20 Octobre 2018
Pourquoi parler de cet auteur Georges Bataille
Un auteur talentueux, il fut malheureusement malgré une excellente éducation de son époque, un homme ayant terminé idem au marquis de Sade. Son parcourt nous explique comment par des exemples indignes de personnes se disant religieuses (religieux ou laïque) ont faillis à leurs enseignements. Les évènements mondiaux et le développement de la technologie ont contribué à accentué cette déviation, d’où le rejet du monde ancien.
Actuellement, avec les évènements mondiaux, et de surcroît les attentats religieux, n’avons-nous pas failli nous aussi dans l’éducation de nos jeunes ? Comment rétablir un monde de frères et sœurs, dans le respect de Dieu et aussi dans le respect de l’amour pas seulement humain, mais également de toute la création planétaire.
La survie des humains en bonne santé morale, et physique est en jeu.
Georges Bataille
Georges Bataille, né le 10 septembre 1897 à Billom (Puy-de-Dôme), mort le 9 juillet 1962 à Paris, est un écrivain français.
Multiforme, son œuvre s'aventure à la fois dans les champs de la littérature, l'anthropologie, la philosophie, l'économie, la sociologie et l'histoire de l'art. Érotisme et transgression sont les deux termes les plus communément attachés à son nom.
Il est également connu sous les pseudonymes de Lord Auch, Pierre Angélique, Louis Trente et Dianus. Georges Bataille est enterré au cimetière de Vézelay dans l'Yonne
. Biographie
Georges Albert Maurice Victor Bataille est né à Billom dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne, de Joseph-Aristide Bataille (1851), fonctionnaire d'État, et Antoinette-Aglae Tournarde (1865). Son père était syphilitique et aveugle. Sa famille s'est installée à Reims en 1898, où il a reçu le baptême. Il a fait ses études à Reims, puis à Épernay.
Le choc de la Première Guerre mondiale
Reims étant menacée par l’artillerie allemande, dès 1914, sa mère laisse son époux sur place et fuit en compagnie de ses deux fils pour se réfugier dans sa famille à Riom-ès-Montagnes dans le Cantal. Là, Georges peut continuer ses études et décide que « son affaire en ce monde est d’écrire, en particulier d’élaborer une philosophie paradoxale ».
Cette même année, il passe avec succès son baccalauréat. Puis son père meurt, le jeune homme en est d’autant plus culpabilisé que sa mère lui a interdit d’aller le rejoindre. Mobilisé en 1916, il est rapidement rendu à la vie civile pour insuffisance pulmonaire.
Alors qu’il avait été élevé hors de toute religion, ses parents étant athées, il se convertit au catholicisme en 1917 et entre au grand séminaire de Saint-Flour pour devenir prêtre. Mais sa passion pour le Moyen Âge reste la plus forte. L’année suivante, il abandonne toute idée de vocation religieuse après avoir été admis à l’École des chartes. Il s’installe à Paris où il se lie d’amitié avec le peintre André Masson. En 1918, il publie Notre-Dame de Reims, un opuscule de six pages célébrant la cathédrale gravement endommagée par les bombardements.
De Bergson à Freud en passant par Nietzsche
En 1920, alors qu’il séjourne à Londres, il rencontre Henri Bergson. Le philosophe l’invite à dîner chez lui et lui propose la lecture du Rire. Celle-ci le laissera sur sa faim, mais déjà Bataille considère ce phénomène typiquement humain comme essentiel.
Après avoir rompu avec le catholicisme lors d’une visite à l’abbaye Notre-Dame de Quarr, sur l’île de Wight, il revient à Paris soutenir avec succès sa thèse sur « L’Ordre de chevalerie, conte en vers du XIIIe siècle », et reçoit son diplôme d'archiviste-paléographe de l’École des chartes en 1922. Il part alors en stage à l’École des hautes études hispaniques de Madrid.
Attiré par les corridas, il fréquente les arènes de Madrid. Au cours de l’une d'elles, il assiste à la mort de Manuel Granero ; le torero est énucléé par les cornes du taureau qui s’acharne sur lui jusqu’à réduire son crâne en bouillie. Bataille, très marqué, n’oubliera jamais cette scène où s’étaient, pour lui, croisées mort et sexualité.
