2 Avril 2020
Cendre et poussière comme je suis, connaissant par une triste expérience mon imperfection et mes misères, je ne m'étonnerai pas, si parfois je sommeille ; mais faites du moins, Seigneur, que je Vous aime, que je Vous aime ardemment, que je Vous aime souverainement, afin que, plein de confiance en votre Bonté, je Vous dise moi aussi : « Je dors, mais mon cœur veille » (« ego dormio, et cor meum vigilat »).
Puissé-je, mon Dieu, passer ainsi ma vie en Vous aimant avec mon cœur, en Vous adorant avec mon cœur, en Vous servant avec mon cœur, afin que le Jour où Vous me rappellerez à Vous, près de rendre le dernier soupir, ma dernière parole soit celle-ci : « Je vais maintenant dormir du sommeil de la mort ; mais je ne dormirai pas tout entier, mon cœur veille. Il veillera près de Vous et en Vous durant l'Éternité bienheureuse. Ainsi soit-il.
Mgr François de La Bouillerie (1810-1882), Vicaire général de Paris qui créa en 1822 l'association pour l'Adoration nocturne à la maison puis collabora avec Hermann Cohen à la création en France de l'Adoration nocturne du Saint-Sacrement dans l'église Notre-Dame-des-Victoires à Paris le 6 décembre 1848 qui se poursuivit par la suite dans la Basilique de Montmartre où l'Adoration perpétuelle a lieu sans interruption.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd'hui, nous lisons ensemble la sixième béatitude, qui promet la vision de Dieu et a pour condition la pureté du cœur.
Le psaume dit : « Mon cœur m'a redit ta parole : « Cherchez ma face. » C'est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (26,8-9).
Ce langage manifeste la soif d'une relation personnelle avec Dieu, pas mécanique, pas un peu nébuleuse, non, personnelle, que le livre de Job exprime aussi comme le signe d'une relation sincère. Voici ce que dit le livre de Job : « C'est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t'ont vu » (Jb 42,5). Et je pense très souvent que c'est le chemin de la vie, dans nos relations avec Dieu. Nous connaissons Dieu par ouï-dire, mais par notre expérience, nous avançons, avançons, avançons et à la fin, nous le connaissons directement, si nous sommes fidèles… Et c'est cela, la maturité de l'Esprit.
Comment arriver à cette intimité, à connaître Dieu de nos yeux ? On peut penser aux disciples d'Emmaüs, par exemple, qui ont le Seigneur Jésus à leurs côtés, « mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24,16). Le Seigneur ouvrira leurs yeux au terme d'un chemin qui culmine avec la fraction du pain et qui avait commencé par un reproche : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » (Lc 24,25). C'est le reproche du début. Voilà l'origine de leur cécité : leur cœur sans intelligence et lent. Et quand le cœur est sans intelligence et lent, on ne voit pas les choses. On voit les choses comme dans le brouillard. C'est là qu'est la sagesse de cette béatitude : pour pouvoir contempler, il est nécessaire de rentrer en soi et de faire de la place à Dieu parce que, comme le dit saint Augustin : « Dieu est plus intime à moi-même que moi-même » (« interior intimo meo » : Confessions, III,6,11). Pour voir Dieu, cela ne sert à rien de changer de lunettes ou de point d'observation, ni de changer d'auteurs théologiques pour enseigner le chemin : il faut libérer son cœur des mensonges intérieurs qui génèrent nos péchés. Parce que les péchés changent la vision intérieure, ils changent l'évaluation des choses, ils font voir des choses qui ne sont pas vraies ou, au moins, qui ne sont pas aussi vraies.
Il est donc important de comprendre ce qu'est la « pureté du cœur ». Pour cela, il faut se souvenir que, pour la Bible, le cœur ne consiste pas seulement dans les sentiments, mais qu'il est le lieu le plus intime de l'être humain, l'espace intérieur où une personne est elle-même. Cela, c'est selon la mentalité biblique.
L'Évangile de Matthieu affirme : « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, comme elles seront grandes, les ténèbres ! » (6,23). Cette « lumière » est le regard du cœur, la perspective, la synthèse, le point à partir duquel se lit la réalité (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, 143).
Mais que signifie un cœur « pur » ? Celui qui a le cœur pur vit en présence du Seigneur, gardant dans son cœur ce qui est digne de la relation avec lui ; c'est seulement ainsi qu'il possède une vie « unifiée », linéaire, qui n'est pas tortueuse, simple.
Le cœur purifié est donc le résultat d'un processus qui implique une libération et un renoncement. Celui qui a le cœur pur ne naît pas comme cela, il a vécu une simplification intérieure, en apprenant à renier le mal en soi, ce qui, dans la Bible, s'appelle circoncision du cœur (cf. Dt 10,16 ; 30,6 ; Ez 44,9 ; Jr 4,4).
Cette purification intérieure implique la reconnaissance de cette part du cœur qui est sous l'influence du mal – « Vous savez, Père, je sens comme ceci, je pense comme cela, je vois comme ceci, et c'est mal » : reconnaître la part mauvaise, la part assombrie par le mal – pour apprendre l'art de se laisser toujours enseigner et conduire par l'Esprit Saint. Le chemin à partir du cœur malade, du cœur pécheur, du cœur qui ne peut pas bien voir les choses, parce qu'il est dans le péché, jusqu'à la plénitude de la lumière du cœur est l'oeuvre de l'Esprit Saint. C'est lui qui nous conduit à faire ce chemin. Voilà, à travers ce chemin du cœur, nous parvenons à « voir Dieu ».
Dans cette vision béatifique, il y a une dimension future, eschatologique, comme dans toutes les Béatitudes : c'est la joie du Royaume des Cieux vers lequel nous allons. Mais il y a aussi une autre dimension : voir Dieu veut dire comprendre les desseins de la Providence dans ce qui se produit, reconnaître sa présence dans les sacrements, sa présence dans les frères, surtout ceux qui sont pauvres et qui souffrent, et le reconnaître là où il se manifeste (cf. Catéchisme de l'Église catholique, 2519).
Cette béatitude est un peu le fruit des précédentes : si nous avons écouté la soif du bien qui habite en nous et si nous sommes conscients que nous vivons de la miséricorde, commence alors un chemin de libération qui dure toute la vie et conduit jusqu'au Ciel. C'est un travail sérieux, un travail que fait l'Esprit Saint si nous lui donnons de la place pour qu'il le fasse, si nous sommes ouverts à l'action de l'Esprit Saint. C'est pourquoi nous pouvons dire que c'est une oeuvre de Dieu en nous – dans les épreuves et dans les purifications de la vie – et cette oeuvre de Dieu et de l'Esprit Saint conduit à une grande joie, à une véritable paix. N'ayons pas peur, ouvrons les portes de notre cœur à l'Esprit Saint pour qu'il nous purifie et nous conduise sur ce chemin vers la plénitude de la joie.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat