24 Juillet 2022
François chez les autochtones
du Canada,
fouler des terres traumatisées
Ces dernières années, au fur et à mesure que des sépultures d’enfants ont été découvertes dans des pensionnats autochtones aux quatre coins du Canada, le monde découvre le traumatisme d’une population qui a souffert pendant des décennies d’un système visant à «tuer l’indien au sein de l’enfant». C’est sur des terres martyrisées que le Pape François effectue un pèlerinage pénitentiel, du 24 au 30 juillet.
Marine Henriot – Envoyée spéciale à Edmonton, Canada
En 1990, le chef Phil Fontaine, de l’Assemblée des Premières Nations, crevait l’abcès et dénonçait pour la première fois publiquement les cas d’abus dans les pensionnats autochtones gérés par le gouvernement fédéral canadien, soutenus par l’Église catholique. Dans le courant des années 2020, les découvertes de sépultures de centaines d’enfants aux abords de ces établissements ont provoqué une vague d’indignation et éveillé l’opinion canadienne et mondiale aux réalités des communautés autochtones du Canada. «On passe depuis quelques années d'une très grande ignorance et indifférence de la population canadienne à l'égard des autochtones, à une ouverture», constate Jean-François Roussel, chercheur rattaché à l’Université de Montréal, anthropologue et spécialiste des cultures autochtones.
C’est donc une population traumatisée que le Pape François vient rencontrer sur leurs terres en cet été 2022. Une violence vécue dans les pensionnats, qui traversent les générations. «Certains autochtones ont décidé de couper les ponts avec leurs familles, avec la communauté, parce que c’est trop difficile, poursuit Jean-François Roussel, d’autres n’ont jamais compris pourquoi leurs parents démontraient si peu d’amour, et l’insécurité se reproduit entre les générations. Il est très difficile de composer avec cette histoire-là, avec des réflexes que finalement l'on ne comprend pas très bien». D’autres encore, n’avaient pas les mots pour parler de ce qu’ils subissaient: «Il y a la honte et la colère retournée contre soi-même», explique l’anthropologue.
Être autochtone et catholique
L’Église catholique entretient des relations avec les populations autochtones du Canada depuis le XVIIe siècle. En 1998, le Conseil autochtone catholique du Canada est créé au sein de la conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) pour offrir informations et recommandations à propos des communautés autochtones et ainsi débuter un chemin de guérison.
En 2009, lors d’une audience exceptionnelle, Benoît XVI recevait des représentants autochtones en privé, le Pape bavarois avait alors fait part de ses regrets pour le rôle de l’Église dans l’assimilation forcée des enfants autochtones: «Le Saint-Père a exprimé ses regrets pour l’angoisse causée par la conduite déplorable de certains membres de l’Église et a offert sa sympathie et sa solidarité dans la prière. Sa Sainteté a souligné que les gestes d’abus ne sauraient être tolérés dans la société», détaille le communiqué de presse du Saint-Siège à l’époque.
L’Église canadienne de son côté a présenté officiellement ses excuses en septembre 2021, six mois plus tard elle annonçait la création d’un fonds de 30 millions de dollars pour financer différents projets de réconciliation à travers le Canada. Au printemps 2022, recevant plus de 150 membres d’une délégation autochtone venue au Vatican, François faisait part de son honte et de son indignation: «Pour la conduite déplorable de ces membres de l'Église catholique, je demande le pardon de Dieu et je voudrais vous dire du fond du cœur: je suis vraiment affligé».
Aujourd’hui, peut-on lire sur le site officiel des organisateurs nationaux de la visite papale, «l’Église catholique a la responsabilité de prendre des mesures authentiques et significatives pour accompagner les peuples autochtones de ce pays sur le long chemin de la guérison et de la réconciliation».
L'église du Sacré Coeur des Premières Nations. à Edmonton, au Canada
Elder Fernie Marty est l’aîné de l’église du Sacré Cœur des Premières Nations, il accueillera lundi 25 juillet le Pape pour sa première journée à Edmonton. Cet homme solaire, à la queue de cheval et au regard profond, se définit comme catholique et autochtone. Né à Edmonton, il appartient à la Première nation Papaschase, «Je me sens bénis de vivre dans ces deux mondes», nous dit-il lors des derniers préparatifs pour accueillir François, «ma mère s’est assurée que je sois baptisé à ma naissance, et la famille de ma mère s’est assurée que je reste proche de notre culture autochtone. J’ai pu mélanger ces deux cultures dans lesquels je suis né».
Selon le dernier grand recensement canadien réalisé en 2011, 36% des personnes autochtones se disaient catholiques et 31% affirmaient n’appartenir à aucun groupe religieux. Un recensement non obligatoire, nuance cependant Jean-François Roussel, «l’ensemble des chercheurs s’accordent à dire que ce recensement n’est pas très fiable», mais il est actuellement l'un des seuls outils statistiques disponibles pour déterminer la proportion de catholiques parmi les autochtones: «La foi catholique reste une référence importante parmi les communautés autochtones et dans la mémoire familiale. Il y a une dimension existentielle de la foi chrétienne, un attachement au Christ avec les formes communautaires locales».
Par ailleurs, si certains autochtones ont l’impression d’avoir été trahis par l’Église, le respect du choix des personnes et la liberté religieuse sont très valorisés dans la culture autochtone.
Attachement à la terre
La terre est intrinsèquement attachée à la loi sur les Indiens de 1876. Cette même terre sur laquelle ont été érigés les 139 pensionnats, cette même terre confisquée par le gouvernement fédéral canadien, divisée en réserves «pour régler le problème indien», explique Jean-François Roussel. Ainsi, bien que l’Alberta soit le territoire traditionnel des Premières nations, les 138 réserves ne représentent aujourd’hui qu’un peu plus de 1% de la superficie totale de la province, abritant les membres des 47 Premières nations de l’Alberta.
Des réserves gérées avec des textes humiliants. Certains stipulent par exemple que ces territoires spoliés ne doivent pas mesurer plus de 2,6 km carrés pour chaque famille de cinq personnes. De nombreuses générations d’autochtones ont grandi sur des terres convoitées, confisquées, «la terre est liée à une expérience souffrante», explique l’anthropologue, «les pensionnats ont été créés pour transformer la mentalité des enfants, pour extirper ce rapport à la terre et en faire des Canadiens bien comme les autres, qui se mêlaient aux autres Canadiens».
Enfin, la terre représente également la mère nourricière, abris des bisons, source de nourriture et base du nomadisme, avant leur disparition progressive et l’arrivée de la famine dans certaines régions. «Oui j’ai entendu les excuses du Pape à Rome, et elles furent essentielles, mais c’est beaucoup plus important précisément ici, car c’est là que tout est arrivé. Je ne sais pas à quoi ressemble guérison dont on parle, mais quoi qu’il arrive, je suis prêt à la suivre!», conclut l’aîné Fernie Mart
Femme et aînée, sainte Anne,
la grand-mère vénérée
dans les communautés autochtones.
À travers l’immense territoire canadien, la fête de la sainte Anne, le 26 juillet, est un événement à part entière. La mère de la Vierge Marie, grand-mère de Jésus, est particulièrement importante pour différentes communautés autochtones qui la célèbrent lors d’un pèlerinage au lac Sainte-Anne dans l’Alberta, ou encore au sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec. Deux lieux qui recevront la visite du Pape François.
