Un nuage à l’horizon d’une lande bretonne
Voile d’un crêpe le ciel qui porte le premier deuil
Du vieil été défunt et de son rouge orgueil.
Octobre a trop vécu, le genêt en frissonne.
Dans l’enclos paroissial se dresse l’ancien calvaire
Qui sert de reposoir aux ténébreux corbeaux,
Gardiens ou visiteurs de ce funèbre hameau
Où d’antiques squelettes s’entassent dans l’ossuaire
Tout bâti de granit, ceint d’une grille de fer.
Des stèles gravées de vagues épitaphes
Surmontent les dalles autour du cénotaphe
Élevé en mémoire des disparus en mer.
Sous sa coiffe jaunie, une veuve de marin
Égrène un chapelet aux grains usés de larmes.
Son visage émacié qui a perdu ses charmes
Nous raconte en silence, l’attente et le chagrin.
C’est la fin de l’Office qui apaise et console.
Au portail de l’église, debout, le vieux recteur
Remercie les fidèles, salué du Créateur
Qui d’un rai de soleil le nimbe d’une auréole.
Une figure d’angelot, l’Océan dans les yeux,
Soutane rouge, surplis blanc bordé d’une dentelle :
C’est un enfant de choeur dont le chant de crécelle
Imite celle du saint homme, dans un duo mélodieux.
Plus loin dans cet enclos, le nouveau cimetière
Prend son air de Fête : ces bruyères et ces fleurs
Viennent y témoigner des vivants les douleurs
Pour leurs chers disparus partis vers la Lumière.
Regroupés près des tombes où ils parlent à leurs morts
Les familles, les amis, se recueillent ou prient.
Des enfants étonnés écoutent et puis s’ennuient.
Une vieille un peu faible chevrote sur son sort.
Une rose trémière restée un peu sauvage
A pleuré ses pétales sur les marbres et les croix.
Dans le vent qui gémit revient l’écho des voix
Des pauvres innocents trépassés avant l’âge.
Asters et chrysanthèmes revêtus de soleil
Prennent l’éclat singulier des belles qui ont pleuré.
Ils semblent vous crier qu’ici vous dormirez
Sous une lourde pierre d’un éternel sommeil.
Antoine Livic, Chants d’écume suivi de Fleurs fanées, 2017