25 Mai 2019
Madame Olga fait l’aumône
Le grand village de Maxéville a seulement mille cent cinquante habitants. Il a été fondé en mille cinq cent cinquante. Il a le charme de son âge. Il s’est agrandi de siècle en siècle. Il est le plus beau et le plus actif du canton. Ces trois boulevards principaux en forme de pattes d’oie, reliés par de petites rues, ont gardé le parfum et le charme des siècles passés de la Normandie, sans pour autant négliger les technologies nouvelles. Les grandes artères convergent et se rejoignent sur la place de la république. Une large impasse, conclue la carte des rues. Elle est fermée grâce à la Salle des fêtes, et d’un petit complexe sportif.
Les artères principales de l’ancienne ville sont habillées de maisons et commerces normand avec des balcons en bois fleuris. Toute la ville respire la bonne vieille France Normande. Certains jours, le vent apporte cette odeur marine enivrante. Les sens des habitants se réveillent à ce moment-là. La population s’active du matin au soir. Les personnes âgées selon le temps discutent sur un banc. Les hommes jouent aux cartes dans un bistrot les jours de pluie, les femmes se réunissent devant un café entre elles et papotent du passé et de leurs enfants. Selon leur milieu et leur âges, elles tricotent, brodent, crochètent, ou dissertent sur le dernier livre paru, ou les artistes du passé et aussi sur l’actualité « des stars ». Ainsi elles s’évadent de leur tristesse. Parfois, une tempête s’invite, alors les habitants se calfeutrent dans leur habitat.
David aime ce grand village, où il a passé toute son enfance, comme le fut sa mère. Le fait d’y revenir régulièrement lui fait garder la plupart de ses amis d’enfance. Un jour, tous l’espèrent, il sera leur vétérinaire. Tous lui font confiance. Un certain jour, il fait la connaissance de Robert, un nouvel habitant de Maxéville, grâce à sa mère, l’un de ces jours d’aumône.
Le jeune David est loin du comportement de ses parents. D’où la confiance absolue de ces amis connus ou inconnus de lui. Sa réputation n’est plus à faire. Alors qu’il était à Saint-Élie où il étudiait durant l’école primaire, il a continué à Saint-François pour sa secondaire. A la sortie des classes, il y fit preuve de grand rassembleur. Avec son ami Jean-Jacques, ils retrouvaient les gamins de la communale voisine de Saint-Élie, l’école Jules Ferry suivit du lycée Gambetta. Ainsi il a créé une bande d’amis de tous milieux.
Maintenant, il les retrouve pour la plupart d’entre eux soit le samedi aux réunions ou sur le marché, car ils sont restés amis. Ils sont les distributeurs bénévoles de la gazette des Jeunes des Maxéville.
Les Basileus sont estimés parce qu’ils vivent et agissent selon les règles de la bienséance et des convenances Normande. Ils ont le respect des coutumes ancestrales. Hélas, ce petit coin de paradis ne respecte et n’accepte que les habitants agissant selon les règles de la région. L’hypocrisie des convenances de la bienséance y règne en maître absolu, tout cela au nom de la Bible ou des ancêtres normands selon l’engagement de chacun.
La charité aussi se fait au nom de Jésus, car cela convient à la règle des habitants aussi bien pour « les petites gens », que de la « bonne société ». Les Basileus font partis de ce monde respectable. Hélas, les lampions éteints, la réalité est tout autre. Les Basileus ne dérogent pas à la règle.
Cependant, en ce qui les concerne, il est courant dans certains cas, qu’ils demandent l’avis à leur fille Clémence Courtois de la Boiserie. Elle est urgentiste et journaliste pigiste pour le compte d’une ONG en Afrique. Elle vit simplement, avec son salaire comme ceux qu’elle côtoie, sans demander les ressources de son héritage. Olga gère son patrimoine. Pour les Basileus elle est la fille rêvée. Comme David est leur fils chéri. Elle, elle est leur bon conseil. Lorsqu’ils ont un souci à propos d’un secours à effectuer quel qu’il soit, ils l’appellent.
