Le chêne, l’arbre de la justice
Pour la qualité, il n’y aurait pas non plus de problème. Selon Aymeric Albert, la majorité de ces chênes ont atteint l’âge vénérable, 120 à 150 ans, et la taille nécessaire pour être utilisés en charpente : « Les plus vieux de nos chênes atteignant 450 ans se trouvent notamment dans les forêts de Tronçay (Allier) et de Bercé (Sarthe), ayant été plantés sous Colbert [XVIIe siècle]. » Et précise-t-il, « pour des charpentes, qui sont par définition cachées, il n’est pas nécessaire de disposer d’une qualité exceptionnelle, d’arbres parfaits, ils peuvent ainsi avoir des nœuds dans le bois, ce qui n’est pas possible pour les parquets ou les tonneaux. »
Pour l’auteur du Dictionnaire des cathédrales (Gisserot Editions, 2018), Mathieu Lours, il existe « une histoire ancienne » entre ce matériau noble et les charpentes des grands édifices : « Le chêne permet d’avoir des bois de haute futaie et quand on a besoin de portée de douze à quinze mètres, il est très pratique. »
Il avait, de plus, selon ce spécialiste de la construction des cathédrales, « une portée symbolique, c’était l’arbre de la justice, l’arbre royal sous lequel s’asseyait Saint-Louis ». « C’était aussi l’arbre que l’on trouvait dans les domaines appartenant à l’église. De plus, au XIIIe siècle, les bois exotiques mentionnés dans la Bible, comme le cèdre, n’existaient pas en France. Celui-ci a été introduit au XVIIIe siècle, à l’époque de Buffon », ajoute Mathieu Lours.
Pour autant, Mathieu Lours explique que de nombreuses cathédrales, détruites par des incendies ou les guerres – Chartres, Nantes, Reims, Rouen, Soissons, Noyon, etc. – ont vu leur charpente reconstruite en métal ou en béton.
« On a la capacité en termes de ressources »
Mais ces choix n’ont pas été dictés par un manque de ressources. « Si on ne fait pas la charpente en bois, ce sera un parti pris architectural ou technique, parce que les murs ne seraient, par exemple, pas assez consolidés. On a le bois, la technicité, et les moyens financiers – avec Groupama qui a déjà proposé d’offrir 1 300 chênes de sa forêt privée – aujourd’hui, ce n’est pas un problème. Notre-Dame était surnommée la forêt, cela a une signification. Avec deux symboles forts : le matériau utilisé et le geste de la main », avance Marie Dupuis Courtes, directrice de la maison Dupuis, une entreprise normande spécialisée dans la couverture et les charpentes, pour les chantiers de restauration de monuments historiques.
« Avec les 210 entreprises habilitées à intervenir sur les monuments, nous sommes prêts pour ce chantier, en respectant les traditions, ce que nous ont transmis les anciens, les compagnons. Mais pas en cinq ans », insiste la chef d’entreprise.
Quant à l’éventuelle opposition d’organisations de défense de l’environnement, promptes à s’opposer à l’abattage de forêts, anciennes qui plus est, elle ne devrait pas se manifester. « Les 3 000 mètres cubes dont on aurait besoin ne représentent rien, au regard des soixante millions coupés chaque année. On a la capacité en termes de ressources. C’est même une bonne chose d’aller chercher ce bois dans les forêts françaises. De plus, c’est un matériau écologique, durable », explique Adeline Favrel, coordonnatrice du réseau Forêt à France nature environnement (FNE).
Reconstruire avec des chênes âgés rendrait même service à la planète. « S’ils ont atteint les diamètres nécessaires, cela signifie qu’ils sont âgés et issus d’une sylviculture qui les a laissés grandir, jouer un rôle pour la biodiversité, qu’ils ont séquestré une grande quantité de CO2 et qu’en les coupant, plutôt que de les brûler, le carbone restera séquestré », ajoute Mme Favrel. Ne reste plus qu’à attendre les recommandations des architectes.