Dans ce long texte de 18 pages, les évêques de ce pays s’attristent du fait que 70 à 80% du territoire demeurent sous le contrôle des groupes armés qui «sont impliqués dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes environnementaux et des pillages à grande échelle de nos ressources minières».
«Sûrs de la protection de leurs parrains, ils soutiennent, organisent, installent et enracinent partout dans le pays la transhumance armée et tiennent une administration parallèle. Ils s’opposent à la restauration effective de l’autorité de l’État par les conquêtes de nouvelles localités et les attaques armées contre les institutions de l’État», dénoncent les évêques, parmi lesquels le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, qui est devenu le porte-parole de son peuple sur la scène internationale.
L’épiscopat s’adresse aux milices armées avec fermeté : «Depuis décembre 2012, vous tenez le pays en otage. En signant l’Accord politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine, en février 2019, vous avez accepté de disparaitre pour rétablir la paix et la sécurité sur toute l’étendue du territoire. Aujourd’hui, satisfaits du statu quo, vous faites parfois semblant de désarmer vos combattants alors que vous renforcez vos positions.»
L’épiscopat centrafricain dresse la liste des priorités que les acteurs politiques doivent prendre en considération: «la promotion humaine, la consolidation des institutions de l’Etat, la mise en œuvre du programme du Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement (DDRR), l’opérationnalisation de la Commission Vérité-Justice-Réparation-Réconciliation (CVJRR), la mise en valeur et la gestion rationnelle des ressources naturelles, le renforcement de la coopération internationale.» Ils saluent les efforts menés depuis mars 2016 pour instaurer un réel système judiciaire et des institutions crédibles.
Néanmoins les maux qui affligent le pays persistent et les évêques en établissent une liste glaçante : «ethnicisme, tribalisme, régionalisme, clanisme, corruption, népotisme, clientélisme, détournement, bradage des biens publics ou privés appartenant aux appauvris de la guerre, déplacés, réfugiés, veuves et orphelins…»
«Quand on parcourt la République Centrafricaine, il est terrifiant de rencontrer des villages entiers contraints à l’abandon par leurs populations ou incendiés par des criminels impunis, s’attristent les évêques. L’état d’insécurité rend des milliers de maisons inhabitables. Des familles préfèrent vivre en exil ou rester sur des sites des déplacés qui sont parfois situés à une centaine de mètres de chez eux. Les victimes attendent désespéramment d’être rétablies dans leurs droits. A quand les réparations maintes fois promises ? Que dire à ces jeunes qui risquent de passer toute leur jeunesse dans des sites de déplacés dans leur propre pays? A quand la réparation des crimes? Quels leaders pourront sortir le peuple centrafricain de l’oppression, de la misère, de l’ignorance?»
En développant une méditation sur l’exemple de Moïse, les évêques soulignent que le pays a besoin de «leaders charismatiques» et d’un appui de la communauté internationale pour «cette partie du monde que Dieu a aussi choisi de sauver par l’ouverture de la Porte sainte du Jubilé de la Miséricorde le 29 novembre 2015 en la cathédrale Notre Dame de l’Immaculée Conception de Bangui», qui avait donné lieu à une visite historique du Pape François.
Ils invitent à renforcer l’Autorité Nationale des Élections et à éviter toute interférence avec d’autres échelons administratifs. Parmi les priorités sur lesquelles tous les partis en lice devraient s’engager figurent notamment «l’unité nationale», «le respect des droits humains», «la justice sociale et la réparation des victimes» ou encore la coopération internationale. Dans le cadre de ce processus électoral et de reconstruction de l’État, les acteurs internationaux sont invité à êtres «neutres, impartiaux, honnêtes et indépendants».
Les évêques adressent aussi un message vibrant d’hommage et d’encouragement aux femmes centrafricaines, dont l’action politique est soulignée : «Vous êtes la matrice bénie de Dieu, mères nourricières de la société, véritables actrices résolues de la paix. Sans la poursuite de votre engagement civique, moral et spirituel auprès de vos familles, du leadership politique, économique et social, notre pays manquerait d’humanité dans la conduite du destin commun», soulignent-ils.
Les catholiques du pays sont exhortés à se montrer exemplaires : «Ne cédez pas à la division, à l’incivisme, à la corruption et au rejet de l’autre. Soyez rassembleurs, fidèles à la Parole du Christ qui nous éclaire et nous rend libres en toutes circonstances comme des modèles de témoignage de la présence de l’Esprit qui renouvelle la face de la terre dans l’amour.»
«La République Centrafricaine, pays effondré, se trouve dans une période délicate de son destin, nécessitant un leadership avisé et courageux, humaniste et responsable face aux enjeux nationaux, régionaux, continentaux et internationaux auxquels nous appartenons. Nous avons plus que besoin de rassembler les compétences, les talents, les expertises des Centrafricains à travers le monde pour bâtir une société de réussite qui nous fera sortir durablement de l’échec auquel nous assistons depuis plusieurs décennies», concluent les évêques