Quoique il en soit, Pâques est passé, les cloches sont revenues, les œufs au chocolat ont été retrouvés ! Clémence est repartie en Afrique Noire.
⦁ Madame et le SDF
Un pauvre être est assis au fond de l’église. Il espère une grâce venue du ciel. Ce jour-là, Olga Basileus sans savoir pourquoi, entre dans l’église. Voulait-elle prier ou tout simplement discuter avec le prêtre, ou tout bêtement se confesser ? Quel qu’en soit le motif, elle monte les marches sans s’arrêter, comme si une force la poussait.
Pourtant ce n’est pas son jour hebdomadaire de charité, ni celui du catéchisme. Elle se dirige vivement toute droite, s’agenouille devant le Saint-Sacrement et prie. Au moment de sortir, elle voit cette chose, assis à même le sol, la tête baissée, la chevelure en broussaille. Cette chose, est si sale ! pense-t-elle méprisante. Elle va à la recherche du curé, et lui explique le problème, en lui cachant l’outrage qu’elle ressent au fond d’elle. (Sur cette chose si sale !).
Le prêtre la suit sans un mot, puis pose la main sur l’épaule de : « la chose », sans hésitation, au grand étonnement de Madame Basileus. L’individu redresse la tête, se lève hésitant, péniblement. Enlève le chapeau noir crasseux, qu’Olga n’avez pas vu. Il le tient de ses deux mains devant lui. Une odeur pestilentielle s’échappe du pauvre être. Il attend craintif, avec un petit espoir, l’espérance dans la désolation. Le père Jacques lui parle avec le sourire de bienvenue.
⦁ Je suis le père Jacques.
Toujours souriant d’une voix douce comme un murmure
⦁ Quel est votre nom, mon brave ?
Bien qu’étonné, le visage buriné du malheureux s’éclaire. L’espoir se lit dans son regard vert. Son visage s’illumine, il semble revivre.
⦁ Robert Burette mon père
⦁ Que vous est-il arrivé ?
Il hésite. Observe quelques secondes les deux personnages devant lui. Devant la bonté qui transpire du prêtre, finalement, il se décide. La patience du curé est une leçon pour Olga. Soudain, d’une voix rocailleuse sourde et honteuse il se lance dans la confidence.
⦁ J’habitais Paris. Ma femme a demandé le divorce, et m’empêche de voir mes trois enfants. Car je suis sans domicile fixe, un SDF comme ils disent.
⦁ Comment cela s’est-il produit ? Demande Olga surprise et peu amène.
Jamais elle n’eût pensé qu’à Maxéville, un parisien se serait réfugié, pour cacher sa honte. De plus, en ce vingt et unième siècle, en France, elle ne pouvait imaginer, que cela puisse être. Le père Jacques rabroue sa chère dame patronnesse pour sa dureté.
⦁ Laissez notre ami parler !
⦁ Excusez-moi.
Répond Olga contrite. Si ce n’était le père Jacques, elle n’aurait jamais accepté d’être traitée ainsi. Mais cet homme parle au nom de Dieu, alors elle se soumet. Robert s’enhardit et reprend.
⦁ Elle a gardé le logement. Moi j’ai perdu mon emploi, parce que pas de logement. Trouver un logement rapidement en région parisienne relève de la fiction. Surtout en période touristique. Les chambres d’hôtels sont inexistantes, si l’on n’est pas touriste. De plus, leurs prix est exorbitants pour un sans emploi. Il ne reste que les marchands de sommeil, mais leurs prix sont encore plus inabordables, et leurs pièces, qu’ils osent appeler « chambres » sont insalubres. La rue est encore meilleure, malgré l’insécurité, la pluie, le froid.
⦁ Vous n’aviez pas de famille, des collègues, ou des amis pour vous loger provisoirement ?
⦁ Je suis orphelin. L’assistance publique m’a pris en charge, jusqu’à mon mariage. Pour la plupart d’entre eux, mes amis étaient en vacances l’année dernière. Le seul copain qui me reste, vit dans un deux pièces, avec son épouse, sa belle-mère âgée et ses quatre enfants. Alors, à part les repas en famille et la douche, la chambre n’était pas possible. C’est ainsi, que j’ai perdu mon emploi.