De retour en France, nommé bibliothécaire stagiaire, il commence sa carrière à la Bibliothèque nationale. Il découvre alors l’œuvre de Friedrich Nietzsche, ses théories sur la mort de Dieu et le crépuscule de la civilisation occidentale. En 1923 il lit Freud et rencontre régulièrement Léon Chestov, ensemble, ils traduisent en français son livre L’Idée de bien chez Tolstoï et Nietzsche. Tout comme le philosophe allemand, le philosophe russe a une influence très profonde sur Bataille.
Sa rencontre avec Michel Leiris
Il est nommé bibliothécaire au Département des Médailles de la Bibliothèque nationale, en 1924. S’il se plonge dans le premier Manifeste du surréalisme qu’il trouve « illisible », cette année est surtout marquée par sa rencontre avec Michel Leiris. Ce dernier a décrit leur premier rendez-vous :
« Cela se passa dans un endroit très tranquille et très bourgeois tout proche de l’Élysée, le café Marigny, un soir de je ne sais plus quelle saison (mais sans doute pas l’été car je crois que Bataille portait, outre un chapeau de feutre gris, un pardessus de ville à chevrons noirs et blancs). »
Très rapidement les deux hommes se lient d’amitié et Leiris confie :
« J’admirais non seulement sa culture beaucoup plus étendue et diverse que la mienne, mais son esprit non conformiste marqué par ce qu’on n’était pas encore convenu de nommer l’humour noir. J’étais sensible aussi aux dehors mêmes du personnage qui, plutôt maigre et d’allure à la fois dans le siècle et romantique, possédait (en plus juvénile bien sûr et avec une moindre discrétion) l’élégance dont il ne se départirait jamais, alors même, que son maintien alourdi lui aurait donné cet air quelque peu paysan que la plupart ont connu, élégance tout en profondeur et qui se manifestait sans aucun vain déploiement de faste vestimentaire. À ses yeux assez rapprochés et enfoncés, riches de tout le bleu du ciel, s’alliait sa curieuse dentition de bête des bois, fréquemment découverte par un rire que (peut-être à tort) je jugeais sarcastique. »
A propos de la supposée tentation fasciste de Bataille, souvent évoquée, notamment par Klossowski, Leiris dira dans sa dernière interview accordée à Bernard-Henri Lévy en 19898 :
« Ce n’est pas une invention de Klossowski, cela s’est dit. À mon avis, Bataille était profondément antifasciste. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il était impressionné par les moyens de propagande du fascisme, par le charisme d’Hitler. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’il était fasciné. Son rêve, c’aurait été de trouver, au profit de la gauche, des moyens de propagande aussi efficaces que les moyens déployés à l’extrême droite. Je crois que c’est ça que l’on peut dire. »
que les moyens déployés à l’extrême droite. Je crois que c’est ça que l’on peut dire. »
L'engagement politique et antifasciste
Au début des années 1930, Bataille, membre du Cercle communiste démocratique fondé et dirigé par Boris Souvarine, écrit dans sa revue La Critique sociale. En octobre 1933, il adhère à l'association d'extrême gauche, Masses, dirigée par René Lefeuvre, administrée par Jacques Soustelle, et soutenue par Simone Weil. Il y rencontre Dora Maar.
Dans ce contexte, en marge des Ligues et du Front populaire, Bataille fonde le mouvement Contre-attaque qu'il dirige dans ses grandes lignes théoriques. Après un premier moment de lutte conduite ensemble (“Contre-Attaque”. Union de lutte des intellectuels révolutionnaires est signé par les deux), la rupture entre Bataille et André Breton est déclarée.
Le Collège de sociologie
En 1937 il a fondé une société secrète, Acéphale, dont le symbole est un homme décapité. Un an plus tôt, a commencé un magazine portant le même titre. Le groupe a également publié une revue éponyme de la philosophie de Nietzsche qui a tenté de postuler ce que Jacques Derrida a appelé une « anti-souveraineté ». Les collaborateurs de ces projets comprenaient André Masson, Pierre Klossowski, Roger Caillois, Jules Monnerot, Jean Rollin et Jean Wahl.
Fondateur de plusieurs revues (dont en 1946, la revue Critique plus tard dirigée par son ami Jean Piel) et groupes d'écrivains, il est l'auteur d'une œuvre abondante et très diverse, publiée en partie sous pseudonyme : récits, poèmes, essais sur d'innombrables sujets. Il débat ainsi au sein du Collège de sociologie (1937-1939) avec les ethnologues Roger Caillois, Michel Leiris et Anatole Lewitzki. Relativement peu connu de son vivant, il exercera après sa mort une influence considérable sur des auteurs tels que Michel Foucault, Philippe Sollers ou Jacques Derrida.
Le conservateur de l'Inguimbertine de Carpentras. Une des salles de la Bibliothèque Inguimbertine
En 1949 que Bataille reçoit sa nomination de conservateur à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. Le chartiste, qui a fait toute sa carrière à la Bibliothèque nationale, en disponibilité depuis sept ans à cause d’une tuberculose, s'est marié en 1946 avec Diane Kotchoubey de Beauharnais puis la naissance, trois ans plus tard, de leur fille Julie, lui a imposé, bon gré mal gré, de reprendre du service. Il arrive dans la capitale du Comtat Venaissin avec sa jeune épouse et leur bébé.
Rencontre avec René Char et Albert Camus
Sur place, Bataille invite à une rencontre mémorable ses amis Albert Camus et René Char, directeurs de la revue Empédocle, ils viennent avec leur cofondateur Albert Béguin ainsi que Jacques Dupin, secrétaire de rédaction de la revue, avec lequel il se lie d’amitié. Il y publiera Comment dire ?. Cette même année, il rencontre Francis Ponge, André Frénaud, Georges Schehadé et Georges Braque.
L'écriture et l'engagement de l'écrivain
Au cours de l’année 1950, ses rencontres avec René Char, son voisin de l'Isle-sur-la-Sorgue, débouchent sur une estime et une amitié sincères. Peu après le lancement de la revue Critique que dirige Bataille, le poète lui avait écrit : « Toute une région majeure de l’homme dépend aujourd’hui de vous ».
Les discussions entre les deux hommes incitent René Char à poser, en mai de cette année, dans sa revue Empédocle, cette question piège : « Y a-t-il des incompatibilités ? » Attend-il une réponse de la part des écrivains et à des intellectuels sans préjuger du ou des sujets abordés ou, avant tout, espérait-il la contribution de Georges Bataille ? Il ne fut pas déçu.
Elle fut des plus ambitieuses en abordant le problème de l’action opposée au langage, celui du langage comme mode de l’action qui entraîne l’écrivain vers une remise en cause de sa position : « Y aurait-il des incompatibilités entre l’écriture et l’engagement ? ».
Cette analyse, à une époque où l'existentialisme de Sartre pesait de tout son poids, l'entraîna dans la dissection d’un monde en mutation et des rapports de l’intellectuel au pouvoir, questions aussi essentielles qu’intemporelles.
La fascination de la cruauté : Le cruel face à face entre toro et torero
Pablo Picasso
Fasciné par le rituel de sacrifice humain, il s'amuse dans les cafés parisiens à montrer les photographies de ces sacrifices aux personnes venus s'attabler. Cette fascination l'a conduit à la fondation d'Acéphale, une revue d'inspiration nietzschéenne, mais aussi d'une société secrète visant à créer « la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté ».
Ce fut en 1950 il assiste aux corridas de Nîmes, accueilli par André Castel, un bibliophile, grand aficionado et œnologue nîmois dont son ami Michel Leiris avait fait la connaissance en 1938. Outre Georges Bataille, le couple Leiris entraînait chez Castel Jean Dubuffet, André Masson, Jean Paulhan et Blaise Cendrars, Jean Cocteau et ses riches amies, mais aussi Pablo Picasso.
Le Nîmois, que tous appellent Don Misterio, les reçoit dans la cour de son laboratoire d’œnologie, parmi des toreros célèbres, des danseuses et des chanteurs de flamenco. En dépit de l’épisode Dora Maar, les relations entre Bataille et Picasso ont peu souffert. Celui-ci arrivait avec sa compagne Françoise Gilot, qui avait remplacé la célèbre photographe, et le couple formé par Georges et Diane filait le parfait amour. De plus, leur passion taurine gommait tout.
L’Histoire de l'œil qu’il écrit vers 1926, développe le thème de ce fantasme morbido-sexuel. Considérant la corrida comme un rituel et reliant la tauromachie à son vision personnelle de l’univers comme confrontation de forces, Bataille intellectualise son afición vers un mythe mithriaque qu’il développe dans son Soleil pourri.
De Mithra au Minotaure
Bataille établit un parallèle entre Mithra dont le culte est à ce moment-là découvert et analysé par l’anthropologie – toute nouvelle science – et la corrida. Culte qui permet de retrouver l’animalité, le sexe, la transgression et le sacrifice. Dans ce texte fondamental paru dans le no 3 de Documents, en 1930, il évoqua Mithra à propos de Picasso et de ses Minotaures.
Le thème du Minotaure situait la naissance de l’homme à partir de l’animalité. Il existait pour Bataille un lien profond entre les deux. Pour lui, afin de retrouver son caractère sacré l’homme devait replonger dans l’animalité. Il se parait alors du prestige et de l’innocence de la bête.
Son analyse alla-t-elle jusqu’à influencer l’art de Picasso ? C’est possible. Puisque les historiens d’art ont identifié une iconographie mithraïque dans la Crucifixion de Picasso, tableau qui date lui aussi de 1930. Trois ans plus tard, Picasso fait la première de couverture de la revue Minotaure éditée par Bataille et lui prend au passage sa maîtresse Dora Maar, photographe surréaliste.
Du blasphème de Sade au sacré de Bataille
Le grand saint Gens, intercesseur de la pluie et du beau temps
Ce fut en cette année 1950 que Georges Bataille publia L’Abbé C.. Il dédicaça un exemplaire à Pierre Klossowski, éminent spécialiste de Sade, en ces termes : « À Pierre, ce livre qui conserve ou conserve une affection qui compte essentiellement pour moi, Georges. »
Dans les faits, il y a un parallèle à faire entre l’Abbé C. de Bataille et le Dialogue entre un prêtre et un moribond de Sade. Chez les deux auteurs le thème central reste la transgression du sacré, du divin. Si pour Sade le Dialogue est l’une de ses affirmations les plus irréductibles de son athéisme, dans l’ABC de Bataille, il y a la certitude que Dieu est mort (l’idée de Dieu, précise Bernard Noël) parce que nous savons bien que tout ce qui s’engage dans le temps est condamné à périr.
Ce qui fait dire à Jacques Lempert à propos des deux auteurs : « L'érotisme est le point nodal de toute leur vision du monde concentrant en ses feux toute la systématique d'une pensée profondément originale ».
Qu'on en juge : Sade résume son Dialogue en cette formule éclair : « Le prédicant devint un homme corrompu par la nature pour ne pas avoir su expliquer ce qu’était la nature corrompue », et pour Bataille, la chute de l’Abbé C. se résume ainsi : « Étant prêtre, il lui fut aisé de devenir le monstre qu’il était. Même il n’eut pas d’autre issue. ».
Mais que l’on ne s’y trompe pas, alors que pour Sade profaner les reliques, les images de saints, l’hostie, le crucifix, ne devait pas plus importer aux yeux du philosophe que la dégradation d’une statue païenne, pour Bataille, le sacré reste immanence. Lors de ces fonctions de conservateur de l’Inguimbertine, il réunit d’ailleurs une importante collection d’ex-voto, en particulier ceux de Saint Gens
Pour Sade transgresser le sacré revient à cultiver le blasphème, car, explique-t-il dans La Philosophie dans le boudoir : «Il est essentiel de prononcer des mots forts ou sales, dans l’ivresse du plaisir, et ceux du blasphème servent bien l’imagination. Il n’y faut rien épargner ; il faut orner ces mots du plus grand luxe d’expressions ; il faut qu’ils scandalisent le plus possible ; car il est très doux de scandaliser : il existe là un petit triomphe pour l’orgueil qui n’est nullement à dédaigner ».
Bataille reste résolument étranger à ce type de jubilation même si sa notion de sacré n’est pas celle des religions. Car, comme l’explique Christian Limousin, là où le chrétien définit le sacré comme un rapport homogénéisant au divin, Bataille entend crachat, excrément, rupture de l’identité. S’il détourne les mots, ouvre des concepts, il disjoint le sacré de la substance transcendante. Il explique dans L’expérience intérieure : «J’entends par expérience intérieure ce que d’habitude on nomme expérience mystique : les états d’extase, de ravissement, au moins d’émotion méditée » et quand, en 1947, Méthode de méditation recherche une définition de l’opération souveraine, «la moins inexacte image » lui semble être «l’extase des saints ». Si pour lui le sacré reste à la fois fascinant et repoussant, c’est qu’il est l’espace où la violence peut et doit se déchaîner. Ce qui fait expliquer à son biographe, Jacques Lempert :
« L'érotisme est perversité au sens étymologique du terme : il tourne le vice en vertu, devinant que ce qui était défendu est en fait délicieux. Et plus le tabou n’est ressenti comme ne pesant, pas plus sur sa transgression, celle-ci en sera délicieuse. »
Pour Bataille « La transgression n'abolit pas l'interdit mais le dépasse en le maintenant. L'érotisme est donc inséparable du sacrilège et ne peut exister hors d'une thématique du bien et du mal ». Et Lempert de conclure sur un mode badin : « Le détour par le péché est essentiel à l'épanouissement de l'érotisme : là où il n'y a pas de gêne, il n'y a vraiment pas de plaisir ».
