 648, Mohavia, général du calife, Othman, y aborda avec dix-sept cents barques; mais après deux ans d'occupation, il en fut chassé par le général grec Carcorizès. En 654, une nouvelle attaque mit les Arabes en possession d'une partie de l'île. Pendant près de trente ans, la lutte s'y poursuivit entre eux et la population grecque, jusqu'au moment ou un traité fut conclu, vers 680, entre l'empereur Justinien II et le sultan Abd-el-Melik, aux termes duquel ces deux princes partageaient la souveraineté et les revenus du pays. Sous Léon l'Isaurien, et à la suite de circonstances mal connues, l'île paraît être redevenue la propriété exclusive de l'empire grec.
L'islam y rentra du temps de Haroun al-Rachid, qui, pour se venger d'une trahison de la cour de Byzance, l'attaqua inopinément, la mit au pillage, détruisit ses églises, massacra ou réduisit en esclavage des milliers d'habitants, et écrasa le reste d'impôts. Réoccupée par l'empereur Basile le Macédonien, et perdue peu après, elle fut de nouveau réunie à l'empire grec par Nicéphore IIl, en 958. Depuis lors, jusqu'à la fin du XIIe siècle, elle ne changea plus de maître. Elle figure alors dans le cadre des nouvelles provinces de l'empire comme quinzième thème ou préfecture, suivant Constantin Porphyrogénète. Les empereurs la faisaient gouverner par des ducs ou catapans.
Durant cette période, Chypre fut relativement calme, sa population s'accrut, l'agriculture, le commerce se développèrent, l'aisance revint dans les villes. Les quelques troubles dont l'île eut à souffrir furent suscités en général par les tentatives de gouverneurs qui cherchèrent à se rendre indépendants, et qui trouvèrent toujours de nombreux partisans parmi les habitants, que Byzance accablait d'impôts. En 1042, le duc Théophile Érotique essaya de se soulever contre l'autorité impériale, mais sa rébellion fut promptement réprimée. Un mouvement plus sérieux, celui du duc Rhapsomatis, eut lieu dans les premières années du règne d'Alexis Comnène, vers 1086. Il ne dura pas cependant. Rapsonatis, vaincu par le grand-duc Jean Ducas, fut fait prisonnier et emmené à Constantinople.
L'empereur jugea prudent de réorganiser le gouvernement de l'île et le confia à deux fonctionnaires : un magistrat civil, le juge ou péréquateur, c.-à-d. répartiteur des impôts, et un magistrat militaire, le stratopédarque, qui eut le commandement de toutes les troupes, des navires de guerre et des châteaux. En 1184, lsaac Comnène, neveu de l'empereur Isaac l'Ange, et gouverneur de l'Arménie, obligé de s'enfuir de cette province où il avait voulu se rendre indépendant, se réfugia en Chypre. Là, il exhiba de fausses lettres impériales le créant catapan de l'île, s'installa comme tel et fit reconnaître son autorité par la population. Bientôt, enhardi par la faiblesse de la cour de Byzance qui lui offrait son pardon, il se déclara indépendant et se fit proclamer empereur de l'île. Il ne devait pas jouir longtemps du pouvoir.
En 1191, la flotte de Richard Coeur de Lion, qui portait les croisés anglais en Terre Sainte, fut assaillie par une tempête à la hauteur du golfe de Satalie et dispersée. Trois vaisseaux furent jetés à la côte de Chypre. Ceux qui les montaient, dépouillés et maltraités par une population hostile, n'atteignirent qu'avec peine Limassol, où on les retint prisonniers. Une autre embarcation, qui portait la soeur et la fiancée de Richard, n'avait pu obtenir l'accès de la rade de Limassol. Cependant, le reste de la flotte s'étant réuni, gagna les côtes méridionales de l'île, et Richard s'efforça d'obtenir la délivrance des prisonniers. Sa demande n'ayant reçu qu'une réponse dérisoire, il débarqua sur la plage de Limassol à la tête de ses troupes, poursuivit Isaac Comnène qui s'était enfui dans l'intérieur, et, l'avant rejoint, le battit complètement à Tremithousia, l'ancienne Tremithus, dans les plaines de la Massorée (mai 1191). Isaac fait prisonnier fut envoyé en Syrie et remis aux chevaliers de l'Hôpital qui l'enfermèrent dans le château de Margat où il mourut peu après.
L'île entière ne tarda pas à tomber au pouvoir du vainqueur. Toutefois Richard Coeur de Lion ne la garda pas. Désirant réunir toutes ses forces à Saint-Jean d'Acre, dont les croisés faisaient alors le siège, il la vendit pour 400 000 besants d'or aux Templiers. Puis, comme ceux-ci ne parvenaient à en payer que 40 000, il la céda à Guy de Lusignan, roi dépossédé de Jérusalem, lequel s'engagea à lui verser le reliquat de 60000 besants, et à restituer aux Templiers les 40 000 déjà versés (mai 1192). Chypre fut alors constituée en royaume et resta jusqu'en 1489 aux mains de la famille de Lusignan, qui lui donna dix-huit princes.
Le temps des Lusignan
On ne dira ici que peu de chose sur l'histoire de Chypre pendant la période où l'île fut sous la domination de la maison de Lusignan. On se bornera à quelques renseignements généraux. Il est certain que, sauf dans l'Antiquité, Chypre n'avait jamais été aussi prospère qu'elle le fut depuis l'établissement des Francs jusque vers la fin du XIVe siècle. Le commerce, l'industrie, l'agriculture, s'y développèrent et y apportèrent la richesse. Mais, chose digne de remarque, bien que toute hostilité politique eut cessé entre les anciens habitants et leurs vainqueurs, l'assimilation des Latins et des Grec ne se fit jamais. Les Francs, et ensuite les Vénitiens, s'imposèrent aux Grecs, tels qu'ils vivaient et se gouvernaient, avec leur culte, leur langue, leur législation, leurs arts. L'intolérance de leur clergé fut perpétuellement un obstacle à tout rapprochement social. Les Grecs, de leur côté, ne cherchèrent jamais à se mêler aux étrangers. Ils formèrent à côté d'eux un peuple à part que l'on retrouve au moment où la domination de l'Occident fit place à la domination turque. Au XIIIe et au XIVe siècle, l'île comptait de 500 000 à 600000 habitants.
Les Rois de Chypre de la maison de Lusignan
Guy de Lusignan, 1192.
Amaury, 1194.
Hugues I, 1205.
Henri I, 1218.
Hugues II, 1253.
Hugues III, 1267.
Jean I, 1284.
Henri II, 1285.
Amaury de Lusignan, usurp. 1306-1310.
Hugues IV, 1324. Pierre I, 1361.
Pierre II, 1369.
Jacques I, 1382.
Jean II, 1398.
Jean III, 1432.
Charlotte et Louis, 1458.
Jacques II, 1464.
Jacques III, 1473.
Catherine, 1475-1489.
Note : - Les ducs de Savoie, devenus ensuite rois de Sardaigne et d'Italie, portaient le titre de rois de Chypre et de Jérusalem; ils tenaient ce droit de Charlotte de Lusignan, reine de Chypre (1458), qui avait épousé un prince de Savoie, et qui, bien que dépouillée par le bâtard Jacques, légua en mourant son royaume à son neveu Charles I de Savoie (1487).
Dans l'ordre politique, l'histoire de Chypre de la fin du XIIe à la fin du XVe siècle peut être divisée en trois périodes. La première s'étend de 1191 à 1291, date de la chute de Saint-Jean d'Acre. Les destinées de l'île sont alors intimement liées à celles du royaume de Jérusalem, ses princes ayant presque toujours été en même temps rois ou régents de Jérusalem. Une seconde période va jusqu'à la prise de Famagouste par les Génois en 1376. Chypre s'appartient davantage, et c'est surtout avec l'Occident, Gênes et Venise tout particulièrement, que ses habitants multiplient leurs rapports. L'île devient le grand entrepôt commercial de l'Europe et de l'Asie. Mais elle est fréquemment en butte aux attaques des sultans d'Égypte qui la convoitent. La troisième période, qui s'ouvre à la prise de Famagouste et finit en 1489, voit commencer la décadence.