Mon employeur a découvert ma situation, lorsqu’il a voulu me joindre à mon domicile. C’est ainsi qu’il a su la vérité. Il m’a licencié, prétextant ne pas pouvoir me joindre en cas de difficulté. Il m’a dit : « pour l’image de marque de la société, il ne peut se permettre d’avoir un commercial sans domicile fixe ! »
Pour compléter le tableau, je me suis fait voler mon portable pendant mon sommeil, sous le pont Iéna.
⦁ Quel est votre métier ?
Demande le père Jacques
⦁ Je suis commercial voyagiste.
Après ce dialogue, le père Jacques fait défiler ses neurones à la vitesse grand V. Quelques instants lui suffisent, pour demander à Olga.
⦁ Madame Basileus, que pourriez-vous faire pour notre ami ?
Gênée, elle répond précipitamment en donnant cinquante €uros au curé.
⦁ Je dois en parler à mon mari. En attendant, je lui offre une nuit d’hôtel, réservez lui une chambre « Au Camembert ». Il pourra se doucher. Vous lui donnerez des vêtements propres dans le vestiaire de nos donateurs. Demain, je vous donnerai la suite des possibilités s’il y en a une.
Elle quitte l’église toute chavirée, par ce qu’elle vient de découvrir. Elle se demande ce que la bienséance lui commande : son cœur, ou suivre ce que lui dira la bienséance ? Quel dilemme !
En montant dans sa voiture, elle téléphone à son mari.
Le soir venu, après le repas, la conversation de la soirée est animée. David est à Rouen, il ne peut donc leur soumettre une solution. Ces études sont importantes, ils ne veulent pas le déranger. Après réflexions, ils se décident. Ils vont téléphoner à Clémence. À la différence de David, Clémence est la vraie propriétaire du Manoir. Madame Olga n’en a que l’usufruit jusqu’à sa mort. C’est ainsi qu’ils exposent le problème du jour à Clémence, la fille d’Olga et sœur de David…actuellement au Darfour !
Olga se saisit du téléphone, frappe vivement les touches et…un silence s’installe. Ce silence, leur semble long.... Quand soudain, la voix de soprano de Clémence les fait sursauter. Olga explique leur problème du jour. Clémence trouve de suite la solution au grand dam de sa mère.
⦁ Si vous n’avez pas d’emploi de commercial dans votre société, il y a une possibilité de venir en aide à ce pauvre homme.
⦁ Ah ! comment ? S’écrient stupéfaits Olga et Louis.
⦁ Pourquoi ne pas le loger dans le pavillon du fond, il mangera dans la cuisine avec Christine et les autres employés.
Connaissant bien sa mère, après un court instant de réflexion. Elle ajoute :
⦁ Il pourrait être jardinier et gardien de la propriété et faire toutes les petites réparations nécessaires. Un homme toutes mains en quelques sorte avec un petit salaire.
⦁ Vous croyez que c’est possible ?
⦁ Mais bien sûr, de plus se serait une bonne publicité pour l’élection de Monsieur Louis.
Clémence n’avait accepté le remplacement de son père, uniquement par respect pour sa mère. Néanmoins, il a trouvé grâce à ses yeux, car l’éducation de David est identique à la sienne et même plus sévère, « puisque c’est un garçon, il doit devenir un homme de devoir » pense sincèrement Monsieur Louis. Pourtant, il est fier de son fils et même il est admiratif ? Seulement, il n’en laisse rien voir. Et Clémence s’est fait un devoir de préserver son petit frère.
Monsieur et Madame Basileus examinent la proposition de Clémence. Robert acceptera-t-il cette solution ? Ils examinent également tous les besoins pour la marche de la propriété. Ils pèsent le pour, le contre, calculent ce que sera l’incidence de ce geste sur la campagne électorale. Puis il y a les contrats d’insertion, les charges sont gratuites. En définitif, ils suivent le conseil de Clémence.
Le lendemain, ils vont à Rouen annoncer la nouvelle à David.