Une littérature de transgression
Bataille eut un talent interdisciplinaire étonnant, il puisa dans des influences diverses et avait l'habitude d'utiliser divers modes de discours pour façonner son œuvre. Son roman Histoire de l'œil, par exemple, publié sous le pseudonyme « Lord Auch »21, fut critiqué initialement comme de la pure pornographie, mais l'interprétation de ce travail a graduellement mûri, révélant alors une profondeur philosophique et émotive considérable ; une caractéristique d'autres auteurs qui ont été classés dans la catégorie de la « littérature de transgression ». Le langage figuré du roman repose ici sur une série de métaphores qui se rapportent à leur tour aux constructions philosophiques développées dans son travail : l'œil, l'œuf, le soleil, la terre, le testicule. Bien que le récit soit peut-être dans sa structure le plus « classique » des récits de Bataille, reposant dans un crescendo menant à une scène finale opérant une synthèse transgressive et poétique de l'ensemble des obsessions rencontrées dans le roman, cette première œuvre marque déjà le génie de l'auteur pour les mises en scènes érotiques, et affirme son style.
D'autres romans célèbres incluent Ma mère et Le bleu du ciel. Le bleu du ciel avec ses tendances nécrophiles et politiques, ses nuances autobiographiques ou testimoniales, et ses moments philosophiques chamboulent Histoire de l'œil, fournissant un traitement beaucoup plus sombre et morne de la réalité historique contemporaine. Ma mère est un roman publié à titre posthume en 1966. Il fut plutôt faussement considéré comme inachevé. En réalité, Bataille n'a pas fini le recopiage du manuscrit final, mais a accolé deux manuscrits l'un après l'autre (le manuscrit « vert » et le manuscrit « jaune ») de sorte que le texte possède un dénouement et une fin acceptable, offrant une cohérence permettant le commentaire littéraire. Ma mère est un récit sur l’initiation aux vices d'un fils par sa mère. Loin d'être simplement un roman provoquant (avec la suggestion évidente de l'inceste), il représente plutôt une synthèse des préoccupations de Bataille durant l'ensemble de son œuvre alliée à la totale maturité de son style littéraire. La genèse de Ma mère tout comme son analyse mériterait un article à part.
Le fondateur de l'athéologie
Bataille était également un philosophe (bien qu'il ait renoncé à ce titre), mais pour beaucoup, comme Sartre, ses prétentions philosophiques se bornent à un mysticisme athée. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, influencé par Heidegger, Hegel, et Nietzsche, il écrit La Somme athéologique (le titre se réfère à la Somme théologique de Thomas d'Aquin) qui comporte ses travaux L'Expérience intérieure, Le Coupable et Sur Nietzsche. Après la guerre il compose La Part maudite, et fonde l'influente revue Critique. Sa conception très particulière de la « souveraineté » (qui peut être considérée comme anti-souveraine) a été discutée par Jacques Derrida, Giorgio Agamben, Jean-Luc Nancy et d'autres.
L'érotisme face à la mort
Bataille jeta ainsi les bases de son œuvre érotique, de son érotisme qui est une : « ouverture entre les ouvertures pour accéder tant soit peu au vide insaisissable de la mort », a commenté Michel Leiris. L’érotisme de Sade ne lui ressemble en rien. Pierre Klossowski l’a analysé en ces termes : « La persévérance du Divin Marquis, toute sa vie durant, à n’étudier que les formes perverses de la nature humaine prouve qu’une seule chose lui importait : la nécessité de rendre à l’homme tout le mal qu’il est capable de rendre ».
Pour le Divin, la seule attitude face à la mort reste la recherche d’une ultime volupté. C’est du moins les phrases qu’il met dans la bouche du moribond expliquant à son confesseur : « Renonce à l’idée d’un autre monde, il n’y en a pas, mais ne renonce pas au plaisir d’être heureux… Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l’ai encensé toute ma vie, et j’ai voulu la terminer dans ses bras ».
