16 Novembre 2020
La démocratie désigne un régime politique où l'ensemble des citoyens participent aux décisions qui concernent la collectivité ou du moins au choix des dirigeants. Le mot vient du grec dêmos (qui désigne le peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens riches et pauvres), et arkein, commander. Pourquoi le grec ? Parce que les cités-États (polis en grec) de la Grèce ancienne, et en particulier Athènes, nous ont livré les premiers témoignages de l'élaboration d'un tel régime (700 à 600 ans av. J.-C.).
Cette élaboration fut longue et douloureuse. Elle s'étira sur un siècle et demi et se conclut au début du Ve siècle, à la veille des guerres médiques, à Athènes, par des règles constitutionnelles partageant le pouvoir entre tous les citoyens libres, aristocrates et travailleurs. Quatre réformateurs ont marqué ce long processus : Dracon, Solon, Pisistrate et Clisthène...
Douloureuse sortie des Âges sombres
Après l’Âge d’or mycénien, la Grèce a souffert des invasions doriennes. Elle est entrée dans un long Moyen Âge, les Âges sombres (1200 à 650 av. J.-C.). On situe au début de cette époque la mythique guerre de Troie. Bien que parlant la même langue et priant les mêmes divinités, les Grecs sont divisés en cités rivales et n'en finissent pas de se faire la guerre. Ils pratiquent l'esclavage, tiennent les femmes pour inférieures et méprisent les étrangers.
Les cités manquent sur place de ressources agricoles. Alors, elles font du commerce maritime dans toute la Méditerranée à l'imitation des Phéniciens et en concurrence avec eux. Pour offrir du travail et des terres à leur population en surnombre, elles multiplient les colonies en Sicile, en Italie du sud et même en Corse et à Marseille. Grâce au commerce et aux colonies, la prospérité gagne l'ensemble du monde grec même si les cités grecques n'en finissent pas de se quereller et de se faire la guerre !
Comme notre Moyen Âge, cette période débouche sur des innovations majeures. Les Grecs se dotent d'un alphabet imité de celui des Phéniciens. Ils inventent la monnaie. À Milet apparaît pour la première fois une pensée rationnelle philosophique et scientifique avec Thalès, Anaximandre et Anaximène, dont l’influence s’étendra à Pythagore de Samos.
L’art connaît une véritable révolution au début du VIe siècle av. J.-C. avec la naissance des ordres architecturaux, la maîtrise de l’architecture de pierre, la création des premiers types codifiés dans la statuaire (les kouroi et les korês) et la représentation sur tous les supports de thèmes mythologiques et épiques. On assiste enfin à l'émergence d'une identité commune à l'ensemble des cités hellénophones, avec la consolidation des grands mythes (Homère, Hésiode) et les retrouvailles de tous les hommes libres aux Jeux Olympiques et dans les sanctuaires tel celui de Delphes.
Mais cette époque voit aussi s'exacerber les tensions entre les familles aristocratiques dirigeantes, les Eupatrides (les « Bien-nés »), et les populations laborieuses. Des réformes s'imposent sous peine d'explosion sociale... Plus ou moins réussies, elles vont déboucher sur une première forme de démocratie.
Athènes et sa région, l'Attique, une presqu'île de la mer Égée grande comme le Luxembourg actuel, ne sont peuplées en tout et pour tout que d'environ 300 000 habitants dont un tiers à peine constitué par les citoyens et leurs familles. Néanmoins, bien que dépourvue de grandes richesses et de colonies, la cité va réussir cette transition démocratique mieux qu'aucune autre.
La colonisation grecque du VIIIe au VIe siècle(encyclopedie.bseditions).
Dracon et les lois pénales
La Grèce des Âges sombres était dépourvue de lois précises. Dans les palais royaux, lorsqu'un usurpateur prenait place sur le trône sans attendre la mort naturelle du patriarche, il était évident que les enfants du roi spolié avaient intérêt à s'enfuir pour sauver leur vie. L'usurpateur ne manquait jamais de mettre sa progéniture sur le trône quitte à supprimer les gêneurs. Selon les croyances religieuses, les dieux eux-mêmes pouvaient être chassés momentanément de l'Olympe pour avoir commis un crime : leur peine, en règle générale, était de se mettre au service d'un humain (comme Apollon et Poséidon au service de Laomédon).
Plus prosaïquement, au niveau humain, chaque clan ou «Génos» possédait plus ou moins sa propre manière de régler ses comptes sans en référer à une quelconque autorité suprême. Tous les membres d'un clan étaient solidaires. Porter atteinte à l'un d'eux revenait à bafouer le clan entier car, dans l'Antiquité, existait un code auquel nul ne pouvait se dérober : la vengeance du sang.
En clair, cela signifiait que toute personne assassinée pour une raison ou pour une autre devait être vengée par un membre de la famille, forcé d'assassiner à son tour le coupable... La vengeance était une obligation absolue exigée par le fantôme de la victime afin que son âme n'erre pas éternellement de l'autre côté de l'Achéron sans pouvoir être jugée et donc ne pas avoir la permission d'entrer dans les Champs Élysées (comme les morts sans sépulture).
Chaque Génos était régi par des «rhètres». C'était des lois non écrites, à l'image des rhètres de Lycurgue, législateur légendaire de Sparte (Plutarque écrit à son sujet « qu’on ne peut absolument rien dire qui ne soit douteux »). Elles étaient tacitement acceptées de tous les citoyens.
À Athènes, la première organisation sociale remonte, selon la légende, au roi Thésée qui aurait réparti la population en trois catégories. Les Eupatrides (en grec : « Ceux qui ont bien mérité la Patrie ») sont les chefs des familles les plus riches, les Géôrggés désignent les cultivateurs et les Démiurges les artisans.
Vers 682 av. J.-C., la monarchie disparaît au profit d'un gouvernement aristocratique dominé par les Eupatrides. Ceux-ci mènent la vie dure aux paysans pauvres en exigeant d'eux une dîme égale à un sixième des récoltes (ces métayers sont pour cela appelés hectémores) et en réduisant en esclavage ceux qui ne paient pas leurs dettes.
Les représentants des grandes familles se réunissent régulièrement sur l'Aréopage, une colline qui doit son nom au dieu Arès (le dieu de la guerre aurait été jugé par ses pairs à cet endroit). Là, ils élisent les magistrats et nomment les neuf archontes qui constituent le gouvernement de la cité. Les trois premiers reprennent les anciennes fonctions royales : l'archonte éponyme donne son nom à l'année de son mandat ; l'archonte-roi assure les charges religieuses et l'archonte polémarque est responsable des affaires militaires.
Avec le développement du commerce et d'une certaine forme d'industrie, la majorité du peuple, vouée à la paysannerie, tend à s'appauvrir cependant qu'émerge une classe de riches marchands. Ces derniers ne tardent pas à entrer en conflit avec l'aristocratie terrienne des Eupatrides.
Pour apaiser les tensions entre les différentes classes sociales, un hardi réformateur du nom de Dracon édicte vers 621 av. J.-C. les premières lois écrites, identiques pour toutes les classes sociales. Il supprime l'autorité du patriarche du Génos et surtout la vengeance privée. Les pauvres ne sont plus jugés selon le bon plaisir des Eupatrides. Dracon fait aussi la distinction entre le meurtre volontaire et l'homicide involontaire.
Parlant de l'extrême rigueur de son code (les infractions même mineures, comme le vol d'un chou, étaient punies de mort), on dit de lui qu'il a été écrit avec du sang (le mot «draconien» désigne encore aujourd'hui une règle très dure). Ne prête-t-on pas au réformateur la formule : «Les plus petites fautes m'ont paru dignes de la mort, et je n'ai pas trouvé d'autres punitions pour les plus grandes» ?
Nous devons nous replacer dans le contexte de violence de cette époque pour comprendre la portée de ces lois. C'est que, pour retirer aux familles puissantes, l'envie de se venger, il fallait leur donner l'assurance que le coupable d'un délit serait plus sévèrement puni par la société que par eux-mêmes ! Ainsi, la sévérité des lois désintéressait les membres d'une famille de la vengeance collective et en outre dissuadait les criminels potentiels. De cette double façon, l'État s'alliait à l'individu pour le soustraire à l'emprise du Génos et pour lui donner le sentiment de son indépendance.
Néanmoins, la réforme de Dracon n'empêche pas les Eupatrides de consolider leur pouvoir sur la cité. Elle sera heureusement complétée par les réformes de Solon.