Marine Henriot – Envoyée spéciale à Edmonton, Canada
Au bord du lac sacré Sainte-Anne, à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest d’Edmonton dans la province de l’Alberta, certains pèlerins ont abandonné leur canne ou attelle. Après quelques pas dans les eaux miraculeuses, ils ont retrouvé leur mobilité. Depuis deux siècles, le lac est reconnu pour ses propriétés curatives, des milliers de membres de différentes communautés autochtones comme les Cris, les Métis ou les Pieds-noirs venant y célébrer la fête de sainte Anne. D’aucuns parcourent plusieurs milliers de kilomètres pour participer au rassemblement annuel de fidèles, qui réunit près de 40 000 personnes
Selon la tradition orale des Premières nations, le lac aurait toujours été habité par les esprits. Avant l’arrivée des Européens, rappelle l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, c’était un lieu de rassemblement, de pêche, de chasse et de cérémonie, comme celle de la danse du soleil, interdite en 1885. Appelé «Lac des esprits» ou «Lac Sacré», le lac Sainte-Anne hérite de son nom actuel du père Jean-Baptiste Thibault, prêtre séculier envoyé en mission dans la région et qui en fera un lieu de mission catholique.
Respect envers les aînés
«Sainte Anne est la mère de la Sainte Vierge et donc la grand-mère de Jésus… C’est notre grand-mère à tous», se réjouit le père Scott Katzenberger, recteur depuis janvier 2020 du sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré, non loin de la ville de Québec. «C’est notre alliée au paradis». Toute l’année, pour honorer la figure de cette ainée, les Premières Nations, Inuits et Métis se rendent au sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré ou sur les rives du lac. Un déplacement souvent réalisé en famille: «Certaines personnes étaient venues avec leurs grands-parents, aujourd’hui ils amènent leurs petits-enfants», s’enthousiasme le père Katzenberger.
Dans la culture autochtone, les grands-parents prennent une part considérable dans l’éducation des enfants. «Parfois les grands-parents sont plus proches des enfants que les parents», éclaire Jean-François Roussel, chercheur à l’université de Montréal, spécialiste de l’anthropologie théologique et de la culture autochtone. Les personnes de plus de 60 ans représentent d'ailleurs des figures de sagesse dans dans différentes sociétés autochtones. Selon la cosmologie autochtone de l’Est, c’est une figure féminine qui est à l’origine de la création du monde, avant de monter au ciel pour devenir la lune. Aînée et femme, sainte Anne cumule ainsi deux qualités vénérées parmi les autochtones: «Dans l'imaginaire autochtone, la grand-mère de Jésus a dû être très présente dans sa vie de Jésus, au moins autant que celle de ses parents», complète Jean-François Roussel.
"Nous sommes les petits-enfants bien gâtés de
notre grand-mère sainte Anne», sourit le père Scott."
Une visite inespérée
«Quand je suis arrivé ici, jamais je ne pensais recevoir un Pape au sanctuaire», nous détaille celui qui fut déjà de passage à Sainte-Anne-de-Beaupré, lorsqu'il étudiait au séminaire.
Après trois jours à Edmonton dans l’Alberta, et une liturgie de la parole sur les rives du lac de Sainte-Anne, le Pape François est attendu au sanctuaire le 28 juillet. Près de 40 ans après la visite de saint Jean-Paul II, c’est la première fois qu’un Souverain pontife célébrera une messe dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, qui voit passer près d’un million de visiteurs chaque année.
La basilique néo-romane consacrée en 1976 peut accueillir entre ses murs 1 400 visiteurs. 10 000 personnes pourront suivre la messe depuis l’extérieur. Après l’annonce officielle de la venue du Pape François en mai, les réservations d’hôtels ou de campings ont bondi et les organisateurs tiennent à ce que toutes les communautés autochtones qui souhaitent assister à la messe du Saint-Père puissent le faire dans de bonnes conditions. 70% des places à l’intérieur de la basilique leur sont d’ailleurs réservées, précise l’équipe nationale de la visite papale au Canada.
Les organisateurs prévoient également d’offrir une retransmission de la messe sur les Plaines d’Abraham, à Québec, où pourront se regrouper 140 000 personnes. Au-delà des difficultés logistiques, la joie: «Cette visite est vraiment exceptionnelle, je sais que le Pape vient avec un message de réconciliation, et cela nous permettra d’améliorer les rapports entre l’Église et les communautés autochtones, pour aller de l’avant», note le père Katzenberger.