Une compagnie commerciale génoise, la Mahone, s'établit dans l'île et finit par en monopoliser à son profit tout commerce. Les marines chrétiennes, gênées par ses exigences et par celles de la banque génoise de Saint-Georges devenue cessionnaire de la colonie, ne vinrent plus y opérer leurs chargements. Le pays s'appauvrit, le trésor royal se vida, l'administration, les institutions militaires périclitèrent faute de ressources. En 1426, les Égyptiens se rendirent maîtres de Nicosie, firent prisonnier le roi Jean ou Janus de Lusignan, le gardèrent enfermé jusqu'en 1432, et ne le relâchèrent que contre un tribut annuel de 5000 ducats, qui, sous le règne de Jacques II de Lusignan (1464-1473), fut porté à 8000 ducats. Ce dernier prince, fils naturel de Jean III, avait réussi à détrôner sa sœur Charlotte et à reprendre Famagouste aux Génois avec l'aide des Égyptiens (1464). Il périt assassiné le 5 juin 1473. Son fils posthume, Jacques III, fut proclamé roi à sa naissance, mais mourut à l'âge de deux ans (1475). Des compétitions s'élevèrent alors entre Charlotte, fille de Jean III, et Catherine Cornaro, veuve de Jacques II. Celle-ci s'étant mise en possession du pouvoir grâce à l'appui des Vénitiens, sa rivale Charlotte fit cession de ses droits à Charles Ier, duc de Savoie, par lequel le titre de roi de Chypre fut transmis dans la maison de Savoie. Quant à Catherine, se voyant impuissante à résister aux attaques sans cesse renouvelées des Turcs, elle finit par céder l'île à la république de Venise (1489). Chypre, à cette époque, ne comptait plus guère que 300 000 habitants.
L'entrepôt de Venise
La domination vénitienne à Chypre dura de 1489 à 1574. La république de Venise s'occupa surtout des intérêts de son commerce et donna peu de soin à l'administration du pays. Soucieuse avant tout de remplir le trésor de Saint-Marc, obligée, d'autre part, de payer aux Égyptiens d'abord, puis à la Porte, après la conquête de l'Égypte par les Ottomans (1517), le tribut de 8000 ducats, elle pressura les habitants sans consacrer les ressources qu'elle en tirait à améliorer la situation matérielle du pays. Aussi, lorsque vint l'heure du danger n'y rencontra-t-elle aucun appui. En 1570, des pirates, qui s'étaient emparés de vaisseaux turcs, ayant trouvé un refuge dans l'île, le sultan Selim II demanda satisfaction et réparation à Venise. N'obtenant rien, il envoya contre Chypre une flotte de deux cents galères, sous le commandement de Mustapha-pacha et de l'amiral Ali-pacha. Le général vénitien Antonio Bragadino s'enferma dans Famagouste, tandis que ses lieutenants, Dandolo et Rocco, pourvoyaient à la défense de Nicosie. Cette dernière place tomba après un siège de quatorze jours (9 septembre 1570). Les Turcs y firent un carnage horrible et un butin énorme. Quinze mille personnes furent égorgées.
Entre-temps, Venise avait imploré le secours des puissances européennes. Aussitôt l'Espagne et le Saint-Siège équipèrent une flotte, et, en septembre 1570, cent quatre-vingt-douze galères, montées par 13 500 hommes, vinrent mouiller sur les côtes septentrionales de l'île de Crète, dans la baie de Sude. Mais le bruit de la chute de Nicosie étant parvenu à cette armée, le découragement s'empara d'elle. Les Espagnols se retirèrent en déclarant que la lutte était désormais inutile, et bientôt le reste de la flotte en fit autant. Cependant les Ottomans assiégeaient Famagouste par terre et par mer. La garnison, composée d'environ 5000 hommes, se défendit pendant onze mois avec une bravoure inouïe. Elle se rendit enfin sous promesse de vie sauve, le 1er août 1571. Mais le général turc, violant la capitulation, fit massacrer la garnison jusqu'au dernier homme. Bragadimo lui-même, le héros de la défense, fut écorché vif. La Porte ottomane, maîtresse de l'île, continua, d'une façon plus brutale encore, l'œuvre de spoliation commencée sous la domination vénitienne.
La domination Ottomane.