Robert a accepté la proposition, trop heureux d’avoir un toit et les repas avec le personnel. Ainsi il ne sera pas seul. Changer de métier, ne lui fait pas peur. Cela est l’espérance d’un renouveau. Il n’aura plus cette solitude journalière, ni la crainte des dangers de la rue. Il aime le jardinage, cela lui rappelle son enfance chez ses grands-parents. Il fera également le chauffeur de maitre les week-ends. David est satisfait, en apprenant la nouvelle. Il ne fera plus le chauffeur du samedi.
Bien sûr il se doute bien, que la générosité de ces parents, n’est pas gratuite, qu’ils vont en tirer un certains bénéfice. Ils ont dû faire le calcul des dépenses, qu’ils auront à faire pour porter secours à ce pauvre Robert.
« S’il est naturel de faire les comptes pour l’équilibre du budget, il est scandaleux de faire l’aumône pour en retirer un bénéfice substantiel ». Pense David. Mais il ne dit rien par respect pour ses parents.
Hors, c’est ce que ses parents ont fait. Robert est payé au SMIC, le loyer, les repas, et les charges du logement lui sont déduit de son maigre salaire. Son pauvre logement, est un pavillon meublé en bois d’ébène et d’acacia, au fond du jardin. Ce pavillon est composé d’un lit de fer, une armoire cirée sculptée, avec penderie, étagère pour le linge et tiroirs, d’une table, d’une plaque électrique pour sa cuisine s’il se fait un petit en cas. Deux tabourets, un évier avec l’eau froide, un petit réfrigérateur sont le confort minimum. Une douche est prévue à côté des aisances, fermée par une porte glissière. La pièce d’à côté se compose de quatre emplacements.
Le matériel de jardinage est près de la porte menant sur le parc. Au fond de cette pièce, un atelier pour le bricolage, sur le côté, une penderie pour les tenues diverses selon qu’il est jardinier, gardien, dépanneur ou chauffeur est face au matériel de jardinage. Une machine à laver le linge, une planche à repasser et son fer à vapeur sont la seule chose moderne de son modeste logement.
Ce qu’ils ont pensé : En le payant peu, ils s’assurent, la fidélité de Robert. Car il n’y a pas que le salaire, mais également le logement. En lui donnant cette ambiance familiale entre employés, ils se garantissent le dévouement du pauvre homme.
Louis en qualité de Haut fonctionnaire, et Olga en tant que directrice de la société des traditions normande et amie du maire, ne peuvent se permettre un scandale. Les élections sont proches. Le maire actuel ne se représente pas en raison de son âge et de sa santé.
Le père Jacques fait une demande d’aide auprès du maire, pour permettre aux enfants de Robert de voir leur père un week-end sur deux, et un mois de vacances en été. Olga ayant accepté de leur accorder une chambre au manoir sous la surveillance de Christine.
Les Basileus savent que le maire ne peut rien refuser au père Jacques. Monsieur le maire pense avec son cœur, car les enfants ne doivent pas subir le drame de leur père, mais au contraire le soutenir. Ce fût la raison de ses signatures d’autorisations permettant l’accomplissement du plan de la famille Basileus et du père Jacques.
Louis a conscience, qu’il ne pourrait remplacer leur vieil ami à la mairie, s’il refusait la solution de Clémence. Olga possède huit magasins dans toutes la Normandie, dont le primaire est Place Saint-Antoine. Trois usines, fromageries, charcuterie et confection de dentelle. Elle a passé des contrats avec les paysans normands pour le cidre et le calvados. Elle ne peut se permettre un scandale. Sans compter, que c’est une bonne occasion d’avoir une publicité gratuite.
Ils calculent les bénéfices qu’ils feront grâce à cette publicité gratuite, l’apport pour l’élection de Louis, et enfin la réduction d’impôt pour ce contrat d’insertion !
Les pauvres c’est bien connu, sont les bienvenus, pourvus qu’ils respectent les convenances et qu’ils rapportent à leurs bienfaiteurs. C’est-à-dire, se taire. Et Robert ne dit rien. Robert est devenu l’ami de David.
Celui-ci n’est pas dupe, seulement, ce sont ces parents, il les respecte...
à suivre