Solon et les lois sociales
Solon, qui a vécu de 640 à 558 av. J.-C., est né dans une famille d'Eupatrides (il fait partie des gens « bien nés », autrement dit des aristocrates) mais pauvre. Ayant beaucoup voyagé, il a pu refaire sa fortune dans le commerce des huiles tout en restant foncièrement honnête. Ses voyages lui ont conféré une grande ouverture intellectuelle. Il est de surcroît poète et, comme tel, passe pour être inspiré par les dieux.
Solon est choisi comme arbitre par les différentes classes sociales de la ville d'Athènes. Quand il devient archonte en 594 av. J.-C., la cité est au bord de l'explosion sociale.
Les Eupatrides ont fini au fil du temps par acquérir la plus grande partie des terres de l'Attique. En s'appuyant sur les très sévères lois de Dracon, ils menacent de réduire en esclavage tous les paysans pauvres incapables de rembourser leurs dettes.
Par ailleurs, le développement du commerce a favorisé l'éclosion d'une classe de marchands qui veulent participer au gouvernement de la cité mais en sont empêchés par les Eupatrides.
Solon rétablit dans un premier temps la paix sociale en levant la menace de réduction en esclavage des paysans endettés par une mesure proprement révolutionnaire : la sisachtie (en grec, le « soulagement d'un fardeau »). En d'autres termes, il abolit d'un coup toutes les dettes tant publiques que privées ! C'est l'équivalent de ce que les libéraux d'aujourd'hui appellent faillite ou banqueroute.
L'effacement des dettes vu par Aristote
Voici comment, trois siècles après, le savant Aristote raconte la sisachtie et l'établissement de la démocratie par Solon :
« Devenu maître du pouvoir, Solon affranchit le peuple, en défendant que dans le présent et à l'avenir la personne du débiteur servît de gage. Il donna des lois et abolit toutes les dettes, tant privées que publiques. C'est la réforme qu'on appelle la délivrance du fardeau (seis‹xyeia), par allusion à la charge qu'ils avaient comme rejetée de leurs épaules.
On a essayé d'attaquer Solon à ce sujet. Au moment en effet où il projetait l'abolition des dettes, il lui arriva d'en parler à l'avance à quelques-uns des nobles, et ses amis, selon la version des démocrates, firent, à l'encontre de ses projets, une manoeuvre, dont il aurait aussi profité, ajoutent ceux qui le veulent calomnier. Ils s'entendirent pour emprunter de l'argent et acheter beaucoup de terre, et l'abolition des dettes survenant presque aussitôt, ils firent fortune. Ce fut, dit-on, l'origine de ces fortunes que dans la suite on fit remonter à une si haute antiquité. Mais la version des démocrates est plus plausible ; l'autre n'a pas la vraisemblance pour elle : comment un homme, qui fut si modéré et si attaché aux intérêts publics que, pouvant tourner les lois à son profit et établir sa tyrannie dans la ville, il s'attira plutôt la haine de l'un et de l'autre parti, mettant l'honneur et le salut de la cité au-dessus de ses propres intérêts, se serait-il sali à d'aussi petites et aussi indignes opérations ? » (Aristote, Constitution d'Athènes).
Solon étend aussi l'héritage aux filles et à leurs enfants, même naturels.
Il a surtout l'idée de répartir les citoyens en quatre classes censitaires, selon leur niveau de richesse : pentacosiomédimnes, chevaliers, zeugites et thètes. Il reprend ce faisant la division antique en trois classes mais y ajoute une quatrième classe, celle des paysans pauvres, autrefois privés de toute représentation publique :
Les citoyens les plus riches (les « pentacosiomédimnes ») ont davantage de droits que les autres. Ils participent aux choix politiques et prennent part aux fêtes civiques. Mais ils doivent aussi financer les services publics, les liturgies (du grec leitos, public, et ergos, oeuvre). Ils doivent également servir dans l'armée comme cavaliers, marins ou hoplites (c'est-à-dire soldats à pied).
Les citoyens de la quatrième classe, les paysans sans terre (les thètes), sont exemptés d'impôts et dispensés de servir dans l'armée.
Solon met par écrit les principes de gouvernement de la cité. L'ensemble de ces principes dessine une Constitution dont le texte est gravé dans le marbre. Il reprend les institutions anciennes en les amendant sensiblement.
- L'assemblée de l'Ecclesia :
• L'ensemble des citoyens est appelé à se réunir au moins quatre fois par mois sur la colline du Pnyx. Il forme l'Ecclésia (assemblée en grec, un mot que nous retrouvons dans ecclésiastique et... Église).
• L'assemblée débat et vote à main levée les lois et les déclarations de guerre.
• Tous les ans, elle élit les dix stratèges (un par tribu, éligible et rééligible indéfiniment), c'est-à-dire les chefs des régiments de hoplites (soldats à pied).
• Elle élit aussi tous les ans les neuf archontes en charge du gouvernement. Ils exécutent les décisions de l'assemblée mais leur puissance va décliner au fil du temps au profit des stratèges. Ces stratèges, à l'origine de simples officiers, finiront par devenir les vrais maîtres du gouvernement.
• Elle tire aussi au sort les magistrats parmi des volontaires de la classe la plus riche (le volontariat limite le risque d'incompétence). Cette prérogative a été enlevée par Solon à l'Aréopage, vieille assemblée oligarchique principalement composée des anciens archontes (elle siège sur la colline d'Arès, Areios pagos en grec, d'où son nom).
• Elle tire également au sort parmi l'ensemble des citoyens, y compris les plus pauvres, les membres du nouveau tribunal populaire mis en place par Solon : l'Héliée...
NB : au cours du Ve siècle av. J.-C., pour limiter l'absentéisme des citoyens pauvres, qui préfèrent généralement travailler aux champs plutôt que de débattre sur le Pnyx, le stratège Périclès leur accordera une indemnité, le mystos, en échange de leur participation aux débats.
- Le tribunal de l'Héliée :
Le tribunal populaire de l'Héliée siège à l'extérieur, sous le soleil (Hélios en grec), d'où son nom. C'est une juridiction d'appel qui réexamine les arrêts rendus par les magistrats des tribunaux aristocratiques, ce qui limite l'arbitraire de ceux-ci. Ses membres, les héliastes, au nombre de 6 000 (600 par tribu), sont tirés au sort annuellement parmi l'ensemble des citoyens, sans distinction de classe. C'est le coeur de la réforme de Solon.
La Constitution de Solon, bien que généreuse, intelligente et équilibrée, mécontente beaucoup de monde. Il est vrai qu'elle laisse de côté la grande majorité de la population athénienne : citoyens pauvres, étrangers (métèques) et esclaves, sans parler des femmes, interdites d'expression publique et soumises à leur père ou mari.
Les citoyens et les autres à Athènes
• Les citoyens :
À la base de la démocratie athénienne figurent les citoyens. C'est l'ensemble des hommes libres de plus de 18 ans qui sont nés de père et mère athéniens et ont fait le service militaire de deux ans (l'éphébie). Ils ont seuls le droit de participer au culte public, de siéger aux assemblées et d'y prendre la parole, de voter, d'être magistrat, de contracter un mariage légal, de posséder des immeubles. En contrepartie, il doivent payer l'impôt et remplir bénévolement certaines charges publiques.
• Les métèques :
Les métèques, c'est-à-dire les étrangers venus des autres cités (du grec meto, qui a changé, et oikos, maison), doivent avoir un citoyen athénien comme répondant et se trouvent alors sous la protection de l'État. Payant l'impôt, faisant leur service militaire et pouvant assister aux fêtes religieuses, il leur est cependant interdit de devenir propriétaire ou de contracter un mariage légal sauf s'ils rendent de grands services à l'État. Il leur est possible dans ce cas d'acquérir le droit de cité.
• Les esclaves :
Les esclaves sont des paysans tombés en servitude faute d'avoir pu payer leurs dettes, des prisonniers de guerre ou encore des étrangers achetés sur les marchés. Ils peuvent être affranchis et deviennent alors des métèques. Il existe deux sortes d'esclaves à Athènes : ceux des particuliers et ceux de l'État. Ces derniers occupent des fonctions auprès de la police, dans les bureaux de la magistrature, aux archives ou à la Monnaie. En temps de guerre, on les mobilise dans la marine ou à l'armée.
Pisistrate à l'écoute du peuple
Quand un législateur n'arrive pas à convaincre les citoyens de l'utilité de ses réformes et que la guerre civile menace de revenir, un tyran s'empare de tous les pouvoirs. Le mot tyran vient du grec turannos qui signifie « maître ».
Tête de Pisistrate et main gauche d'Alcibiade, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1824-1834, Montauban, MIB (musée Ingres Bourdelle).C'est ainsi qu'à Athènes, le tyran Pisistrate va approfondir l'oeuvre de Solon.
Pisistrate est un aristocrate athénien qui prétend descendre tout à la fois du héros homérique Nestor et du réformateur Solon. Il s'oppose aux tenants de l'oligarchie et, en 561-560 av. J.-C., s'érige en tyran après avoir simulé un attentat contre sa personne et prétexté de cela pour s'entourer d'hommes armés.
Cette première prise de pouvoir ne dure pas. Il est chassé par l’opposition quelques mois plus tard et contraint à l’exil. Il revient à Athènes grâce à une alliance matrimoniale avec les Alcméonides, l’une des familles athéniennes les plus puissantes.
L'alliance ne dure pas et il doit s'exiler de nouveau vers 556-555 av. J.-C. Il revient en 545-544 av. J.-C. Chassé encore une fois en 539-538 av. J.-C., il parvient avec une armée et des soutiens étrangers à battre ses adversaires et à prendre définitivement le pouvoir en 529-528 av. J.-C., juste avant de mourir.
Au pouvoir, Pisistrate tranche les conflits en faveur du peuple. Il impose le partage des terres. Il permet aux habitants les plus pauvres d'être mieux écoutés dans l'assemblée.
Le tyran promeut aussi le culte de Dionysos et de Déméter, des divinités agraires, ainsi que celui d'Athéna, qui devient le culte de tous les Athéniens, des aristocrates et du peuple. Il institue de grandes fêtes et en particulier les Panathénées. Il ouvre la première bibliothèque publique et fait établir et publier l’Iliade et l’Odyssée d’Homère pour la première fois.
Pisistrate, le tyran d'Athènes, gravure, 1832, Londres, Encyclopedia Britannica.
Pisistrate n'aura en définitive laissé que de bons souvenirs ou presque aux Athéniens. Son gouvernement sera qualifié de « vie sous Cronos », c’est-à-dire d’Âge d'or par Aristote. Le savant précisera qu’« il administra les affaires de la cité avec mesure et plus en citoyen qu’en tyran » (Constitution des Athéniens, XVI).
De fait, la tyrannie a contribué à surmonter une crise sociale profonde et a aidé à détruire les privilèges politiques de l'aristocratie. En réservant le pouvoir à une seule personne, et non à un groupe, ce système politique a vu l'application de la même loi à tous (à l’exception du tyran, bien entendu).
À la mort du tyran, ses fils Hippias (527-510 av. J.-C.) et Hipparque (?-514 av. J.-C.) lui succèdent. Ce sont les Pisistratides (le suffixe –ides désignant en grec « les fils de », une lignée). Ils montrent moins d'habileté et plus de cruauté que leur père. Hipparque est tué au cours d'une rixe en 514 av. J.-C. et son frère est chassé du pouvoir quatre ans plus tard par un complot manigancé par deux aristocrates, Harmodios et Aristogiton. Dans la propagande athénienne des Ve et IVe siècles av. J.-C. ces deux hommes vont devenir des héros qui ont délivré la cité de la tyrannie et seront surnommés les tyrannoctones ou les tyrannicides (les « tueurs de tyrans »).
Stamnos avec Harmodios (à droite) et Aristogiton (à gauche) tuant Hipparque (au centre), peinture de Syriskos, Würzburg, Martin von Wagner Museum.
Chant d’Harmodios
« Dans un rameau de myrte je porterai mon épée, comme Harmodios et Aristogiton, lorsqu’ils tuèrent le tyran et firent d’Athènes une cité où règne l’égalité.
Harmodios chéri, tu n’es pas mort : on dit que tu es dans l’île des Bienheureux, là où se trouve Achille aux pieds rapides, près du vaillant Diomède, fils de Tydée.
Dans un rameau de myrte je porterai mon épée, comme Harmodios et Aristogiton, lorsqu’aux fêtes d’Athéna ils tuèrent Hipparque, un tyran.
Éternelle sera votre gloire à travers le monde, Harmodios et Aristogiton chéris, parce que vous avez tué le tyran et fait d’Athènes une cité où règne l’égalité. »
Athènes n’est pas la seule cité à s'être dotée d’un régime tyrannique mais c’est l’une des mieux renseignées. On peut mentionner d’autres cités où un tel régime politique est avéré, en Grèce continentale à Argos, Corinthe, Mégare et Sicyone, en Asie Mineure et sur les îles, à Éphèse, Milet, Mytilène, Naxos et Samos et en Sicile, à Agrigente, Géla et Syracuse. Le précurseur est Clisthène de Sicyone (601-570 av. J.-C.), qui aurait, le premier, imposé le partage des terres en faveur des paysans (« anadasmos » en grec).
Clisthène et l'épanouissement de la démocratie
Clisthène (2004, Anna Christoforidis)Issu de l'illustre famille des Alcméonides et petit-fils du tyran de la cité de Sicyone, Clisthène d'Athènes va remodeler la Constitution de Solon après la chute des Pisistratides.
En quatre ans, de 507 à 501 av. J.-C., il va instaurer une démocratie pleine et entière, la première en son genre (à ce détail près que n'y ont accès qu'une minorité des habitants).
Pour saper la puissance de l'aristocratie, Clisthène divise Athènes et sa région, l'Attique, en une centaine de circonscriptions territoriales, les dèmes. Puis, aux quatre tribus anciennes, il en substitue dix nouvelles, les phylai, chacune étant constituée de trois régions ou trytties, non contigües, l'une dans la ville d'Athènes proprement dite, l'autre dans l'intérieur des terres, la troisième sur la côte.
Les citoyens de toutes les couches sociales et de toutes les parties de la cité (ville, intérieur des terres, côte) sont ainsi représentés dans chaque tribu et doivent apprendre à vivre et travailler ensemble.
Enfin, Clisthène rénove une assemblée antique qui va rapidement prendre le pas sur l'Ecclésia. C'est la Boulê ou Conseil des citoyens.
Cette assemblée se compose de 500 membres, les bouleutes. Chaque tribu en tire au sort 50 parmi ses membres. Elle examine les projets de loi, administre la cité et exécute les décisions de l'Ecclésia.
Les 50 représentants de chaque tribu doivent se tenir prêts à tout moment à intervenir à la Boulê. Pour cela, ils vivent à côté, aux frais de la cité, pendant le temps de leur mandat, dans un bâtiment circulaire propre à chaque tribu et appelé Tholos.
Le gouvernement et les magistrats délibèrent sur l'Agora, centre civique d'Athènes. Ce lieu sacré, au pied de la colline également sacrée de l'Acropole, est délimité par des pierres sur lesquelles est inscrit : « Je suis la frontière de l'Agora ». Ont interdiction d'y pénétrer les déserteurs, les métèques (étrangers libres) et... les gens aux mains sales, considérés comme impurs (des bassins d'eau bénite permettent à toute personne de se laver les mains avant d'entrer).
Les citoyens se réunissent sur l'Agora une fois par an afin d'évaluer le travail des magistrats et punir ceux qui abuseraient de leur pouvoir. Ils votent au moyen d'ostracas (tessons de poterie... ou coquilles d'huîtres). Tout vote positif en entraîne un second deux mois plus tard afin de laisser le temps au citoyen de s'amender. Un deuxième vote positif (au moins 6 000 voix sont nécessaires) entraîne l'exil pendant dix ans (d'où notre mot ostracisme, synonyme de mise à l'écart).
Ce principe est censé être équitable... Néanmoins, lors du vote pour le bannissement de Thémistocle, les archéologues, en examinant le millier d'ostracas mis à jour, ont découvert que ces derniers avaient été réellement écrits par quatorze personnes seulement. Il semblerait que les adversaires de l'archonte aient profité de l'analphabétisme ou de l'indécision de certains afin de faire pencher la balance du côté qu'ils désiraient.
Quoi qu'il en soit, au terme de ce long processus, Athènes se trouvera assez forte pour repousser l'immense armée perse, devenir la protectrice de la Grèce... et notre inspiratrice dans les arts, la philosophie et la politique.