9 Février 2020
Né le 8 septembre 1671 à Coulonces, près de Vire, de Jean-Baptiste Polinière et Françoise Vasnier qui demeuraient à la campagne dans une terre que le père tenait de ses ancêtres et dont le revenu les faisait vivre, Pierre n’avait que trois ans quand il perdit son père. Restée veuve fort jeune, Madame Polinière ne voulut point se remarier. Femme d’esprit et de jugement, elle consacra tous ses soins à l’éducation de son fils, et l’envoya faire ses humanités à l’Université de Caen. Deux oncles, frères de son père, dont l’un, prédicateur éminent, avait eu Louis XIV pour auditeur, l’autre, curé dans le diocèse de Chartres, le mandèrent à Paris, et lui firent étudier la philosophie au collège d’Harcourt.
Après s’être occupé de théologie en Sorbonne, Polinière suivit le cours du célèbre Pierre Varignon (1654-1722), père jésuite mathématicien. Convaincu qu’il est impossible de faire des progrès sérieux dans l’étude de la nature avant d’avoir approfondi les mathématiques, il commença par apprendre et ensuite enseigna cette science pour mieux la posséder. Ses succès furent tels qu’à 32 ans, il avait composé des Éléments de mathématiques — dont le Journal des savants rendit au demeurant un compte peu avantageux — dédiés à Michel Chamillart (1652-1721), premier ministre d’État, et qu’il compta bientôt par ses élèves les principaux personnages de l’époque.
Cependant un penchant irrésistible l’entraînait vers l’étude de la physique et des sciences naturelles. Esprit sage, habile observateur, il comprit que les sciences naturelles, la chimie et la physique sont sœurs, pour ainsi dire, et qu’elles se tiennent par la main, suivant l’expression de Fontenelle ; aussi les fit-il marcher de front. Il médita les ouvrages qui existaient sur les diverses branches des connaissances humaines, et ne tarda pas à s’apercevoir du peu de secours que l’on en pouvait tirer.
Pensant avec raison qu’il était nécessaire d’asseoir l’étude de la physique sur de solides bases, Pierre Polinière ne voulut rien abandonner au hasard : il se procura tous les livres traitant de cette science, recommença les expériences s’y trouvant indiquées, et en fit de nouvelles. Ses progrès furent si rapides, écrit le philosophe et mathématicien Alexandre Savérien (1720-1805), que les savants le regardèrent comme suscité par la Providence pour changer la face de la physique, en lui donnant sa véritable forme.
Polinière suivit les idées de Bacon et de Descartes, qui consistent à reconnaître la nature par la voie de l’expérience. Tout le monde connaît les traits satiriques que Boileau lança contre la philosophie d’Aristote. Ils consternaient tous les péripatéticiens ; mais, dans l’arrêt burlesque, il n’était question que de logique et d’astronomie : Polinière y joignit la physique ; et, ayant fait imprimer ces deux pièces avec cette addition, il les répandit dans le public. Elles eurent l’effet qu’il en attendait ; et la physique d’Aristote parut bientôt aussi ridicule que sa logique et son astronomie.
Dans le temps qu’on était occupé à en rire, notre philosophe, soutenu par le célèbre Dagoumer, professeur de philosophie au collège d’Harcourt, ouvrit dans ce collège un cours de physique expérimentale, spectacle nouveau qui attira l’attention de tout Paris. On courut en foule pour en jouir. Tout le monde voulut apprendre la physique, tant cette manière de l’enseigner eut des attraits. La jeunesse curieuse et toujours avide du merveilleux, s’y livra sans ménagement, et sentit la différence qu’il y avait à s’instruire d’une manière si agréable et si facile, à celle de ses professeurs qui, pour expliquer un effet, lui donnaient des raisons qu’elle comprenait si peu, quoiqu’on lui eût si souvent répétées.
C’était, ajoute Savérien, le véritable talent de Polinière, que celui de faire des expériences. Il avait pour cela une adresse et une dextérité admirables. Ses raisonnements, qui répondaient à la justesse et à la netteté de ses opérations, étaient clairs, précis, et à la portée de tout le monde. Car, quoique les savants vinssent profiter de ses leçons, il n’oubliait point qu’elles étaient destinées à des écoliers, et il se proportionnait à leur capacité. Tous les auditeurs gagnaient à cela, et il se trouvait même des gens très éclairés qui n’étaient pas fâchés de cette simplicité des discours de la part de Polinière, tant cette physique était nouvelle pour eux. Il ouvrait ordinairement son cours par ces paroles : « Messieurs, nous allons commencer par le commencement et nous finirons par la fin », voulant faire comprendre qu’il allait faire ses expériences avec ordre et méthode.
méthode.
Ce succès fut un coup mortel pour la physique d’Aristote. Il n’y eut aucun collège qui ne voulût voir Polinière et l’entendre ; il fut obligé de faire dans chacun un cours régulier d’expériences, exercice qui fortifia beaucoup son adresse et ses connaissances. Il imagina de nouveaux instruments, et varia les expériences. Il en exposa plusieurs qui n’étaient pas du tout connues en France, et les perfectionna en rendant plus facile et plus sûre la manière de les faire. Il fit ainsi de belles découvertes qui furent annoncées avec éclat dans les journaux de France et de Hollande. Il simplifia les microscopes, découvrit différents animaux dans le suc des plantes, et travailla avec un égal succès sur les phosphores.
