7 Décembre 2020
Le mois d’octobre 1739 vit commencer un hiver très rigoureux. Le froid après avoir été vif et continuel depuis le 15 de ce mois, durait encore à la fin du printemps de 1740, et la Seine fut prise par des glaçons d’un demi-pied d’épaisseur selon les témoignages du temps. Le bois devint d’une cherté exorbitante. Enfin, au mois de mai, le temps s’adoucit ; les gelées cessèrent, mais il survint des pluies continuelles et abondantes qui pourrirent les grains dans la terre, et rendirent cette année fâcheuse et difficile à passer. La disette se fit sentir.
La Seine commença à croître considérablement à Paris, le 7 décembre 1740 ; le 14 elle était à 18 pieds 10 pouces, de sorte qu’elle entrait dans la place de Grève jusqu’au milieu de l’arcade de l’Hôtel de Ville. Le jour de Noël au matin, la hauteur de l’eau atteignit 24 pieds, et le lendemain crût encore de 4 pouces, ce qui fut le maximum : toute l’île Louviers fut inondée, à l’exception d’une partie plus élevée que le reste de l’île et située près du pont de Grammont.
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Le quai des Augustins fut couvert d’eau depuis le pont Saint-Michel jusqu’à la rue des Grands-Augustins. Un peu au-dessous du Pont-Royal, l’inondation s’étendait dans le faubourg Saint-Germain, où elle traversait les rues de Bourbon, de l’Université et de Saint-Dominique. On allait en bateau dans la grande rue du faubourg Saint-Antoine ; les murs du couvent des Anglais, dans la rue de Charenton, furent renversés. L’eau remontait à très peu de distance du Palais-Royal. Du côté du midi l’inondation s’étendit jusqu’à la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, et noya tout ce qui s’étendait depuis la Salpêtrière jusqu’au palais Bourbon.
Il était question de prévenir les dangers auxquels on allait être exposé ; et l’on ne pouvait y remédier de trop bonne heure : aussi Feydeau de Marcille, lieutenant général de police, et Aubry de Vatan, prévôt des marchands, firent-ils éclater leur zèle et leur sollicitude, chacun dans leur district. Il se tint de fréquentes assemblées au Palais chez le premier président, où le procureur général et les autres magistrats concertaient toutes les mesures qu’il y avait à prendre, selon l’exigence des cas.
La vie des citoyens fut le premier objet de leur attention. La crainte que la violence des eaux ne causât la ruine de quelques ponts, obligea d’ordonner que les habitants en délogeraient, ainsi que ceux des deux ailes du pont Marie ; et comme ces ailes menaçaient ruine, on prit le parti de faire abattre les dix-huit maisons qui composaient celle qui était du côté du port Saint-Paul : on y travailla avec tant d’ardeur qu’elles furent abattues jusqu’au rez-de-chaussée, le 29 janvier 1741.
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Malgré les magasins de blé dont la capitale était remplie, on se vit sur le point de manquer de pain ; parce que la hauteur et la rapidité des eaux empêchaient les moulins à eau de tourner, et que les moulins à vent ne pouvaient suffire à fournir la quantité de farine nécessaire à la nourriture de tant de citoyens. Le péril était trop pressant pour ne pas y apporter un prompt remède. On ne se rebuta ni des frais, ni de la difficulté des chemins, que les eaux répandues de toutes parts rendaient presque impraticables : on fit venir de Rouen et d’autres endroits des farines en assez grande quantité pour tranquilliser les esprits, au moins sur les besoins présents.
Comme tout était essentiel dans une si triste circonstance, l’attention des magistrats pour ménager la farine, alla jusqu’à défendre aux pâtissiers et aux boulangers de faire des gâteaux des Rois, depuis le 1er janvier 1741 jusqu’au 15 du même mois. Le procureur général expliquait, dans le dispositif de l’arrêt du parlement du 31 décembre 1740, que s’étant fait instruire de la quantité de farine qu’on employait à faire ces gâteaux, il avait été surpris d’apprendre qu’en huit ou quinze jours on employait cent muids de farine pour les seuls gâteaux des Rois ; c’est pourquoi il requérait qu’on retranchât cet emploi pour une chose si superflue et si inutile, dans un temps où l’inondation de la rivière empêchait que l’on ne pût transporter des blés et des farines à Paris.
Quoique la Seine fût encore à 10 pieds 5 pouces le 24 janvier, il survint une gelée si subite et si forte que la rivière fut couverte de glaçons pendant trois jours ; ce qui renouvela les alarmes et fit appréhender qu’à la suite d’une si terrible inondation la rivière ne fût encore gelée. Mais le vent s’étant tourné au sud l’après-midi du 26, le temps s’adoucit et les glaçons disparurent, sans avoir cause de dommage à la ville de Paris.
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L’inondation souterraine ne fut pas moins considérable que celle qui couvrait le sol extérieur de la ville, avec des suites fâcheuses, non seulement par rapport aux maisons dont les eaux auraient miné les fondements, mais encore par le mauvais air que des eaux croupies produisent ordinairement. C’est ce qui engagea le lieutenant de police à donner une ordonnance pour faire vider les caves, à peine de 400 livres d’amende contre ceux qui négligeraient d’obéir, deux jours après la publication. Cependant, les terres étaient si imbibées que les caves qui furent vidées se trouvèrent aussitôt remplies ; de sorte qu’on jugea nécessaire d’attendre un certain temps, pendant lequel plusieurs caves, surtout celles qui étaient voisines de la rivière, se vidèrent d’elles-mêmes.
On avait dès le commencement du fléau imploré le secours du Ciel, pour en obtenir la cessation : le parlement rendit un arrêt qui ordonna qu’on découvrirait la châsse de saint Geneviève, et qu’on ferait des prières publiques. Conséquence de cet arrêt, l’archevêque de Paris donna un mandement le 30 décembre 1740 par lequel il enjoignait de faire des prières dans toutes les églises. La châsse de sainte Geneviève et celle de saint Marcel furent découvertes, et les paroisses de Paris aussi bien que toutes les communautés religieuses allèrent en procession à Notre-Dame et à sainte-Geneviève.