L'Empire ottoman, maître de l'île, continua, d'une façon plus brutale encore, l'œuvre de spoliation commencée sous la domination vénitienne. Pendant plus de deux siècles, Chypre fut soumise au système inique des baux à ferme. Le gouverneur payait annuellement et d'avance au grand vizir ou au trésor impérial une somme de 2 500 000 piastres, sauf à s'indemniser ensuite sur le pays. En 1764, les Chypriotes se soulevèrent, mais leur rébellion fut promptement et cruellement réprimée. Vers le commencement du XIXe siècle, lors de la création du vilayet des îles, dont Chypre forma l'un des sandjaks ou livas, et dont le gouverneur général ou vali établit sa résidence à Gallipoli sur les Dardanelles, leur situation s'améliora quelque peu. Ils ne s'en révoltèrent pas moins en 1825 à l'exemple des Grecs continentaux, mais l'insurrection fut étouffée dans des flots de sang. Le vice-gouverneur ou mutezalim Rutschouk-Mehamed, ayant convoqué les ecclésiastiques et les notables à Nicosie, les fit tous égorger. Dans le courant de juin 1832, Mehemet-Ali, vice-roi d'Égypte, qui venait d'envahir la Syrie, fit occuper militairement Chypre; l'année suivante, il en fut investi par le sultan. Mais cet arrangement ne dura pas, et, dès 1840, l'île fit retour à la Porte. L'année précédente, le Hatti scheriff de Gulhane, promulgué par le sultan Abdul-Medjid (Le Tanzimat), avait aboli dans tous les sandjaks le système des baux à ferme. Chypre fut dès lors administrée par un pacha, fonctionnaire impérial au traitement. Fixe de 120 000 piastres. Suivant les données, aussi exactes que possible, recueillies à cette époque par Mas-Latrie, l'île n'avait plus guère qu'une population de 108 000 à 110 000 habitants.
La colonie anglaise.
Chypre passa ensuite entre les mains de l'Angleterre à laquelle la Porte la céda, le 4 juin 1878, pendant que se tenait à Berlin le congrès qui devait régler les conditions de la paix entre la Russie et la Turquie. Aux termes du traité signé dans cette ville par l'ambassadeur britannique à Constantinople, sir A.-H. Layard, et le représentant du sultan S. E. Savfet pacha, l'Angleterre prit l'engagement de s'unir à la Turquie pour la défense de ses provinces d'Asie. En retour de cette garantie de protection, elle reçut de la Porte l'autorisation « d'occuper et d'administrer » l'île de Chypre. Les conditions de cette occupation furent réglées par une annexe au traité principal, datée du 1er juillet 1878. Ces conditions étaient les suivantes :
1° un tribunal musulman, s'occupant exclusivement des affaires religieuses, continuera d'exister;
2° un résident musulman dirigera, de concert avec, un délégué britannique, l'administration des biens fonds, des mosquées, cimetière, écoles musulmanes et autres établissements religieux de l'île;
3° l'Angleterre tiendra compte à la Sublime Porte de l'excédent des revenus de l'île appliqué à l'administration;
4° la Sublime Porte pourra librement disposer des biens fonds appartenant à l'État ou à la couronne, dont le produit ne fera pas partie des revenus de l'île;
5° l'Angleterre se réserve le droit d'expropriation pour cause d'utilité publique;
6° dans le cas où la Russie restituerait à la Turquie Kars et les autres conquêtes faites par elle en Arménie pendant la dernière guerre, l'île de Chypre serait évacuée par l'Angleterre et la convention en date du 4 juin cesserait d'être en vigueur.
La cession de l'île à l'Angleterre était conditionnelle, comme on le voit. Mais en fait, celle-ci considéra sa prise de possession comme absolue et irrévocable, et elle donna à son occupation tous les caractères d'un établissement définitif. L'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l'Allemagne en 1914 fournit aux Britanniques le prétexte d'une annexion explicite de Chypre. Le congrès de Lausanne, en 1924, entérina cette annexion, et l'année suivante, le statut de colonie britannique fut octroyé à Chypre.
Indépendance et partition.
La population chypriote grecque, rangée derrière l'archevêque de Nicosie, à commencer à se rebeller contre l'occupation britannique à partir de 1931, et à réclamer le rattachement de l'île à la Grèce (doctrine dite de l'enosis); des tensions sont apparues aussi, à partir de là entre les composantes grecque et turque de la population. Après la Seconde guerre mondiale, la position des Chypriotes grecs se radicalise et une résistance armée s'organise (création en 1955 par Gheorgios Grivas de l'EOKA, Organisation nationale des combattants chypriotes), en même temps que se développe chez les Chypriotes turcs la doctrine dit du taksim, c'est-à-dire de la partition de l'île. Sous la pression des États-Unis, inquiets de l'envenimement des relations de trois pays de l'OTAN impliqués dans ce conflit (Royaume-Uni, Grèce et Turquie), l'indépendance de l'île est finalement accordée en 1960. Un traité confère toutefois un droit d'intervention à la Grèce, à la Turquie et à l'Angleterre. Cette dernière conservant par ailleurs sur l'île deux bases militaires (Akrotiri et Dhekelia).