Quant à Bataille, qui toute sa vie s’était « dépensé jusqu’à toucher la mort à force de beuveries, de nuits blanches et de coucheries », il était tout à fait hostile à cet ultime type de libertinage. Pour lui la réduction de l’être humain à un corps source de plaisir physique refoulait, à l’instar du christianisme, la dimension spirituelle de l’érotisme. Lui qui avait perdu la foi, en 1920, après la lecture du Rire de Henri Bergson, lui qui avait écrit le Rire de Nietzsche, lui dont le rire fêlé passait pour sarcastique, face à la camarde il privilégia avec une ironie noire un dernier éclat de rire, ce rire, disait-il, qui précipite « l’agonie de Dieu dans la nuit noire », persuadé qu’il était que « dans le rire infini la forme divine fond comme du sucre dans l’eau ». Alors que le maître de Lacoste n’envisageait d’attendre sa fin que dans les délices du stupre, le conservateur de l’Inguimbertine se posait la question : « Qui pourrait supprimer la mort ? Je mets le feu au bois, les flammes du rire y pétillent ».
Son dernier poste à Orléans
Bison et sorcier ithyphallique
Bataille est nommé conservateur de la Bibliothèque municipale d’Orléans, où il s’installe avec son épouse et leur fille en 1951. Si l’année suivante, il est fait chevalier de la Légion d’honneur, il va devoir attendre 1955 pour faire éditer ses deux ouvrages sur l’histoire de l’art : La peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de l’art et Manet. Son artériosclérose cervicale le handicape de plus en plus.
Gravement malade, il doit être hospitalisé à deux reprises au cours de l’année 1957. Il parvient cependant à faire publier Le bleu du ciel, qu’il dédie à André Masson, ainsi que La Littérature et le Mal et L’Érotisme, dédiés à Michel Leiris. Un an plus tard, avec l’aide de Patrick Waldberg, Bataille tente de lancer la revue "Genèse", mais Maurice Girodias, l’éditeur pressenti, annule leur projet.
Alors qu’il a de plus en plus de difficultés à travailler, il publie en 1959 Le Procès de Gilles de Rais, ouvrage dont se servira son neveu Michel Bataille pour établir une biographie de Gilles de Rais. Souffrant en permanence, il parvient pourtant à finir en 1961 Les Larmes d’Éros, le dernier livre qu’il verra éditer. Muté à la Bibliothèque nationale, il quitte Orléans, mais ne peut prendre ses fonctions. Il décède à Paris, le 9 juillet 1962, et est inhumé à Vézelay.
Réception de son vivant
Critiqué par Breton, puis Sartre
Georges Bataille estimant que le surréalisme, sous la houlette d’André Breton, restait bien trop hégélien et trahissait le réel « dans son immédiateté pour un surréel rêvé sur la base d’une élévation d’esprit28 » avait fondé en 1929 une revue anti-surréaliste, Documents, à laquelle contribuèrent des peintres, des écrivains, des historiens d’art et des ethnologues en quête des « traces d’un refoulé sur lequel se sont édifiées la culture et la rationalité occidentales ». Parmi les collaborateurs de Documents on relève les noms des plus grands artistes, poètes et intellectuels de l’époque, dont Joan Miró, Picasso, Giacometti, Arp et André Masson, ainsi que des écrivains comme Michel Leiris et Robert Desnos et des photographes comme Jacques-André Boiffard et Karl Blossfeldt.
Allant plus loin encore, Bataille estima que Breton et les surréalistes faisaient de Sade, « ce dépensier de langage », un usage bien futile.
Dans son Second manifeste du surréalisme, Breton montra l'exaspération qu'il éprouvait à son égard. Bataille y est présenté comme un malade atteint de « déficit conscient à forme généralisatrice », un « psychasthénique » qui se meut avec délectation dans un univers « souillé, sénile, rance, sordide, égrillard, gâteux ».
Sartre le prit pour cible quinze ans plus tard dans un article au titre ironique, « Un nouveau mystique31 », qui fait suite à la parution du premier ouvrage signé du nom de Bataille, L'Expérience intérieure. Il est successivement qualifié de « passionné », de « paranoïaque » et de « fou ». Le philosophe lui suggérait un traitement à la fin de l'article : « Le reste est affaire de la psychanalyse ».
Salué par Foucault
En 1970, lors de la parution aux Éditions Gallimard du premier volume des œuvres complètes, Michel Foucault a écrit dans sa préface : « On le sait aujourd’hui : Bataille est un des écrivains les plus importants de son siècle »