4 Mai 2022
Contrôles routiers renforcés à la sortie de Tiraspol, la capitale de Transdniestrie, le 28 avril 2022.
La Moldavie sera-t-elle rattrapée par:
la guerre en Ukraine?
Cette semaine, une série d’incidents ont eu lieu à l’est de son territoire, dans la région de Transdniestrie. Ces attaques n’ont pas été revendiquées, si bien que Russes et Ukrainiens s’accusent mutuellement, tandis que Chisinau a annoncé des mesures pour renforcer sa sécurité.
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
La Transnistrie est une région située à l’est de la Moldavie, à la frontière avec l’Ukraine.
Elle a fait sécession de Chisinau après une brève guerre, en 1992, et est depuis soutenue par la Russie. Moscou n’a pas reconnu l’indépendance du territoire mais y a déployé 1 500 de ses soldats pour garantir sa sécurité. Ces militaires russes n’ont pas pris part au conflit dans les premiers jours de l’offensive russe en Ukraine, alors même que les autorités russes avaient affiché leur ambition de s’emparer de l’ensemble du territoire ukrainien, souligne Florent Parmentier, secrétaire général du CEVIPOF/ Sciences Po. Le spécialiste de la Moldavie précise que les autorités de Transdniestrie n’ont pas soutenu la guerre en Ukraine, contrairement aux régions séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie en Géorgie. Elles ont adopté «une forme de neutralité». Cette position sera-t-elle pérenne? La question se pose après une série d’incidents cette semaine.
Lundi, un bâtiment officiel de la capitale de Transdniestrie, Tiraspol, a été la cible d'une attaque au lance-roquettes.
Mardi, une tour radio a été endommagée par deux explosions. Mercredi enfin, un grand dépôt d’armes russes a été visé dans un village frontalier de l'Ukraine.
Accusations réciproques
Ces attaques n’ont pas été revendiquées, si bien que Russes et Ukrainiens s’accusent mutuellement, explique le co-auteur avec Josette Durrieu de La Moldavie à la croisée des mondes (Éditions Non Lieu, 2019).
Selon Kiev, Moscou cherche à «déstabiliser» la Transdniestrie et serait à l’origine de ces explosions, un prétexte qui justifierait son intervention sur place. De leur côté, les Russes se disent alarmés et les Transdniestriens estiment ouvertement que l’Ukraine est coupable. Le dirigeant prorusse de cette région séparatiste, Vadim Krasnosselski, vient de relever pour 15 jours le niveau d'alerte «terroriste» dans son territoire. Il assure que les premiers éléments de l'enquête sur les incidents de lundi et mardi «mènent à l'Ukraine». Kiev se donnerait là un mandat pour intervenir en Moldavie et pour combattre les soldats russes postés dans la région séparatiste, située de l’autre côté de sa frontière. L’ouverture d’un nouveau front aujourd’hui par les Ukrainiens n’est pas à exclure, explique Florent Parmentier, «les Ukrainiens cherchent à défendre leur territoire et il y a toujours une incertitude quant aux intentions des autorités transdniestriennes».
La Transdniestrie, des liens de dépendance
Région séparatiste moldave, la Transdniestrie est soutenue par Moscou qui lui fournit du gaz gratuitement. Leurs liens sont économique, sécuritaire, culturel et politique. Russes et Ukrainiens sont très présents dans ce territoire de 470 000 habitants. D’ailleurs, «il existe aussi une proximité économique avec l’Ukraine», rapporte Florent Parmentier, une partie des exportations de Transdniestrie passent par le port d’Odessa. Une autre partie à destination de l’Union européenne passe par la Moldavie. Le secrétaire générale du Cevipof met en lumière les liens qui unissent Tiraspol et Chisinau. Certes, «aucune solution politique n’a été trouvée à la guerre de 1992, mais il n’y a pas eu d’affrontements depuis», et outre les liens économiques, des transports relient les deux capitales quotidiennement, et même, poursuit le chercheur, «le club de football phare de la Transdniestrie joue au sein du championnat moldave».
La diplomatie prudente d’une Moldavie inquiète
Tout cela pourrait être remis en cause par la guerre en Ukraine. Depuis le début de la guerre, la Moldavie s’est avant tout attachée à accueillir les réfugiés ukrainiens. Au 27 avril, selon le HCR, 439.290 Ukrainiens sont entrés dans l’ex-République soviétique, poursuivant la plupart du temps leur voyage vers d'autres pays. La Moldavie, petit pays de 2,6 millions d'habitants est parmi les plus pauvres d'Europe.
«L’autre priorité de la politique moldave a consisté à éviter de se faire entraîner dans une guerre dont elle n’a pas les moyens militaires. La Moldavie s’appuie sur sa neutralité, article 11 de sa constitution, pour indiquer qu’elle ne souhaite pas participer au conflit en cours, et d’aucune manière». Enfin, poursuit Florent Parmentier, le pays actuellement dirigé par Maia Sandu, une pro-européenne, tâche de se rapprocher de l’Union européenne -une demande de reconnaissance de candidature à l’UE a été déposée dans la foulée de la guerre par la Moldavie- en évitant de «s’aliéner trop ostensiblement la Russie», «la Moldavie n’a pas appliqué les mêmes sanctions que l’Union européenne vis-à-vis de la Russie».
Après la série d’explosions de cette semaine, la Moldavie a réuni son conseil de sécurité. Appelant la population au calme, Maïa Sandu a annoncé une série de mesures pour assurer la sécurité de son pays, comme le renforcement des contrôles routiers et dans les transports, des patrouilles frontalières et des dispositifs supplémentaires pour protéger les infrastructures essentielles.
Ces mesures illustrent l'inquiétude qui règne en Moldavie depuis le début de la guerre en Ukraine. Celle-ci a été renforcé par la tentative de déstabilisation amorcée cette semaine à l’est, mais également par les déclarations de responsables russes. Vendredi le général Roustam Minnekaïev, le commandant adjoint des forces du District militaire du Centre de la Russie, a affirmé que Moscou voulait s'emparer du sud de l'Ukraine pour avoir un accès direct à la Transdniestrie, dénonçant dans le même temps l'«oppression» dont les russophones font selon lui l'objet en Moldavie, un prétexte déjà invoqué par Moscou pour intervenir en Ukraine. La Moldavie avait convoqué l'ambassadeur russe pour protester contre ces déclarations perçues comme des menaces.
Tout pourrait se jouer dans la ville portuaire du sud de l’Ukraine, Odessa, actuellement frappée par des tirs de missiles russes. «Tant qu’il n’y a pas de continuité territoriale entre la Russie et la Transdniestrie, la région séparatiste restera neutre, mais la situation est appelée à évoluer. La Moldavie se trouve dans une situation de grande vulnérabilité», conclut Florent Parmentier.
Entretien avec Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF