15 Juin 2022
Depuis 2012, l'Insoumis en chef cherche la martingale pour récupérer l'électorat ouvrier perdu par le Parti socialiste et passé chez Marine Le Pen, en vain.
Mais qu'a bien voulu dire Jean-Luc Mélenchon ?
Sur le plateau du 20H de France 2, lundi 13 juin, l'Insoumis a lancé un appel aux électeurs de Marine Le Pen : "S'il y a des fachos qui ne sont pas trop fâchés, mieux vaut qu'ils votent pour nous que de rester à la maison ou de voter pour elle, ça ne sert à rien." La formule en a choqué plus d'un. Christophe Castaner n'en a pas perdu une miette et a attaqué de front le chef de file de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) : "Oui, vous avez bien entendu. Jean-Luc Mélenchon appelle 'les fachos' à voter pour lui. On avait vu l'ambiguïté. C'est maintenant un rapprochement assumé avec l'extrême droite."
En moins de 24 heures, Mélenchon et ses lieutenants ont rétropédalé, invoquant le lapsus. Le coordinateur de la France insoumise Adrien Quatennens le premier, invité de la matinale de Franceinfo :
"Il n'y a pas de rapprochement assumé. Il a juste inversé la phrase que tout le monde connaît."
Dans un tweet, Jean-Luc Mélenchon, fait rarissime, s'en est excusé :
"C'était un lapsus. Désolé. J'en appelais aux fâchés pas fachos. Non l'inverse. Valeurs actuelles et quelques autres ne sont donc pas concernés.
Par contre Castaner a bien dit toutes ses bêtises. Et il ne les regrette pas."
Electorat poreux?
"Fâchés", "fachos"... Ces mots-là, voilà bien longtemps que Mélenchon en use et en abuse dans ses discours. La première fois, c'était en 2012. Alors parachuté dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, le candidat du Front de gauche de l'époque qui chantait le bruit et la fureur en appelait aux mêmes : "Rassemblez-vous avec moi, tous ceux qui sont fâchés mais pas fachos, venez vous mettre en colère avec moi. Envoyez-moi à l'Assemblée nationale, pour porter votre colère".
C'est entendu : s'ils ne sont pas poreux, les électorats insoumis et frontiste se ressemblent par leur faible niveau de patrimoine mais se distinguent sur un point en particulier. Ainsi, les électeurs de Mélenchon sont en moyenne plus diplômés et urbains. Ceux de Marine Le Pen appartiennent à un prolétariat plus ouvrier et rural, un électorat qui n'a pas su profiter de la mondialisation, ce qui n'est pas forcément le cas de l'électorat de son adversaire, plus jeune, diplômé bien que précaire.
Mais il manque encore et toujours à Mélenchon. En 2012, déjà 33% des ouvriers glissaient un bulletin Le Pen dans l'urne à son grand désarroi. En 2017, rebelote : Marine Le Pen fut LA candidate du monde ouvrier avec 40% de voix contre 22,4 pour l'Insoumis. Une tendance qui s'est confirmée en 2022 : la candidate du RN a séduit 42% des ouvriers quand Mélenchon n'en a convaincu que 20%.
"Cela n'a jamais été facile pour nous"
Une défaite politique de la gauche au sein des classes populaires ouvrières que Mélenchon ne digère toujours pas. Il le raconte à l'occasion : "J'ai été blessé de lire un jour "Jaurès aurait voté Front national" [NDLR : C'était un slogan du parti lepéniste en 2009]." Dans un entretien vérité dans nos colonnes en mai dernier, il contestait tant bien que mal cette assertion : "Il se trouve que j'ai été témoin de la période où la gauche avait une immense audience. A l'époque, quand je militais dans l'est de la France, dans le Jura, quand on était ouvrier, on votait majoritairement à gauche mais 30% des ouvriers votaient à droite. Aujourd'hui, Madame Le Pen y fait 35% du vote ouvrier. Que s'est-il passé ? Elle a bénéficié d'une dynamique. Dans la démocratie, la prime va à ce qu'il y a de plus dynamique et ce qui rassemble le plus, en particulier dans les milieux où les individus sont très isolés." Et de concéder : "Mais il faut être honnête : cela n'a jamais été facile pour nous. (...) Si l'on ne votait que d'après sa condition sociale, il n'y aurait eu aucun gouvernement de droite dans toute l'histoire, parce que les plus nombreux, ce sont des gens qui n'ont rien à gagner à ce système-là.
Dans la campagne du premier tour de l'élection présidentielle, Manuel Bompard, son directeur de campagne, disait assumer de "s'adresser à des électeurs qui hésitent et disent que Marine Le Pen pourrait être la candidate qui les défend" quand Adrien Quatennens appelait à "chasser" l'électorat de celle-ci. Un lexique qui n'est pas sans rappeler les positions de certains cadres de l'ex-UMP qui plaidaient pour des alliances avec le FN afin de récupérer cet électorat perdu. Depuis 2015, le parti de Marine Le Pen n'a fait que progresser au sein de l'électorat de droite.
Un baromètre TNS Sofres de février 2015 indiquait d'ailleurs qu'un sympathisant UMP sur deux souhaite des alliances locales avec le FN. Les digues entre la droite et le RN n'ont cessé de rompre depuis.
"Peut-être qu'en fait, ça n'existe pas..."
Qu'on ne s'y trompe pas, Jean-Luc Mélenchon n'entend pas séduire cet électorat de LR passé au FN. Il s'agit moins de conquérir les électeurs frontistes du Sud-Est, eux bien ancrés à droite, que ceux des bassins ouvriers du Nord. Cette stratégie de l'appel aux "fâchés pas fachos", Jean-Luc Mélenchon n'a eu de cesse de la plaider ces dernières années, en vain. S'est-il vraiment pris les pieds dans le tapis ce 13 juin sur France 2 ? Rien n'est moins sûr.