Il faut éprouver de la pitié pour le timide, dont l’existence quotidienne est un enfer, et aussi de l’admiration lorsque cette timidité le conduit à faire effort plus que d’autres pour surmonter cet obstacle et à développer une vie intérieure nécessairement plus riche que celle de l’homme qui étale sans cesse ses entrailles à la vue de tous. La timidité, si elle est contrôlée, permet de conserver une certaine innocence que l’audace ratisse au plus bas. Si elle disparaît totalement, elle peut laisser la place à un extraordinaire orgueil, à une ambition démesurée et incontrôlable, tel Julien dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, lorsqu’il aborde enfin cette capitale tant désirée :
« Quelle pitié notre provincial ne va-t-il pas inspirer aux jeunes lycéens de Paris, qui, à quinze ans, savent déjà entrer dans un café d’un air si distingué ? Mais ces enfants, si bien stylés à quinze ans, à dix-huit tournent au commun. La timidité passionnée que l’on rencontre en province, se surmonte quelquefois, et alors elle enseigne à vouloir. En s’approchant de cette jeune fille si belle, qui daignait lui adresser la parole, il faut que je lui dise la vérité, pensa Julien, qui devenait courageux à force de timidité vaincue. »
Le timide ne doit pas loucher d’envie vers un tel modèle qui le conduirait non pas à surmonter sa détresse mais à se gonfler de prétention.
L’équilibre entre timidité et arrogance est délicat, cet équilibre qui permet une assurance à bon escient, adaptée aux circonstances. Il est tellement regrettable et malheureux que le timide perd tous ses moyens lors d’un examen ou d’un entretien, alors que, dans ces cas-là, mettre en valeur ses connaissances et ses qualités n’aurait point été un manque d’humilité. En revanche, il est plutôt heureux qu’il sache demeurer en retrait lorsque des hurluberlus entrent en compétition pour avoir le premier et le dernier mot.