Les Italiens partent de plus en plus tard à la retraite, mais pas assez pour maintenir un système contributif par répartition régulièrement réformé et critiqué.
« Invisibles non! Nous sommes 16 millions de retraités! » : ils étaient des dizaines de milliers rassemblés à Rome il y a un mois, dernière manifestation en date d'une longue série. En Italie, le sujet provoque la colère depuis une profonde réforme des retraites en 1995. Alors que des milliers de mères de famille pouvaient auparavant quitter leur emploi à 35 ans (après 15 ans de cotisations), l'Italie des années 1990 fait moins de bébé, vit plus longtemps et voit sa croissance ralentir.
Finie la générosité. À partir de 1996, le régime par répartition « rétributif » (une pension calculée sur les 80 % du salaire des dernières années après 40 ans de cotisations), devient « contributif » : la pension se calcule au prorata des cotisations versées tout au long de la carrière, et indexée sur l'espérance de vie.
La réforme Fornero de 2011 très critiquée
Le coup de grâce arrive avec la crise de 2008. L'Italie, au bord de la faillite, vote à toute vitesse, en 2011, une très impopulaire réforme Fornero, du nom de la ministre qui l'a portée. Les pensions sont revues à la baisse et l'âge légal de départ des femmes passe de 62 à 66 ans pour s'aligner sur celui des hommes. Mal digérées, les lois Fornero sont devenues la cible des populistes.
Élu en 2018, le patron de la Ligue d'extrême droite Matteo Salvini a institué le « Quota 100 », où la somme de l'âge et des années de cotisations doit arriver à 100. Ainsi, depuis janvier, après 38 ans de travail, un Italien peut faire son pot de départ le jour de ses 62 ans.
Mais la mesure, censée « envoyer un million d'Italiens à la retraite » et laisser « une autoroute ouverte » aux jeunes chômeurs, fait sonner les alarmes. L'OCDE s'inquiète de départs trop précoces en Italie (62 ans l'âge moyen effectif de départ pour un âge légal de 67 ans), alors que le pays est celui qui travaille le moins longtemps en Europe (31,8 ans selon Eurostat). Et le « Quota 100 » coûte trop cher à la Botte.
Le déficit de son système de retraite a encore augmenté de 2,5 milliards d'euros. « Basta », répondent des retraités de plus en pauvres : plus d'un sur trois vit avec moins de 1 000 € par mois. Et le budget italien pour 2020 prévoit de n'augmenter les pensions que de 6 euros par an… soit 0,50 € par mois.
Le régime du Vatican déficitaire
Avant 1992, gendarmes, médecins, conservateurs de musée du pape devaient cotiser via le système italien. Le Saint-Siège a ensuite créé son propre fonds de pension, qu'il a fallu adapter au fil des ans. Ainsi, en 2009, Benoît XVI recule de deux ans l'âge de départ de ses 4 000 petites mains : 72 ans pour les religieux, 67 pour les laïcs, avec une pension équivalente à 65 % du dernier salaire. La stratégie change avec le pape François.
En 2015, des experts alarment sur un déficit des retraites de 800 millions d'euros qui menace l'avenir économique du Saint-Siège. Alors, pour réduire la masse de futurs retraités, un système de prime à la retraite serait en discussion. Objectif : 1 500 départs anticipés et non remplacés. En revanche, pour les archevêques et cardinaux, pas de repos précoce. Le chef de l'Église catholique a décidé de les garder au-delà de la « limite d'âge » de 75 ans.
Royaume-Uni : à chacun de prévoir sa retraite
Le système britannique, largement privatisé, coûte moins cher que le système français à l'échelle de la richesse nationale. Mais sa complexité nourrit l'incertitude des futurs retraités.
« Cette mesure, c'est de la discrimination contre les travailleurs, surtout ceux qui ont des métiers manuels. » Le chef travailliste de l'opposition, Jeremy Corbyn, ne mâchait pas ses mots, l'été dernier, après la proposition du Centre of Social Justice, un groupe de réflexion proche du Premier ministre Boris Johnson.
