2 Avril 2020
Louis V, le dernier des rois carolingiens, étant mort sans enfants le 21 mai 987, Charles, son oncle et duc de Basse-Lotharingie (Basse-Lorraine), était le légitime héritier de la couronne ; mais les derniers descendants de Charlemagne étaient tombés, par leur faiblesse, dans un tel mépris, que toute la nation se réunit en faveur de Hugues Capet, qui reçut la couronne et fut sacré par Adalbéron, archevêque de Reims, le 3 juillet 987.
Dès le début de son règne, Hugues Capet payait son accession au trône à la féodalité qui l’avait choisi dans ses rangs et mis à sa tête : il accorda aux grands et aux églises de nombreuses donations ; il multiplia les fondations pieuses, de telle sorte que les vassaux de la couronne se trouvèrent plus indépendants et plus forts qu’ils ne l’étaient sous les derniers Carolingiens. Il est vrai que le duché de France, le comté de Paris et celui d’Orléans, et les autres dépendances féodales qui constituaient le nouveau domaine royal, suffisaient pour faire de Hugues Capet l’égal, sinon le maître, de ses plus puissants feudataires.
Appuyée sur cette base, la royauté pouvait attendre des circonstances propices et préparer son triomphe dans un prochain avenir ; pour le moment elle avait plutôt à combattre qu’à recevoir des hommages. Plusieurs grands vassaux s’étaient abstenus de prendre part à l’assemblée de Noyon — lors de laquelle eut lieu l’élection de Hugues Capet — et d’adhérer à l’élection du nouveau roi ; ils se déclarèrent en faveur de Charles de Lorraine, dernier descendant de la lignée carolingienne susceptible de monter sur le trône. De ce nombre furent Héribert III, comte de Vermandois ; Arnoul II, comte de Flandre ; Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitou et d’Aquitaine ; Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, et quelques seigneurs du Midi. Il est à remarquer que les États du comte d’Aquitaine et de Poitou égalaient à eux seuls et dépassaient même en étendue le domaine royal et le duché de Bourgogne, qui appartenait au frère de Hugues Capet.
Par bonheur pour Hugues Capet, son rival Charles de Lorraine, prince sans énergie et sans capacité, perdit beaucoup de temps à faire valoir ses droits et à se disposer à la guerre. Il manquait de soldats et d’argent, et les grands vassaux qui se rangeaient de son côté se gardaient bien à leur tour de prendre l’initiative de la lutte ; ils se souciaient assez peu de hasarder leurs trésors et leurs hommes dans une querelle qui les touchait médiocrement, puisque, après tout, on avait perdu l’habitude de servir ou de craindre le roi, et que, pour un possesseur de grand fief, il n’y avait qu’une chose importante et digne de dévouement, la cause de l’ambition et de l’indépendance personnelle.
Cette situation était favorable à Hugues Capet. Le 25 décembre 987, voulant suivre l’exemple qu’avait donné Pépin — fils de Charles Martel et père de Charlemagne —, il avait associé à la couronne de France son fils Robert — le futur roi Robert II le Pieux. Puis il avait pris des dispositions pour réduire à l’obéissance les provinces d’outre-Loire, et, tandis qu’il agissait de ce côté à force ouverte, il n’avait rien épargné pour amener à lui quelques seigneurs d’un ordre considérable. Mais début mai 988, Charles de Lorraine, qui avait rassemblé des troupes, se rendit maître de Laon par surprise, et sans doute aussi avec l’assentiment des comtes de Flandre et de Vermandois ; une fois en possession de cette ville, si fameuse dans les dernières années de la dynastie carolingienne, il se fit proclamer et couronner roi, comme légitime héritier de son neveu, le défunt Louis V, dernier roi carolingien.