En 1706, il fit, en présence de l’Académie des sciences, une expérience qui consiste à frotter avec la main, fortement et longtemps, une bouteille ouverte jusqu’à ce qu’elle soit bien échauffée ; alors on aperçoit une lumière faible, étincelante à l’endroit où l’on frotte cette bouteille. « C’est ici, dit Savérien, la matière électrique, et il faut toujours reconnaître Polinière pour celui qui a découvert le premier ce phénomène physique. »
Polinière se livra dans la foulée à une autre expérience également remarquable et à laquelle la précédente l’avait conduit : la chandelle philosophique. À son époque, on ne connaissait point le gaz hydrogène, qu’on désignait sous le nom de gaz inflammable. Voici comment Polinière l’obtenait : il prenait une bouteille de verre, la remplissait d’eau, et, à la partie supérieure, plaçait un entonnoir à large ouverture. Il allait dans les lieux marécageux où se trouvaient des eaux stagnantes. Muni d’une espèce de verge formée de petites baguettes, il plongeait la bouteille et l’entonnoir dans l’eau, et battait les vases avec la verge. Il en sortait des bulles de gaz qui s’introduisaient dans la bouteille en déplaçant l’eau. Dès que la bouteille était vide, il la bouchait dans l’eau, pour ne pas perdre de gaz. La bouteille contenait du gaz inflammable. Il perçait le bouton d’un petit trou et y adaptait un tuyau de pipe. On mettait le feu avec une allumette, et bientôt jaillissait une flamme assez blanche qui durait tant qu’il restait du gaz dans la bouteille. Cette flamme reçut le nom de chandelle philosophique de Polinière.
Les savants donnèrent à Polinière de justes éloges. Fontenelle, qui lui avait confié l’éducation de son neveu, vanta partout et l’excellence de sa méthode, et la profondeur de ses vues. La modestie de notre savant ne put le dérober à la gloire qu’il méritait, et aux honneurs qu’il ne cherchait pas. Il avait à peine publié son Traité d’expériences physiques, ouvrage absolument neuf paru en 1709 qui eut le plus grand succès et dont il donna un exemplaire à la bibliothèque de Vire, que tout ce que la cour avait de plus grand et de plus spirituel, voulut assister à ses leçons. Le duc d’Orléans, régent du royaume, lui demanda un cours d’expériences, dont il fut satisfait.
Appelé en 1722 à la Cour par le cardinal Fleury, premier ministre d’État, l’habile physicien eut l’honneur de recommencer ce cours devant le jeune roi Louis XV, qui témoigna plus d’une fois à l’auteur le plaisir qu’il en éprouvait. Sa haute réputation inspira au tsar Pierre Ier le désir de le voir et d’assister à ses expériences. En 1728, Polinière donna une troisième édition de son Traité d’expériences physiques, plus intéressante encore que la seconde édition de 1718. En 1733, il prépara une quatrième en deux volumes, qui fut publiée l’année suivante après sa mort, l’ouvrage étant tellement goûté qu’on le traduisit en plusieurs langues.
Estimé à la cour, considéré du premier ministre, Polinière aurait pu prétendre à une haute fortune : mais, en véritable philosophe, il regarda toujours avec indifférence les honneurs et les richesses. Caractère plein de douceur et de bienveillance, infatigable au travail, uniquement occupé des progrès de la science, seul objet de ses veilles, il ne pensa jamais à son intérêt particulier. Insensible à ce qui fait le bonheur du commun des hommes, il ne connaissait d’autre plaisir que celui que procurent les sciences et la solitude. Soit à Vire, soit à Paris, il vivait, à vrai dire, loin des agitations du monde, dans l’intimité du foyer domestique, et ne se liait qu’avec des esprits sérieux : son front se déridait alors, et il les écoutait et leur parlait avec plaisir.
Docteur en médecine et membre d’une Société des arts établie à Paris sous la protection du comte de Clermont, Pierre Polinière se rendait régulièrement chaque année à la capitale pour y faire des expériences physiques, et retournait à Vire aux vacances. Il y avait épousé Marguerite Asselin, sœur du docteur en Sorbonne et principal du collège d’Harcourt. Il eut quatre enfants, deux filles et deux garçons : Jeanne, Marie, Julien-Pierre qui devint docteur-médecin, et Daniel qui devint prêtre, prieur de l’église Sainte Anne de Vire. Outre des recherches anatomiques, Pierre Polinière fit des expériences principalement sur la mécanique, l’air, le bruit, le son, l’aimant, l’électricité, la pyrotechnie, les odeurs, les couleurs et la lumière.
Une mort subite vint terminer sa carrière le 9 février 1734, à l’âge de 63 ans. Si Polinière ne doit pas être placé parmi les hommes qui ont fait avancer la science, il est incontestablement au nombre de ceux qui l’ont le plus utilement servie en la popularisant.