12 Mai 2022
12 mai 1495 :
Entrée triomphale de Charles VIII à Naples
Le 12 mai 1495, Charles VIII fait une entrée triomphale à Naples à la tête d'une armée de 40.000 hommes.
Revendiquant l'héritage du « bon roi René », le roi de France a chassé sans difficulté de Naples les troupes du roi Ferdinand d'Aragon. Mais il doit bientôt faire face aux Italiens unis dans la Ligue de Venise.
Il revient précipitamment en France mais se montre prêt à retenter l'aventure. C'est le début des longues guerres d'Italie.
12 mai 1588 :
Journée des Barricades
Le 12 mai 1588, le peuple catholique de Paris se soulève contre son souverain légitime, Henri III, et le chasse de la capitale...
Cette révolte d'un caractère inédit est la conséquence des haines entre catholiques et protestants, avivées par les interventions des souverains étrangers et par la crainte de voir un protestant succéder au roi Henri III de Valois.
Un roi huguenot ? Jamais !
En 1584 est mort le dernier frère du roi Henri III, le duc d'Alençon. Chef du parti des Politiques, celui-ci était partisan d'une conciliation entre protestants et catholiques au nom de l'intérêt national. Comme Henri III, alors âgé de 33 ans, n'a pas encore d'enfant mâle pour lui succéder, c'est son cousin, Henri, roi de Navarre, qui devient l'héritier légitime de la couronne. L'ennui, c'est qu'il est protestant !
Le duc Henri de Guise lors de la journée des Barricades, illustration de Paul Lehugeur, XIXème siècle. Rejetant la perspective d'un roi huguenot (sobriquet pour désigner les protestants), les bourgeois catholiques de Paris veulent interdire au roi Henri III de se compromettre avec les protestants. Ces bourgeois, à Paris comme dans les autres villes du pays, se sont rapprochés dix ans plus tôt des gentilshommes catholiques et de leur chef, le duc Henri de Guise. Ils ont constitué une Ligue « au nom de la Sainte Trinité pour restaurer et défendre la Sainte Église catholique apostolique et romaine ».
Après la mort du duc d'Alençon, ils ne s'en tiennent pas là. 225 hommes déterminés forment le « Conseil des Seize », qui prétend représenter les 16 quartiers du Paris de l'époque (13 sur la rive droite de la Seine, 1 sur l'île de la Cité, deux sur la rive gauche).
Saint-Barthélemy à l'envers ?
Philippe II de Habsbourg (1527-1598), par Coello Alonso Sanchez (musée du Prado, Madrid)Ces ligueurs sont décidés à faire pression sur le roi et résolus, s'il le faut, à abattre la dynastie des Valois. Ils demandent au duc de Guise de les rejoindre à Paris.
Ils reçoivent aussi l'appui du roi Philippe II d'Espagne, qui se dispose à envahir l'Angleterre avec son Invincible Armada et tient à s'assurer la neutralité bienveillante de la France.
Le roi Henri III, méfiant, fait venir de son côté 4 000 gardes suisses et 2 000 gardes françaises. Il les met en position autour du Louvre et de l'île de la Cité.
Le bruit court dans la ville d'une Saint-Barthélemy à l'envers, organisée par le roi et dirigée cette fois contre la majorité catholique. Dans cette atmosphère surchauffée, le peuple prend parti pour la Ligue catholique et acclame le prince Henri de Guise, dit le Balafré. Celui-ci nourrit une haine inextinguible envers les protestants depuis que son père, François 1er de Lorraine, 2e duc de Guise, a été assassiné par l'un d'eux, Poltrot de Méré, en faisant le siège d'Orléans, en 1563 (l'assassin a été rien moins qu'écartelé).
Premières barricades
Le matin du 12 mai 1588, les étudiants parisiens et leurs professeurs, suivis par les parlementaires et les bourgeois se regroupent autour de la place Maubert. Craignant une agression de l'armée royale, ils barrent les rues en tendant des chaînes et en entassant des objets divers. C'est une première dans l'Histoire de Paris et de la France.
