Jacques Chirac, un contributeur « unique aux liens profonds entre nos pays » qui laissera particulièrement en souvenir « sa courageuse reconnaissance de la responsabilité de la France dans la destinée réservée aux Juifs de France pendant la Shoah », selon le président israélien Reuven Rivlin, qui le décrit également comme un « ami » d’Israël, et un « homme de paix », lui qui a rencontré tous les principaux leaders israéliens et palestiniens de son époque.
Un « dirigeant avec lequel j’ai eu beaucoup de controverses, mais que j’ai toujours respecté », selon l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, qui a également repris les autres qualificatifs attribués par Rivlin.
Riyad al-Maliki, ministre des Affaires étrangères palestinien, a lui salué « un ami du peuple palestinien ».
L’ancien président français, Premier ministre et maire de Paris, ami d’Israël et des Juifs de France ? Ou pro-Palestinien, comme il est largement perçu en Israël ?
Si ses adversaires l’ont toujours jugé « versatile », « inconstant » et le comparaient à « une girouette », le président s’est montré plutôt intransigeant au Moyen-Orient et dans ses rapports avec la communauté juive.
Des rapports compliqués avec Israël
En 2016, dans un entretien avec le site Akadem, Avi Pazner, ambassadeur d’Israël en France de 1995 à 1998, alors que Jacques Chirac entamait son premier mandat de président, le décrivait comme un homme « impressionnant », un « ami » personnel et un « grand ami de la communauté juive de France ».
Le diplomate, alors conseiller du Premier ministre israélien Yitzhak Shamir, a rencontré Chirac en 1987, alors qu’il était Premier ministre français, lors d’une visite officielle en Israël. Ils se sont revus en 1995, peu avant le départ de Pazner pour Paris, quand le président français s’était rendu à Jérusalem pour l’enterrement du Premier ministre Yitzhak Rabin.
« Il a beaucoup aidé la communauté juive de France, explique-t-il. Même lorsqu’il était maire de Paris et Premier ministre […], mais il a toujours fait la différence entre Israël et la communauté juive de France. Avec Israël, il avait un problème – il le dit lui-même dans ses mémoires. Il ne comprenait pas l’attitude d’Israël envers les Palestiniens. Il avait peut-être plus de sympathie pour la cause palestinienne que pour les positions israéliennes. »
L’homme parle de « provocation » de la part de Chirac lors de sa visite à Jérusalem en octobre 1996, qui avait fait de lui le héros du monde arabe.
Lors de l’altercation, il avait crié aux forces de sécurité : « Qu’est-ce qu’il y a encore comme problème ? Je commence à en avoir assez ! What do you want ? Me to go back to my plane, and go back to France ? Is that what you want ? Then let them go. Let them do. No, that’s… no danger, no problem. This is not a method. This is provocation. That is provocation. Please you stop now ! »
Selon Pazner, le bureau présidentiel avait expressément demandé aux autorités israéliennes qu’aucun représentant officiel ne l’accompagne dans cette visite, car il s’agissait de « territoires occupés ». Il avait seulement accepté la présence des membres des forces de sécurité et était ainsi accompagné de Leïla Shahid, alors représentante de l’OLP à Paris, que Pazner accuse d’avoir « poussé [le président français] dans cette provocation ».
« C’est une scène totalement inadmissible de la part d’un chef d’État », dit-il, estimant que le président ne se serait permis de faire nulle part ailleurs dans le monde. Pazner considère également que Chirac n’a pas « spécialement » été un artisan de la paix entre Israël et les pays voisins, mais qu’il a « essayé plusieurs fois d’intervenir ».
