13 Septembre 2018
26La colonisation anglaise en Amérique est imprégnée, en revanche, de profondes convictions religieuses protestantes. Il s’agit de créer une société à « propension théocratique », en conservant les valeurs de l’Angleterre. Les premiers contacts en Virginie, à Jamestown en 1607, ont été plutôt bons. En 1614 la fille de Powhatan, Pocahontas, se convertit au christianisme et épouse John Rolf, un planteur anglais. Elle devient Lady Rebecca et part en Angleterre où elle meurt. Cet espoir de métissage sera sans lendemain. Les Indiens sont vécus comme des êtres maudits, issus de la race de Cham, le fils indigne de Noé. Des voix s’élèvent pour les éliminer. Des raids meurtriers en 1622 et 1642 déciment les populations qui ont résisté au choc microbien. Rares sont les tentatives pour apprendre leur langue. Celle du pasteur John Elliott (1604-1649) constitue une exception notable. Il apprend la langue des Algonquins, traduit la Bible, crée des communautés (« les villages de prière »), éduque les enfants. La communauté des Quakers se distingue aussi par sa bienveillance et sa tolérance.
La monarchie britannique formule des vœux qui rappellent ceux de la monarchie espagnole sur la nécessité de faire connaître la foi chrétienne à ces peuples « sauvages ». Cela figure dans la charte de la Massachusetts Bay Company. Chassés par les persécutions les puritains ont accosté à Plymouth en 1620. Cette première vague ne fera que s’amplifier. Ils sont résolus à former un monde nouveau, animé par leur foi. Des minorités religieuses y trouveront refuge. Les Indiens, eux, sont exclus de ce monde nouveau. Les colons puritains anglais n’hésitent pas à les massacrer en 1637 sur la Mystic River. Les Indiens Pequot sont quasiment exterminés. Le risque qu’il faut éviter c’est l’indianisation des Européens.
Les Indiens finiront par être christianisés, mais ils sont d’abord simplement repoussés. Les principales différences avec La Nouvelle Espagne sont les suivantes.
Les Amérindiens du Nord étaient moins nombreux et moins organisés que ceux du Sud. Ils sont, pour la plupart, nomades. Leur civilisation est moins brillante. Ils subissent, outre les maladies, une colonisation massive.
En effet, les colonies anglaises sont des colonies de peuplement. La culture du tabac en Virginie est très vite profitable.
Entre 1619 et 1622 on compte 3000 colons de plus. Les émigrants sont déjà 12000 vers 1640. La colonisation espagnole a été bien moins nombreuse par rapport à la population indigène.
Les Anglais vont inventer les réserves : « En 1646, un traité concède aux vaincus un territoire à l’écart des Européens, en échange d’un tribut annuel de peaux de castor… Le temps des réserves était né. »
C’est là le pire, les Indiens sont exclus.
Cette politique se perpétuera et s’aggravera après l’Indépendance. Elle s’accompagne d’une expropriation générale.
Le Massachusetts, par exemple, fut l’objet d’une « occupation collective, massive et communautaire. Les nouveaux venus émigraient en famille et en nombre. »
Les esclaves noirs, beaucoup plus nombreux en Amérique du Nord qu’en Amérique espagnole viendront compenser les déficits indigènes, pour travailler dans les plantations.
27L’Amérique du Nord a donc fondé sa colonisation sur une discrimination, une expropriation, voire une élimination ultérieure de la population indienne.
Il n’a jamais été question de fonder un peuple nouveau avec les Indiens mais un Monde Nouveau sans eux (de préférence WASP, white, anglo-saxon, protestant).
On comprend qu’elle ait eu intérêt à noircir le tableau de la Conquête espagnole qui a donné naissance à un nouveau peuple dans un Nouveau Monde. Pierre Chaunu a clairement dénoncé cette propagande cynique :
La légende anti-hispanique dans sa version américaine joue […] le rôle salutaire d’abcès de fixation[…]. Le prétendu massacre des Indiens au XVIesiècle par les Espagnols couvre l’objectif massacre de la colonisation en frontière au XIXe siècle [par les Américains]. L’Amérique non ibérique et l’Europe du Nord se libèrent de leur crime sur l’autre Amérique et l’autre Europe.
28La terre vierge tant vantée ne l’était pas. Lorsque la Terre Promise est volée aux hommes qui l’habitent, elle est volée à Dieu. Gardons-nous, toutefois, de remplacer la « légende noire » par une « légende rose », qui occulterait les tragédies de la conquête espagnole.
Je remercie Marie-Christine Michaud qui m’a fait confiance dans l’élaboration de ce travail, mes collègues hispanistes Daniel Attala, Joël Delhom, François Martinez, et historiens, qui, par leurs critiques, m’ont permis de l’améliorer, en particulier Christophe Cérino qui l’a relu amicalement. Il va de soi que les opinions défendues ici n’engagent que leur auteur.