L'émeute reste connue sous le nom de « journée des barricades ». Le mot lui-même est forgé à cette occasion à partir de barriques, l'un des objets les plus utilisés par les émeutiers pour barrer les rues. Près du pont Saint-Michel, un coup de feu éclate et une soixantaine de gardes sont aussitôt massacrés par la foule en représailles. Ici et là, beaucoup de soldats se rendent aux émeutiers.
Le duc Henri de Guise, dit le Balafré, est maître de la capitale. Il ne tiendrait qu'à lui de se faire proclamer roi. Mais il s'en garde bien et laisse s'enfuir le souverain légitime.....
12 mai 1776 :
Le renvoi de Turgot
Le 12 mai 1776, le roi Louis XVI renvoie son ministre réformateur, Anne Turgot, sous la pression de la Cour et des privilégiés.
À son entrée au gouvernement, deux ans plus tôt, cet économiste brillant et généreux a découvert la situation catastrophique des finances publiques.
Pour éviter la banqueroute, il taille dans les dépenses de la Maison du roi et engage des réformes audacieuses pour faire rentrer les impôts et libérer l'économie des entraves administratives...
Né en 1727, cet homme des «Lumières» était l'ami du jeune Condorcet et du vieux Voltaire mais aussi des «physiocrates», disciples de François Quesnay et partisans du libéralisme économique («laissez faire, laissez passer !»). Il avait développé une pensée économique originale et d'avant-garde au fil de divers essais, dont Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766) qui allait inspirer l'ouvrage majeur d'Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations (1776)..
Intendant de la généralité de Limoges, l'une des plus pauvres du royaume, de 1761 à 1774, Turgot avait pu mettre en pratique ses théories en stimulant l'activité locale par tous les moyens.
Désireux de se concilier le clan «philosophique», le roi fait appel à lui dans les semaines qui suivent son avènement, en juillet 1774. Turgot devient ministre de la Marine dans le gouvernement du ministre d'État Maurepas, avec en charge l'un des plus gros budgets de l'État, puis le 24 août 1774, il accède à la fonction primordiale de contrôleur général des finances.
D'emblée, dans une longue lettre écrite de Compiègne, le fougueux réformateur ose avertir le roi en ces termes : «Il faut, Sire, vous armer contre votre bonté, de votre bonté même, considérer d'où vous vient cet argent que vous pouvez distribuer à vos courtisans».
Un État pauvre dans un pays riche
À la fin du XVIIIe siècle, en France, les impôts directs rapportent 190 millions de livres par an au Trésor.
Ils pèsent de façon écrasante sur les catégories les plus modestes (paysans) et sont détournés de multiples manières par les agents du roi.
C'est encore pire pour les impôts indirects. Le plus impopulaire est la gabelle. Cet impôt porte sur le sel, un condiment indispensable à la vie (conservation des aliments par salaison, assaisonnement...), dont l'État a le monopole de la vente.
Il rapporte 120 millions de livres par an aux fermiers généraux qui en font la collecte mais l'État n'en perçoit au final que 40 millions. Une partie de la différence va grossir la fortune personnelle des fermiers généraux.
Malgré ces prélèvements fiscaux importants, les caisses du gouvernement sont vides.
Une partie du budget est absorbée par les pensions des courtisans qui vivent grassement à la cour de Versailles autour du roi et des princes du sang. Au total pas moins de 15 000 personnes qui isolent le roi et le maintiennent dans l'ignorance de la situation du royaume.
La crise de l'État est d'autant plus paradoxale que la France est le pays le plus riche et le plus puissant d'Europe. Ses industriels, ses marins et ses négociants tiennent la dragée haute aux Anglais et aux autres Européens.
Un libéral avant l'heure
À son arrivée au ministère des Finances, Turgot découvre une situation périlleuse avec un déficit de 22 millions de livres assez important pour que son prédécesseur, l'abbé Terray, ait recommandé la banqueroute.
Turgot veut éviter cette solution par laquelle l'État se reconnaît incapable de rembourser ses créanciers, car elle ruinerait la confiance du public et rendrait impossible tout nouvel emprunt.
Il fait quelques économies en taillant dans les dépenses de la Maison du roi et en supprimant les corps de parade. Lui-même renonce à une partie des revenus que l'usage concède au contrôleur général des finances, notamment au «pot-de-vin» (sic) versé par la Ferme générale.