Ainsi, en octobre 2000, quand la Seconde Intifada a éclaté, Jacques Chirac a invité à Paris Ehud Barak, Premier ministre israélien, Yasser Arafat, président de l’AP, et Madeleine Albright, secrétaire d’État américaine, afin de parvenir à un cessez-le-feu aux premiers jours du soulèvement. « Et là encore, dans ses conversations, il avait apparemment pris parti pour Arafat. » Pazner parle également d’un échange « à très haute voix » entre Chirac et Barak. « C’était encore une fois l’exemple d’un certain parti pris entre Israéliens et Palestiniens. Il soutenait nettement les positions palestiniennes […] et avait une sympathie pour la cause palestinienne, qu’il ne cachait pas. »
Gilead Sher, diplomate et avocat israélien, rapporte dans son livre The Israeli-Palestinian Peace Negotiations, 1999-2001: Within Reach des propos qu’aurait alors dit Chirac à Barak : « À Camp David, Israël a effectivement fait un pas important vers la paix, mais la visite de Sharon [sur le mont du Temple] a été le détonateur [de la Seconde Intifada], et tout a explosé. Ce matin, 64 Palestiniens sont morts, 9 Arabes israéliens ont également été tués. Vous, Monsieur le Premier ministre, ne pouvez pas expliquer cette proportion dans le nombre de [tués et] de blessés. Vous ne pouvez faire croire à quiconque que les Palestiniens sont les agresseurs… Quand j’étais commandant de bataillon en Algérie, je pensais aussi que j’avais raison. Je me suis battu contre la guérilla. Plus tard, j’ai réalisé que j’avais tort. L’honneur des forts est de tendre la main et de ne pas tirer. Aujourd’hui, vous devez tendre la main. Si vous continuez à tirer depuis des hélicoptères sur des lanceurs de pierres, que vous continuez à refuser une enquête internationale, vous refusez le geste d’Arafat. Vous n’avez pas idée à quel point j’ai dû pousser Arafat pour qu’il accepte une réunion trilatérale. » Plus tard, en 2006, toujours dans une recherche de paix, il demandera au Hamas de reconnaître l’existence d’Israël et de renoncer à la violence.
Dans un discours prononcé au Caire le 8 avril 1996, quelques mois avant l’épisode avec les militaires israéliens à Jérusalem, Chirac avait insisté sur la notion de « paix durable », qui supposait que soient « respectés le droit du peuple palestinien et ses aspirations légitimes à disposer d’un État ». Il ajoutait qu’Israël devait être assuré de « vivre en sécurité » et que « le progrès vers l’affirmation de l’identité palestinienne permettra l’éradication définitive de menaces terroristes nourries par l’isolement et la frustration ».
Le discours avait alors beaucoup plu à Yasser Arafat, duquel il deviendrait vite proche, et ce jusqu’à la mort de l’homme.
L’ami d’Arafat et des Palestiniens…
L’amitié et la proximité entre les deux hommes sera grandement illustrée lors des derniers jours de la vie d’Arafat : le 29 octobre 2004, Jacques Chirac prend la décision d’accueillir en France le dirigeant palestinien pour qu’il y soit soigné après une brusque dégradation de son état de santé – ce qu’aucun dirigeant arabe n’avait voulu faire. Durant son hospitalisation, le président français a rendu visite au leader palestinien et a été l’un des derniers à l’accompagner au crépuscule de sa vie.
Ce dernier accueil deviendra le symbole du soutien du président Chirac à la cause palestinienne. Mais le dirigeant palestinien connaissait très bien la France : il s’y serait rendu pas moins d’une trentaine de fois entre 1995 et 2004.
Après son décès, Paris lui a rendu un hommage solennel, digne d’un chef d’État. Jacques Chirac a été le premier à réagir. Il a exprimé son « émotion » et salué un « homme de courage et de conviction qui a incarné, pendant 40 ans, le combat des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits nationaux ». « Âgé de 75 ans, Abou Amar, de son nom de guerre, a pendant un demi-siècle incarné la Palestine, donnant une crédibilité internationale à l’espoir d’un État palestinien, mais sans jamais parvenir à concrétiser cette ambition ni accomplir son rêve de prier à Jérusalem », avait-il déclaré.
Selon les journalistes Christophe Boltanski et Eric Aeschimann, auteurs de Chirac d’Arabie (2006), le président se serait recueilli en secret devant le corps d’Arafat et serait sorti « de la salle en larmes ».
En remerciement pour ses « positions en faveur de la cause
palestinienne », une rue Jacques Chirac, longue de 2,7 km, a même été inaugurée en 2009, à Ramallah par Janet Mikhaïl, maire de la ville, en présence du consul français.
S’il était proche du principal interlocuteur palestinien, qui le surnommait amicalement « Docteur Chirac », son rapport avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu – qui n’a pas réagi à son décès – étaient eux bien plus compliqués.
En 2017, sur I24News, l’ambassadeur Avi Pazner avait ainsi affirmé que Jacques Chirac avait accusé de mensonges Benjamin Netanyahu. « Je ne crois pas un mot qui sort de votre bouche. Toute votre politique consiste à provoquer les Palestiniens », aurait affirmé Chirac au Premier ministre israélien, selon Pazner, qui dit avoir assisté à la scène en 1998. Suite à cette phrase, Netanyahu serait resté « impassible », devenant « tout
blanc », et Chirac « tout rouge » de colère. « Il n’aimait pas sa politique et peut-être même qu’il n’aimait pas Netanyahu personnellement », dit Pazner.