La République de Chypre est proclamée; une constitution est adoptée qui règle le partage des pouvoirs entre chypriotes grecs et chypriotes turcs, et confère notamment la présidence à un Grec. C'est ainsi que Mikhaïl Mouskos (archevêque de Nicosie sous le nom de Makarios III) devient le premier président de Chypre. Mais cette accession au sommet de l'État d'un ancien partisan de l'enosis, ne peut qu'être mal perçue par la partie turque de la population, surtout au moment où des activistes de l'EOKA, aux positions bien plus extrémistes, attisent les oppositions entre les deux communautés. En décembre 1963, des violences éclatent dans la capitale, Nicosie. En dépit du déploiement de 2400 soldats de la paix de l'ONU en 1964, la violence sporadique d'intercommunautaire continuera de sévir. Elle forcera bientôt la plupart des Chypriotes turcs à se réfugier dans des enclaves protégées réparties dans l'ensemble de l'île.
Parallèlement, les relations de Chypre se tendent avec la Grèce, qui subit la dictature des Colonels à partir de 1967. Le paroxysme de la mésentente intervient en 1974, quand Makarios exige le départ des officiers grecs présents à Chypre. Le 15 juillet 1974, un coup d'État commandité par les Colonels renverse Makarios, qui doit s'enfuir. L'action provoque une intervention militaire de Turquie, le 20 juillet, au Nord de Chypre. Quatre jours plus tard, le régime des Colonels est renversé à son tour, à Athènes, mais les forces turques continuent d'avancer. En août, plus du tiers du territoire Chypriote est occupé. On assiste alors à des mouvements massifs de population : les Chypriotes turcs quittent le Sud pour s'installer dans la partie sous contrôle turc; les Chypriotes grecs quittent le Nord pour rejoindre la partie grecque, où Makarios retrouve ses fonctions de président, et les conservera jusqu'à sa mort en 1977. Spyros Kyprianou lui succédera jusqu'en 1988.
En 1983, le secteur tenu par les Turcs, qui s'était défini en 1975 comme un État autonome, se proclame désormais « République turque de Chypre du Nord ». Cet État, dirigé par Rauf Denktash, sera reconnu seulement par la Turquie. En 1996 des affrontements ont lieu le long de la zone tampon créée par l'ONU entre les deux parties de l'île le long de ce que l'on a appelé la Ligne Attila. La médiation tentée par les Nations Unies l'année suivante sera un échec. La situation semble encore empirer en 2001, quand la Turquie annonce qu'elle pourrait annexer purement et simplement la République de Chypre du Nord, si Chypre, qui a déposé une candidature d'adhésion dès 1990, devait entrer dans l'Union européenne, sans qu'il y ait eu une réunification préalable. De nouvelles rencontres sont organisées en 2002 par l'ONU entre les dirigeants de la partie grecque (Glafcos Clerides, puis Tassos Papadopoulos) et ceux de la partie turque (Rauf Denktash). Après deux années de négociations, les pourparlers, largement placés dans la perspective de cette possible entrée dans l'Union européenne, aboutissent à l'organisation, en avril 2004, d'un double référendum sur la réunification de l'île. Mais cette réunification, acceptée du côté turc, sera rejetée par la population grecque. Malgré cela, et aussi malgré le fait que Chypre ne se situe pas géographiquement en Europe, l'île tout entière est entrée dans l'Union européenne le 1er mai 2004. Ainsi actuellement, chaque Chypriote titulaire d'un passeport de Chypre a le statut de citoyen européen, mais les lois communautaires ne concernent à ce jour que la partie grecque. Les efforts qui sont faits depuis par l'Union européenne pour établir des liens commerciaux et économiques directs avec Chypre du Nord se heurtent aux réticences de Nicosie. Mais l'action internationale (Union européenne et Nations unies) pour faciliter les relations commerciales entre les deux parties de l'île commencent à porter ses fruits (ouverture de points de passage au début de 2007, entre les parties Nord et Sud de la vieille ville, à Nicosie) André Berthelot/C Kholer)