Mais comme cela est loin de suffire, il engage aussi des réformes audacieuses pour faire rentrer les impôts et libérer l'économie des entraves administratives.
Les spéculateurs manipulent le peuple
Un édit du 13 septembre 1774 met fin à «l'emprisonnement du blé» en supprimant les droits de douane intérieurs sur le commerce du blé et en introduisant la libre circulation du grain.
François-Philippe Charpentier, Le Fermier brûlé ou la famille pauvre Ignorant des principes de l'économie, le peuple croit cependant que cette liberté de circulation va aggraver les disettes. Une augmentation momentanée du prix du blé donne du crédit à ses craintes et provoque une série d'émeutes dans les villes, la «guerre des farines».
Cela commence sur le marché de Dijon où le gouverneur de la ville, méprisant, conseille aux mécontents d'«aller brouter l'herbe nouvelle» ! Le 2 mai, 8 000 manifestants envahissent même le château de Versailles. De son propre chef, le capitaine des gardes leur promet que le blé serait désormais à nouveau taxé et les manifestants se retirent. Le lendemain, les émeutes atteignent Paris. Turgot fait manœuvrer les troupes du maréchal de Biron. 160 émeutiers sont arrêtés et deux malchanceux finissent sur la potence. L'un a 28 ans, l'autre 16. L'affaite émeut le roi lui-même.
Les amis du ministre soupçonnent les spéculateurs comme le richissime prince de Conti d'avoir manipulé les manifestants et de les avoir excités contre Turgot. En effet, leur fortune, provenant des limites à la circulation des grains, s'accroît lorsqu'ils provoquent ainsi artificiellement des pénuries localisées. Mais sans doute ces soupçons sont-ils sans fondement comme l'a montré Edgar Faure (La Disgrâce de Turgot, 1961), et l'on doit incriminer tout simplement l'exaspération d'un petit peuple désorienté par la concomitance entre un pain devenu hors de prix et l'abolition des règlements habituels qui pèsent sur le commerce des grains.
Turgot poursuit les réformes
En dépit de l'épreuve et d'une impopularité grandissante, le ministre n'en poursuit pas moins le train des réformes.
Le 5 janvier 1776, un édit supprime les corporations qui entravent la liberté d'entreprendre et l'initiative. Dans les semaines qui suivent, d'autres édits abolissent les corvées qui pèsent sur les paysans. Turgot prévoit de remplacer ces corvées destinées à l'accomplissement des travaux d'utilité publique par un impôt sur tous les propriétaires, la «subvention territoriale».
C'est un tollé chez les privilégiés qui ne supportent pas les Six Édits présentés au Conseil du Roi et en particulier le projet de subvention territoriale. Louis XVI cède à leur pression et prend le parti de renvoyer son ministre. La veille de son renvoi, celui-ci écrit au roi : «N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles 1er sur un billot».
Necker et la fin des réformes
Sitôt Turgot parti, ses réformes sont balayées. Les corporations, qui freinent l'esprit d'entreprise sont rétablies... mais à titre facultatif. La corvée royale, qui permet de réquisitionner les paysans pour des travaux d'intérêt général, est aussi rétablie. Le projet d'impôt unique sur tous les propriétaires, dénommé subvention territoriale, passe à la trappe.
Joseph-Siffrein Duplessis, Portrait de Jacques Necker, 1781 (Palais de Versailles)Pour remplacer Turgot, le roi appelle à la direction générale du Trésor puis des finances Jacques Necker. Ce protestant genevois de 44 ans s'est enrichi dans la banque et son salon parisien est devenu un lieu de rendez-vous prisé de toute l'élite intellectuelle du temps. Lui-même s'est fait connaître par un Essai sur le commerce des grains où il a attaqué la politique de son prédécesseur et vanté les mérites d'une économie dirigée par l'État.
Au demeurant, Necker est aussi un philanthrope qui abolit la torture préalable destinée à obtenir les aveux. Avec sa femme, il fonde à Paris, rue de Sèvres, l'hôpital qui porte son nom, pour soigner les enfants malades.
