18 Mai 2020
Bill Gates devient la bête noire de Donald Trump
L’Antéchrist a été annoncé par la Bible : "Un homme qui prétend être Dieu, qui tentera de mettre le monde sous la coupe d’un gouvernement unique, avec un système financier unique et une religion unique." Comme chacun sait ou devrait le savoir, il est apparu sur terre et s’appelle… Bill Gates. Qui parle ainsi ? Adam Fannin, un pasteur de Floride dont la vidéo sur YouTube a déjà été vue par 2 millions de personnes. Bienvenue à Billgatesland ! Un parc d’attractions parano où les délires à propos du deuxième homme le plus riche du monde – derrière Jeff Bezos – rivalisent d’imagination. A côté de l’Antéchrist, il y a aussi les élucubrations selon lesquelles le fondateur de Microsoft cherche à développer des vaccins pour "dépeupler" ou "stériliser" le monde, celles voyant dans sa promotion des antiviraux un moyen de coloniser l’Afrique, ou celles l’accusant de faire la publicité de mystérieux "tatouages numériques" pour identifier les porteurs du Covid-19 et refiler les informations aux Nations unies. Sans oublier le masque chirurgical bleu, qui serait le signal secret d’une affiliation à la Bill & Melinda Gates Foundation…
Vaut-il mieux en rire ? Cela semble être le choix de Gates. "J’ai même reçu un message de sympathie de George Soros [le financier et milliardaire américain], donc cela doit devenir sérieux", a-t-il commenté. Pas faux. Tout le monde, désormais, le prend au sérieux. Pas seulement parce qu’il est richissime, lui qui possède encore plus de 100 millions d’actions Microsoft, pour une valeur de 16 milliards de dollars (sa fortune totale dépasse 100 milliards). Pas non plus simplement du fait de sa fondation, dotée d’une cinquantaine de milliards et qui a déjà annoncé qu’elle injectait 250 millions dans la "guerre" contre le coronavirus. Et pas même seulement à cause de la prescience de Gates, qui avait alerté le monde dès 2015 sur la menace d’une pandémie ressemblant comme deux gouttes d’eux à celle du Covid-19. Soudain promu "Nostradamus du virus", on le voit depuis deux mois sur tous les plateaux de télévision, informant l’Amérique sur les dernières avancées scientifiques et distillant ses conseils.
Non, il y a davantage dans sa célébrité et la stupéfiante haine dont il fait l’objet chez certains : Gates est tout simplement devenu l’anti-Trump parfait. C’est un rôle de circonstance, presque une erreur de casting : Gates a toujours gardé ses distances avec la politique, il a donné de l’argent (un peu) aux deux partis et fréquenté les présidents de tout bord. Même quand il a été poursuivi en justice par l’administration Clinton dans les années 1990 pour violation de la loi antitrust, il n’a jamais attaqué celle-ci sur le plan politique. Il juge certes que les milliardaires comme lui devraient être plus imposés, mais affiche souvent des opinions – sur l’éducation ou la philanthropie, par exemple – qui déplaisent à la gauche du parti démocrate. Et son parcours de self-made milliardaire séduit de nombreux électeurs républicains.
Seulement voilà, Bill Gates et son épouse Melinda ont trois défauts : ils croient à la science, prêchent sans complexe les vertus du multilatéralisme et sont des mondialistes convaincus. Trois qualités, ou défauts, qui ne pouvaient que les mettre en travers du locataire de la Maison-Blanche. Tout avait mal commencé, en 2018, quand une vidéo interne à la fondation avait fuité, dans laquelle Bill Gates faisait rire son public en racontant une conversation avec Donald Trump : "Il voulait savoir s’il y avait une différence entre le HIV [virus du sida] et le HPV [virus du papillome humain], du coup j’ai pu lui expliquer que l’on confondait rarement les deux." Trump n’a certainement pas oublié cette humiliation. Mais c’est avec le coronavirus que le divorce est devenu flagrant. Gates est accro à la rigueur scientifique, il est plongé depuis près de vingt ans dans les détails des maladies infectieuses. L’amateurisme de Trump, sur l’hydroxychloroquine et tant d’autres sujets, l’a donc tout naturellement hérissé.
Les choses se sont aggravées avec le deuxième sujet, le multilatéralisme, quand Trump a annoncé qu’il coupait les vivres à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont la fondation Gates est le deuxième contributeur après les Etats-Unis. Le fondateur de Microsoft a alors décoché un tweet indigné : "C’est aussi dangereux que cela en a l’air." Plus tard, pour expliquer que l’OMS a des torts mais que la réaction de Trump est absurde, il aura cette analogie : "Il y a un gros incendie. Les pompiers arrivent avec 20 minutes de retard. C’est comme si on disait : virons tous les pompiers !" Les Gates énervent encore plus Trump quand ils soutiennent activement l’Europe, en l’occurrence Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui vient de lancer une collecte de fonds mondiale pour la recherche contre le virus. Melinda Gates : "Ce sont les leaders européens, très honnêtement, qui comprennent que nous avons besoin d’une coopération internationale."
Entre le camp des pro-science – les Gates, alliés à des gens comme Anthony Fauci, le directeur de l’Institut national des maladies infectieuses des Etats-Unis – et celui des pro-Trump, qui dénoncent les "experts entre guillemets", la guerre n’est plus larvée.