La tentative de Charles de Lorraine mettait en péril la royauté de Hugues Capet, qui avait déjà vaincu, les armes à la main, Guillaume Fier-à-Bras et l’avait contraint à lui rendre hommage. Rassuré de ce côté il se porta sur Laon et y assiégea son compétiteur. Sur ces entrefaites l’impératrice Théophanie, veuve d’Otton II et qui gouvernait l’empire germanique durant la minorité de son fils, l’empereur Otton III, crut devoir intervenir dans les affaires du royaume de France et offrit sa médiation aux deux partis. Hugues Capet l’accepta, mais Charles de Lorraine ne voulut rien entendre et persista à se défendre dans la citadelle de Laon. Il fit plus ; car, ayant profité de la confiance excessive des assiégeants, il fit une sortie, se jeta sur eux et tailla en pièces l’armée de Hugues.
Mettant à profit sa victoire, il se porta sur Montaigu, s’en rendit maître et ravagea tout le territoire de Soissons. Vers le même temps il envoya secrètement des émissaires à Arnolphe, l’archevêque de Reims, afin de le gagner à sa cause. L’archevêque se montra fort disposé à se rallier à lui, mais il demanda que les apparences fussent sauvegardées, et que, pendant qu’il ferait livrer la ville à Charles de Lorraine, on eût l’air de le traiter en ennemi et de s’assurer de sa personne. Une intrigue fut promptement ourdie dans ce sens, et l’importante place de Reims tomba ainsi par trahison au pouvoir du prétendant.
Hugues Capet ne tarda pas à démêler la ruse dont Arnolphe s’était rendu complice, et il porta plainte au pape Jean XV (985-996). Charles de Lorraine, de son côté, fit plaider sa cause auprès du pape, et la question resta indécise (989-990).
Adalbéron (Ascelin), évêque de Laon depuis 977 — à ne pas confondre avec l’archevêque Adalbéron de Reims, mort en 989 ou 990 —, ne voyait en Charles de Lorraine qu’un oppresseur ou un ennemi. Hugues Capet, pénétrant ses sentiments cachés, entretint avec lui une correspondance clandestine et le détermina à seconder ses entreprises. Le moyen le plus sûr pour l’évêque était d’introduire en secret l’armée de Hugues Capet dans la ville qu’il administrait comme évêque et de livrer Charles de Lorraine à ses ennemis.
Cette trahison était la digne revanche de celle qui avait mis Reims en la possession de Charles. Hugues Capet se hâta d’en profiter, et, dans la nuit du jeudi-saint, 2 avril 991, il pénétra avec des troupes dans la place de Laon par un point de la muraille que l’on avait à dessein laissé dépourvu de garde. Charles de Lorraine, investi dans son propre palais, fut fait prisonnier, lui, sa femme et Arnoul, le nouvel archevêque de Reims — depuis la mort d’Adalbéron de Reims — et leur complice. Tous les trois furent immédiatement conduits à Orléans et emprisonnés.
Ce fut là que le prétendant Charles de Lorraine mourut, le 12 juin suivant. Sa femme donna le jour à deux enfants posthumes, qui, parvenus à l’âge d’homme, ne revendiquèrent point la couronne de France, et dont la postérité s’éteignit en Allemagne vers le milieu du XIIIe siècle. La royauté de Hugues Capet, désormais admise par la plupart des grands vassaux et des princes, prit place au nombre des faits accomplis, et toutefois elle ne cessa d’être exposée aux révoltes des seigneurs ; elle prévalut malgré ces attaques.
Maître du duché de France, du comté de Paris et du comté d’Orléans, chef de plusieurs puissantes abbayes, appuyé par son frère le duc de Bourgogne, Hugues Capet, mieux que ses prédécesseurs, se vit en état de tenir tête à ses adversaires et de les réduire l’un après l’autre à lui rendre hommage. Il les laissait d’ailleurs user leurs forces les uns contre les autres dans des guerres privées qui absorbaient leur activité et leur énergie. Au dehors il n’avait d’autre rival à craindre que l’empereur Otton III, maître de la Germanie, de la haute Italie et des deux Lorraines.