Mais pour financer l'entrée en guerre de la France aux côtés des colons américains insurgés contre le roi d'Angleterre, Necker ne trouve rien de mieux que de lever des emprunts à taux élevé. Ces emprunts, en l'absence de réforme fiscale, accroissent de façon dramatique la dette de l'État. Pour trouver de l'argent et modifier l'assiette de l'impôt, Louis XVI va devoir convoquer les états généraux. Ce sont les prémices de la Révolution.
Camille Vignolle
Turgot vu par Marmontel
L'encyclopédiste et historiographe Jean-François Marmontel (1724-1799), proche de Voltaire, hostile à Rousseau et aux idées révolutionnaires, a écrit dans ses dernières années de volumineuses Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants (première édition en 1804).
Il y raconte de façon vivante les deux années chargées d'espoirs et de désillusions durant lesquelles Turgot exerça la charge de Contrôleur général des finance (ministre de l’Économie), du 24 août 1774 au 12 mai 1776.
(...) On avait donné à Louis XV l’abbé Terray pour un ministre habile. Vingt ans d’exercice au Palais, au milieu d’une foule de plaideurs mécontents, l’avoient endurci à la plainte ; il ne l’étroit guère moins au blâme, et il se croyait obligé par état d’être en butte à la haine publique. Maurepas l’éloigna, et mit à sa place Turgot, également recommandé par ses lumières et ses vertus. Celui-ci sentait vivement que la réduction des dépenses, l’économie des revenus et des frais de perception, l’abolition des privilèges onéreux au commerce et à l’agriculture, et une plus égale distribution de l’impôt sur toutes les classes, étaient les vrais remèdes qu’il fallait appliquer à la grande plaie de l’État, et il le persuadait sans peine à un roi qui ne respirait que la justice et l’amour de ses peuples ; mais bientôt Maurepas, voyant que cette estime et cette confiance du jeune roi pour son nouveau ministre allaient trop loin, fut jaloux de son propre ouvrage, et s’empressa de le briser.
Dans un pays où tant de monde vivait d’abus et de désordres, un homme qui portait la règle et l’épargne dans les finances, un homme inflexible au crédit, incorruptible à la faveur, devait avoir autant d’ennemis qu’il faisait de mécontents et qu’il en allait faire encore. Turgot avait trop de fierté et de candeur dans le caractère pour s’abaisser aux manèges de cour : on lui trouva de la roideur, on lui attribua des maladresses ; et le ridicule, qui, parmi nous, dégrade tout, l’ayant une fois attaqué, Maurepas se sentit à son aise pour le détruire. Il commença par écouter, par encourager d’un sourire la malice des courtisans. Bientôt lui-même il avoua que, dans les vues de Turgot, il entrait plus de l’esprit de système que du solide esprit d’administration ; que l’opinion publique s’était méprise sur l’habileté de ce prétendu sage ; qu’il n’avait dans la tête que des spéculations et des rêves philosophiques, nulle pratique des affaires, nulle connaissance des hommes, nulle capacité pour le maniement des finances, nulles ressources pour subvenir aux besoins pressants de l’État ; un système de perfection qui n’était pas de ce monde et n’existait que dans les livres ; une recherche minutieuse de ce mieux idéal auquel on n’arrive jamais ; et, au lieu des moyens de pourvoir au présent, des projets vagues et fantastiques pour un avenir éloigné ; beaucoup d’idées, mais confuses ; un grand savoir, mais étranger à l’objet de son ministère ; l’orgueil de Lucifer, et, dans sa présomption, le plus inflexible entêtement.
Ces confidences du vieillard, divulguées de bouche en bouche pour les faire arriver à l’oreille du roi, avoient d’autant plus de succès qu’elles n’étaient pas absolument dénuées de vraisemblance. Turgot avait autour de lui des hommes studieux, qui, s’étant adonnés à la science économique, formaient comme une secte, estimable sans doute quant à l’objet de ses travaux, mais dont le langage emphatique, le ton sentencieux, quelquefois les chimères enveloppées d’un style obscur et bizarrement figuré, donnaient prise à la raillerie. Turgot les accueilloit et leur témoignait une estime dont ils faisaient eux-mêmes trop de bruit en l’exagérant. Il ne fut donc pas difficile à ses ennemis de le faire passer pour le chef de la secte, et le ridicule attaché au nom d’économistes rejaillissait sur lui.
D’ailleurs il était assez vrai que, fier de la droiture de ses intentions, Turgot ne se piquait ni de dextérité dans le maniement des affaires, ni de souplesse et de liant dans ses relations à la cour. Son accueil était doux et poli, mais froid. On était sûr de le trouver juste, mais inflexible dans ses principes ; et le crédit et la faveur ne s’accommodaient pas de la tranquillité inébranlable de ses refus.
Quoiqu’en deux ans, par le moyen des réductions et des économies, il eût considérablement diminué la masse des anticipations dont le Trésor étroit chargé, on trouvait encore qu’il traitait en maladie chronique l’épuisement et la ruine des finances et du crédit. La sagesse de son régime, ses moyens d’amélioration, les encouragements et les soulagements qu’il donnait à l’agriculture, la liberté rendue au commerce et à l’industrie, ne promettaient que des succès lents et que des ressources tardives, lorsqu’il y avoir des besoins urgents auxquels il fallait subvenir. Son système de liberté pour toute espèce de commerce n’admettait dans son étendue ni restriction ni limites ; et, à l’égard de l’aliment de première nécessité, quand même cette liberté absolue n’auroit eu que des périls momentanés, le risque de laisser tarir pour tout un peuple les sources de la vie n’était point un hasard à courir sans inquiétude. L’obstination de Turgot à écarter du commerce des grains toute espèce de surveillance ressemblait trop à de l’entêtement. Ce fut par là que son crédit sur l’esprit du roi reçut une atteinte mortelle.
Dans une émeute populaire qu’excita la cherté du pain en 1775, le roi, qui avoi pour lui encore cette estime dont Maurepas était jaloux, lui donna toute confiance, et lui laissa tout pouvoir d’agir. Turgot n’eut pas la politique de demander que Maurepas fût appelé à ce conseil secret où le roi se livrait à lui, et, de plus, il eut l’imprudence de s’engager hautement à prouver que l’émeute était commandée. Le Noir, lieutenant de police, fut renvoyé sur le soupçon d’avoir été d’intelligence avec les auteurs du complot. Il est certain que le pillage des boutiques de boulangers avoit été libre et tranquille. L’émeute avait aussi une marche préméditée qui semblait accuser un plan ; et, quant au personnage à qui Turgot l’attribuait, je n’oserais pas dire que ce fût sans raison. Dissipateur nécessiteux, le prince de Conti, plein du vieil esprit de la Fronde, ne remuait au Parlement que pour être craint à la cour ; et, accoutumé dans ses demandes à des complaisances timides, un respect aussi ferme que celui de Turgot devait lui paraître offensant. Il était donc possible que, par un mouvement du peuple de la ville et de la campagne, il eût voulu semer le bruit de la disette, en répandre l’alarme, et ruiner dans l’esprit du roi le ministre importun dont il n’attendait rien. Mais, qu’il y eût plus ou moins d’apparence dans cette cause de l’émeute, Turgot n’en put donner la preuve qu’il avait promise ; ce faux pas décida sa chute.
Maurepas fit entendre au roi que cette invention d’un complot chimérique n’était que la mauvaise excuse d’un homme vain, qui ne voulait ni convenir ni revenir de son erreur ; et que, dans une place qui demandait toutes les précautions de l’esprit de calcul et toute la souplesse de l’esprit de conduite, une tête systématique, entière et obstinée dans ses opinions, n’était pas ce qu’il lui fallait.
Turgot fut renvoyé (mai 1776), et les finances furent livrées à Clugny, lequel parut n’être venu que pour y faire le dégât avec ses compagnons et ses filles de joie, et qui mourut dans le ministère, après quatre ou cinq mois d’un pillage impudent, dont le roi seul ne savait rien. Taboureau prit sa place, et, en honnête homme qu’il était, il s’avoua bientôt incapable de la remplir. On lui avait donné pour second, sous le titre de directeur du Trésor royal, un homme dont lui-même il reconnut la supériorité. Sa modestie honora sa retraite. Et, en qualité de directeur général des finances, Necker lui succéda (...).