1 Jésus est livré par Judas
Le mot que nous entendons le plus – six fois – est « livrer ». Nous sommes à la veille de la Passion du Christ, de sa souffrance la plus brutale, la plus extrême. Et ce qui va la provoquer c’est justement le moment où Judas le livre aux mains de ceux qui veulent sa mort. Le Seigneur est pleinement conscient de ce qui va lui arriver. Il l’avait même annoncé à ses apôtres (cf. Mc 8, 31-33 ; 9, 30-32 ; 10, 32-34). Ce qui peut nous paraître plus surprenant encore, c’est que sachant tout cela, il ait choisi Judas comme apôtre (cf. Mc 3, 13-19).
Dieu nous choisit parce qu’il nous aime ; non en fonction des erreurs dont nous sommes capables. Jésus n’a pas choisi Judas pour qu’il le trahisse, tel un destin irrémédiable. Judas n’est pas un traître au début de sa vie à la suite du Christ. Saint Luc termine ainsi la liste des douze apôtres : « et Judas Iscariote, qui devint un traître. » (Lc 6, 16). Jésus a tout fait pour que Judas soit sauvé.
En lisant notre histoire personnelle, n’est-ce pas ainsi qu’agit le Seigneur envers nous ? Il vient à nous, nous appelle, nous attire, nous invite mais c’est à chacun de nous de dire « oui ». Et je peux refuser de dire « oui ». Lui est patient et inlassable parce qu’il est fidèle à l’amour qu’il a pour chacun de nous.
2. Quelle est la réponse de Jésus à ce « non » de son apôtre ? Jésus accepte et se donne. Il ne se défend pas, il ne réclame pas…
Il accepte d’être livré. Dans la première lecture, la description du Serviteur souffrant – préfiguration du Christ – illustre cette acceptation de ce qui lui arrive : «Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. (…) Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. » Et le psaume va dans la même direction : « Je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère (…) L’insulte m’a broyé le cœur (…); À mon pain, ils ont mêlé du poison ; quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre. » Nous le voyons aussi lorsqu’il est jugé : il se tait. Il ne parle que pour dire la vérité de sa mission et du Père (cf. Mt 26, 63-64 ; 27, 11.14).
De notre côté, nous réagirions violemment : comment se fait-il qu’il accepte sans broncher ?! Ce n’est pas parce qu’il est impassible. Au contraire, personne n’a fait l’expérience d’une sensibilité corporelle et affective aussi fine que Dieu fait homme. Serait-ce alors parce qu’il est trop faible pour réagir, ou assujetti ? Les paroles du Serviteur souffrant révèlent le secret de sa force : « Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. (…) Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense. » Accepter c’est bien plus que tolérer, c’est accueillir. De même, la douceur du Christ est bien plus qu’une non-violence. Le Christ peut accueillir le mal immense qui l’accable parce qu’il possède une force encore plus grande : la confiance en l’amour de son Père.
3. … et se donne
Être livré, c’est une action passive, quelque chose de subi. Mais le Christ le vit d’une manière active. C’est même lui qui se livre. Une parole de Jésus vient ainsi éclairer cette « Passion » : « Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. » (Jn 10, 17-18) Et aussi : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15, 13), et « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. » (Jn 10, 10-11) Le Seigneur, non seulement ne hait pas celui qui ne l’aime pas et le trahit, mais il l’aime et se donne lui-même pour que celui qui a commis le mal ne reste pas emprisonné en ce mal qui lui échappe des mains, et qu’il soit sauvé. Faiblesse ? Bêtise ? Ou comme la question provocante de saint Paul : « Où est-il, le sage ? Où est-il, le scribe ? Où est-il, le raisonneur d’ici-bas ? La sagesse du monde, Dieu ne l’a-t-il pas rendue folle ? » (1 Cor 1, 20). Et il répond lui-même : « Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. (…) Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Cor 1, 23-25)