23 Novembre 2020
En cette année 1407, la France vit la fin d'une longue « embellie ». Elle se remet de son conflit avec l'Angleterre après les victoires de Du Guesclin et du roi Charles V le Sage... Un crime va tout mettre en péril.
Alban Digna
Crime de brigands
Le 23 novembre 1407, le duc Louis d'Orléans est assassiné par une quinzaine de malfrats masqués. Ses valets et ses gardes, qui l'escortent, sont impuissants à le protéger.
Le crime a lieu à Paris, rue Vieille du Temple, dans le quartier du Marais où sont situés les hôtels et les palais des Grands du royaume et du roi lui-même.
Louis d'Orléans est le frère cadet du roi Charles VI le Fou. Il trouve la mort en sortant de l'hôtel Barbette où réside la reine Isabeau de Bavière, sa belle-soeur. Celle-ci, que l'on dit encore alerte et séduisante à 39 ans malgré une douzaine de grossesses, préside le Conseil de Régence qui gouverne le pays depuis que le roi a été frappé de folie, quinze ans plus tôt.
La victime participe à ce Conseil de même que son cousin, le duc de Bourgogne Jean sans Peur, et ses oncles, les ducs d'Anjou, de Berry et de Bourbon.
Coalition mafieuse
Ces princes du sang (les « sires des fleurs de lis ») tirent leur puissance des fiefs que les précédents souverains ont enlevé au domaine royal et leur ont remis en apanage. Ils profitent de la maladie du roi pour mettre le pays en coupe réglée.
Jean sans Peur, duc de BourgogneMais, comme dans un roman noir, leur connivence est troublée par la complicité de Louis d'Orléans avec la reine Isabeau de Bavière, qui fait craindre à certains que le frère du roi ne prenne le dessus au Conseil. Ils ne se font pas faute de répandre des rumeurs sur l'inconduite d'Isabeau et sur ses relations coupables avec le séduisant Louis.
Le plus remonté est Jean sans Peur. Il a hérité du duché de Bourgogne trois ans plus tôt, à la mort de son père Philippe le Hardi.
Âgé de 35 ans comme sa victime, il s'est lui-même attribué le surnom de « sans Peur » suite à sa participation à la malheureuse bataille de Nicopolis et à la brutale répression d'une révolte de ses sujets liégeois (10 000 victimes).
Or, après la mort de Philippe le Hardi, Louis d'Orléans est sorti de sa réserve. Il s'est mis en tête de chasser les Anglais des terres qu'ils possèdent encore sur le Continent.
Pour le duc de Bourgogne, c'en est trop. Outre qu'il a perdu en influence au Conseil de Régence, il s'afflige de ce que la reprise des hostilités avec l'Angleterre mette en péril l'activité économique de la Flandre, la plus riche de ses possessions, dont la prospérité est suspendue au commerce avec les Anglais.
Pour ne rien arranger, il se voit priver des dons royaux, ce qui compromet l'équilibre de ses finances. Lui, le seigneur le plus puissant et le plus riche d'Occident, voit sa puissance vaciller...
Aussi découvre-t-on sans surprise après le crime de la rue Vieille du Temple que les meurtriers ont agi sur son ordre. C'est d'ailleurs dans son hôtel de la rue Mauconseil qu'ils se sont réfugiés une fois leur méfait accompli.
Armoiries parlantes
Jean sans Peur et Louis d'Orléans se haïssaient ouvertement et ne manquaient pas de le faire savoir.
Dans ses armoiries, le premier avait ajouté une ortie au houblon (symbole de la Flandre) pour signifier son intention de nuire à son rival de toutes les façons possibles.
Louis avait alors ajouté au porc-épic qui illustrait les siennes (le porc-épic a la réputation de pouvoir lancer ses épines contre ses ennemis) un bâton pour battre son adversaire.
Et pour contrer le baton, Jean avait derechef introduit... un rabot dans ses armoiries !
Disculpation du coupable
Le commanditaire du crime se fait d'abord discret car la population parisienne, forte de 300 000 âmes, est secouée par le drame et est portée à la révolte.
Puis des rumeurs circulent et le vent tourne... C'est que la veuve du duc d'Orléans, Valentine Visconti, fille du duc de Milan, n'inspire guère de confiance aux Parisiens. La malheureuse, pourtant, très affectée par la mort de son époux chéri, va se laisser mourir de consomption.
Le duc de Bourgogne apparaît d'autre part très puissant et capable de beaucoup de choses imprévisibles. Aussi la ville en arrive-t-elle peu à peu à pardonner aux assassins par crainte de plus graves ennuis.
Le 8 mars 1408, dans la grande salle de l'hôtel Saint-Pol, au coeur du Marais, un docteur en Sorbonne justifie hypocritement le meurtre de Louis d'Orléans, rangé au rang des tyrans et des adeptes en sorcellerie ! Jean sans Peur peut ensuite avouer tranquillement son crime. Il explique au pauvre roi Charles VI qu'il a agi pour le bien du royaume et le frère de la victime lui accorde son pardon.
Armagnacs et Bourguignons
L'assassinat de la rue Vieille du Temple a des conséquences dramatiques pour le royaume de France.
Le meurtre du duc Louis d'Orléans, frère du malheureux roi Charles VI le Fou, tranforme en guerre ouverte les rivalités entre les factions qui se disputent le pouvoir. D'un côté, les partisans de Charles d'Orléans, le fils de la victime, de l'autre, les Bourguignons du duc Jean sans Peur, le commanditaire de l'assassinat.
Comme on n'est jamais trop prudent, le duc de Bourgogne fait ériger en 1409 une somptueuse et impressionnante tour fortifiée au coeur de son hôtel parisien, lequel est adossé à la muraille de Philippe Auguste et couvre pas moins d'un hectare entre les actuelles rue Saint-Denis et Montorgueil. Cette « tour Jean sans Peur », très belle et encore en excellent état, est l'un des rares vestiges parisiens de l'architecture civile du Moyen Âge.
La querelle des Armagnacs et des Bourguignons
Trois ans après le meurtre de son père par les sbires du duc de Bourgogne, son héritier le duc Charles d'Orléans - plus tard connu comme poète - épouse Bonne d'Armagnac, fille du comte Bernard VII d'Armagnac. Celui-ci est un seigneur brutal et redouté. Il commande à une soldatesque nombreuse, originaire des pays de l'Adour et de la Garonne. Sans hésiter, il se met au service de son gendre et devient partie prenante du conflit entre la famille d'Orléans et celle de Bourgogne.
Pour cette raison, les partisans de Charles d'Orléans se font connaître sous le nom d'Armagnacs. Ils adoptent comme signe de ralliement l'écharpe rouge et la croix blanche tandis que les Bourguignons adoptent le chaperon vert et la croix de Saint André.
Pendant des décennies, le malheureux royaume va résonner de la querelle des Armagnacs et des Bourguignons. Quand va revenir la guerre entre Français et Anglais, les Armagnacs vont prendre le parti du Dauphin, futur roi Charles VII, et les Bourguignons celui des Anglais. La querelle rebondira avec l'assassinat de Jean sans Peur en présence du Dauphin..