17 Décembre 2020
Des prêtres menacés au nom d'Allah dans le Vaucluse
Après la consternation, la colère. " C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase ", réagit Roger Rossin, le maire Les Républicains de Cairanne, où se tro...
Par Jacques Paugam
Après la consternation, la colère. « C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase », réagit Roger Rossin, le maire Les Républicains de Cairanne, où se trouve l'une des paroisses visées. « Les gens sont choqués et très en colère, je peux vous le dire. Penser que dans ce petit village d'environ 1 000 habitants, on soit menacé, c'est inouï », se désole l'édile au chevet de Cairannais cueillis, dimanche 6 décembre, par l'effroi. Une agitation inhabituelle pour ce petit coin aisé, « du fin fond du Vaucluse et loin de tout », selon l'aveu du maire. En cause, plusieurs missives à caractère menaçant adressées nominativement aux prêtres des villages de L'Isle-sur-la-Sorgue, du Thor, de Gordes, d'Aubignan et de Sainte-Cécile-les-Vignes, et un point commun, tous sont africains.
Ce qui est maintenant une affaire judiciaire – une enquête est en cours – aurait pu ne jamais voir le jour. « Je me réveille un beau matin et des paroissiens, des habitants du village, m'apprennent que l'office est menacé. » Roger Rossin est catégorique, ce ne sont ni la préfecture ni les autorités religieuses qui lui ont appris la nouvelle, sur le tard : « Tout de suite, on m'a posé la question : est-ce que tu as pensé à sécuriser l'église ? » Pris de court, le maire ajoute au dispositif policier la présence du garde champêtre. L'objectif ? Rassurer des fidèles déjà traumatisés par l'attentat de Nice et celui de Saint-Étienne-du-Rouvray en 2016.
Pour Apollinaire Onanéna, curé de la paroisse de Sainte-Cécile-les-Vignes, c'est le coup de massue. Selon les informations du Dauphiné libéré,l'enquête devra déterminer la nature réelle de la menace, mais l'inscription « Allah akbar », « Dieu est grand », laisse peu de doute sur la nature de ces revendications. « Je ne le reconnais plus, mon curé. Il était très volubile, et maintenant, il est comme pétrifié », témoigne Régis Rossin, présent dimanche lors de l'homélie du prêtre, visiblement choqué. « La moitié de la sacristie est tombée par terre. Ils ne savaient pas, c'est le prêtre qui le leur a appris. »
Simple malveillance, menaces réelles ? La cible, uniquement des hommes d'Église, tous dans la même aire géographique – le département du Vaucluse –, interroge les autorités. Un travail de recherche a visiblement été effectué en amont. Assez précis pour trouver des noms, repérer des adresses. À la préfecture, on ne tient pas à s'exprimer sur une enquête en cours, mais la présence policière sur le terrain a été renforcée. Tout juste précise-t-on l'appui de patrouilles dynamiques sur le terrain, en charge de la surveillance des paroisses. Pour les offices, l'exercice religieux, déjà contraint par les mesures sanitaires, s'est vu octroyer le renfort des troupes. « Des militaires » en tenue et bien armées « protégeaient, en effet, l'office de dimanche dernier à Sainte-Cécile », rapportait, dans son édition du mardi 8 décembre, Le Dauphiné libéré.
« Le préfet a bien fait les choses », se félicite Julien Aubert, le député de la 5e circonscription du Vaucluse, contacté par Le Point. Dans un post Facebook, l'élu Les Républicains fait état de son émotion et a assuré les religieux concernés de son « soutien le plus entier dans ce moment difficile ». Lui non plus ne souhaite pas s'exprimer sur l'enquête mais a des raisons de penser que « les individus qui commettent des attentats ne préviennent pas à l'avance ». Le fait qu'il s'agisse de prêtres étrangers, de pays africains pour être précis, est un indice sur les motivations du ou des responsables, laisse entendre Julien Aubert, conscient du « choc émotionnel » rencontré par les habitants du Vaucluse. « On peut évidemment les protéger, mais le plus efficace serait de remonter la piste. » Un protagoniste maîtrisant assez l'arabe et le français, des cibles identifiées, l'origine des prêtres, le nombre important (sept personnes visées en tout), la référence faite à Allah… « Ce n'est pas amical, il faut le prendre au sérieux sans verser dans la psychose », constatait lundi 7 décembre sur France Bleu le vicaire général, Pascal Molemb.
Pas de psychose, mais de l'émoi. Au point que les deux sénateurs LR du département Alain Milon et Jean-Baptiste Blanc font remonter l'information directement sur le bureau du président du Sénat, Gérard Larcher. Le deuxième personnage de l'État s'est même fendu d'un coup de fil à Roger Rossin, parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme. « Il m'a demandé le ressenti des gens. Il voulait prendre le pouls, partager le fardeau. Pour lui non plus, ce n'est pas une situation normale. » Une attention bienvenue pour ce maire à l'épicentre d'une crise locale : « S'il se passe quelque chose, je serai en première ligne. Pas l'État. » Selon lui, les autorités ont d'abord fait sans lui par souci de discrétion. « Faut pas faire de vagues », explique l'édile en colère, indigné qu'on ne s'indigne pas : « Le curé représente quand même une institution morale ! »
Trois plaintes déposées
« Le maire a mis ceinture et bretelles », reconnaît Julien Aubert, lui aussi discret dès les débuts de l'affaire. Le député s'en expliquait dimanche 6 décembre sur Facebook : « Je ne souhaitais pas donner de la publicité à cette affaire et n'avais donc pas réagi, mais elle a été rendue publique ce matin lors de certains offices. » Depuis, les hypothèses vont bon train alors que se poursuit l'enquête. Toujours selon Le Dauphiné libéré, trois plaintes avaient été déposées à ce jour et l'enquête a été confiée à la brigade des recherches de la compagnie d'Avignon. Au diocèse, la consigne est faite désormais de ne plus réagir aux sollicitations de la presse. Officiellement pour laisser l'enquête suivre son cours, officieusement pour ne pas donner plus de publicité à des menaces jugées assez graves pour être prises au sérieux.