Le think tank propose de fixer l'âge de départ à la retraite à 70 ans en 2028, puis 75 ans en 2035, contre près de 66 ans aujourd'hui. Un scénario d'autant plus envisageable, dit-il, que le plein-emploi – ou presque – au Royaume-Uni permettrait aux seniors de rester au travail bien plus longtemps.
Si la proposition n'a pas déclenché de grande manifestation, elle suscite la colère y compris dans les rangs de la droite. « C'est une trahison révoltante des gens qui ont travaillé dur, payé leurs impôts et cotisé à l'assurance nationale depuis des dizaines d'années », estime la baronne Ros Altmann, ex-secrétaire d'Etat aux retraites.
Cette mesure choc va en effet beaucoup plus loin que la trajectoire déjà prévue par les gouvernements successifs pour faire face au déficit du système : un recul de l'âge de départ à la retraite à 67 ans en 2028, 68 ans dès 2037.
Un revenu équivalent à 28 % de leur dernier salaire
Ce recul concerne la partie publique des retraites. Au Royaume-Uni, la pension versée par l'Etat s'élève à l'équivalent de 200 € par semaine à taux plein, et ce pour les salariés ayant travaillé 35 ans. Avec le système britannique, l'un des moins généreux de l'OCDE, les retraités touchent en moyenne un revenu qui équivaut à 28 % de leur dernier salaire, contre 74 % pour la France. Contrepartie : le système ne représente que 7 % de la richesse nationale produite (PIB), contre près du double pour la France.
Mais il ne s'agit que du premier volet d'un régime extrêmement complexe. Deux Britanniques sur trois bénéficient aussi d'une retraite privée, souscrite individuellement ou, le plus souvent, via un fonds de pension abondé par leur entreprise. De quoi porter le revenu moyen des retraités à 362 € par semaine. Mais avec une part d'incertitude : faillites d'entreprises, soubresauts des marchés et même Brexit peuvent faire varier les montants perçus.
Et, malgré tout, la pension annuelle reste en dessous des 24 000 € estimés nécessaires par la Pensions and Lifetime Savings Association pour atteindre une retraite au confort « modéré ».
Espagne : bonnes retraites, gros déficit
Les Espagnols peuvent officiellement prendre leur retraite à 65 ans et 8 mois s'ils ont cotisé pendant 36 ans et 6 mois. Dans les faits, ils partent en moyenne avant à 64 ans, soit un an et quelques mois plus tard que les Français.
Pour faire face à son défi démographique - la population vieillit et a très peu d'enfants -, les députés espagnols ont voté une grande réforme en 2011 visant à augmenter l'âge légal de départ à 67 ans et 38 ans et six mois de cotisation d'ici à 2027. L'exigence de cotisation est plus basse en Espagne car le taux de chômage y est plus élevé qu'ailleurs (14 %).
Basé sur un système public de répartition comme en France, le système espagnol reste, selon l'OCDE, l'un des plus généreux d'Europe avec le meilleur taux de remplacement sur le continent avec celui de l'Italie. Les seniors espagnols conservent en moyenne 82 % des revenus qu'ils touchaient lorsqu'ils étaient actifs.
1 290 € par mois en moyenne
Un chiffre à relativiser : le salaire moyen est plus bas ici que dans le nord de l'Europe. La pension se calcule sur la base d'environ 85,7 % de la moyenne des salaires des vingt dernières années. Ainsi, les neuf millions de retraités espagnols touchent en moyenne 1 290 € par mois. Et les personnes n'ayant pas droit à une retraite peuvent demander le minimum vieillesse de 400 € mensuels.
Au plus fort de la crise économique (2009-2015), les retraités ont soutenu à bout de bras la société : des millions de familles touchées par le chômage n'ont pu s'en sortir que grâce à l'aide de leurs parents ou grands-parents. Le système des retraites est donc un sujet politiquement très sensible et régulièrement adapté grâce à une concertation permanente entre les syndicats et le gouvernement, dans le cadre du « Pacte de Tolède », une convention qui réunit toutes les forces politiques et sociales du pays.
Revers de la médaille, le système coûte très cher à l'Etat : les retraites représentent 29 % des dépenses publiques et plombent les comptes de la sécurité sociale (17 milliards d'euros de déficit en 2018).
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