Au début du XXe siècle, c’est le gui des pommiers qu’on suspend à la rosace
des plafonds, en mémoire de nos lointains aïeux, les Gaulois ; c’est le mignon
sabot qu’on dépose, au bord de la cheminée ; c’est l’arbre de Noël et le
bonhomme Hiver qu’on offre aux bébés bien sages... À la fin du XIXe, la joie
de Noël, c’était surtout la crèche familiale qu’animaient Filandre, la
Mondaine, les Rois Mages, les riantes maisons de carton, les naïves poupées
à ressorts qui s’en allaient, par les chemins sablés, vers l’Enfant Jésus en cire,
lui portant les petits moutons blancs de nos bergeries.
L’épicier de la famille donnait aux enfants un paquet de petites bougies
multicolores. La crèche s’embrasait, et, tous en chœur, on se mettait à
chanter, devant le naïf paysage :
Sus ! sus ! bergers, réveillez-vous !
Sus ! sus ! bergers, réveillez-vous !
Le bruit croissait de plus en plus !
Ils criaient comme des perdus :
C’est trop dormir, qu’on se réveille !
Ils répétaient toujours cela !
Bergers, venez voir la Merveille,
Et vos moutons, laissez-les là !
Et vos moutons, laissez-les là ! |
Le symbole de Noël était alors également la grosse bûche traditionnelle
— la bûche de Noël — à laquelle le chouberski, la salamandre,
les cheminées au charbon de terre ou au pétrole ont porté un coup
irréparable.
Couverture de Le petit Noël par O. Dupin, paru en 1869 |
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Mais plus anciennement, avant la Révolution, à l’époque du Moyen Age,
quels étaient donc, chez nous, les populaires usages, les fêtes familiales,
les naïfs usages qui symbolisaient la Noël ? Voici quelques-unes de ces
lointaines traditions, depuis longtemps disparues.
Dès le matin de Noël, le seigneur féodal et tous ses vassaux se vêtaient de
leurs plus riches vêtements, et on faisait alors entrer « les hautbois de l’Avent »
, ces musiciens qui, les quatre dimanches précédant Noël, s’en allaient, le soir,
de porte en porte, jouer leurs plus beaux Noëls. Ils ne sont pas sans rappeler les
pastorales, ainsi que de cette fameuse « Chanson des œufs » qu’on allait
encore, au tout début du XXe siècle, dans toute la Basse-Bretagne, chanter
la nuit de Noël, de village en village :
J’ai un p’tit coq dans mon panier,
Qui n’a pas encor chanté.
S’il n’a pas chanté,
Il chantera !
Alléluia ! |
Cependant, le seigneur du village, accompagné des « hautbois de Noël »
et de ses vassaux parés de leurs plus riches atours, se rendait, musique en tête,
au parc des coulpes forestiers, c’est-à-dire des délits forestiers. « Ce parc,
nous apprend un ouvrage consacré à Paris paru en 1837, clôt une enceinte
voisine du château, où l’on renfermait les bêtes prises en dommage, dans
l’étendue des domaines seigneuriaux. Le prévôt et le sénéchal, après avoir
fait le signe de la croix et dit à haute et intelligible voix : Pax sit inter vos,
faisaient sortir et rendaient, à leurs maîtres, les bœufs et les ânons, car ces
animaux sont, pendant les trois jours de la fête, en grande vénération, en
souvenir du bœuf et de l’âne qui se trouvaient dans la crèche.
« À la nuit tombante, commençaient d’autres réjouissances. Dès que la
dernière lueur du jour s’était fondue dans l’ombre, les habitants du pays
avaient grand soin d’éteindre leurs foyers, puis ils allaient en foule allumer
des brandons, à la lampe qui brûlait dans l’église, en l’honneur de la Mère
de Jésus. Un prêtre bénissait les brandons ; l’on allait aussitôt se promener
dans les champs : c’est ce qu’on appelait la fête des flambarts. Ces
flambarts portaient ainsi le seul feu qui régnât dans le village, c’était le feu
bénit et régénéré qui devait jeter de jeunes étincelles, sur l’âtre ravivé ».
Cependant, voici le soir qui tombe. Le chef de famille, suivi de sesenfants etde ses serviteurs, se rend processionnellement chercher les restes de la bûche de Noël, ses derniers tisons, pieusement déposés en relique,dans une des armoires du
logis. Il les dépose devant le foyer. Après quoi,tout le monde se met à genoux,
et, à haute voix, l’aïeul récite alors le Pater, cependant que deux valets de
ferme s’approchent de la grande cheminée familiale et y déposent la
nouvelle bûche de Noël, tronc de chêne superbe et rugueux, qu’on
appelle « la coque de Noël. »
Frontispice de La fée sucrée ou La nuit de Noël par Adèle de Nouvion, édition de 1860 |
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L’aïeul y met le feu, après l’avoir aspergée d’eau bénite. Pendant ce temps,
dans le coin de la chambre, le nez au mur, les petits enfants prient, à mains
jointes. Ils prient, à haute voix, demandant à l’Enfant-Jésus des bonbons, des
joujoux, des dragées et des fruits confits. Et voici la flamme qui s’allume, les
sarments secs qui pétillent. « Voyez ! voyez ! » leur crie-t-on. Les enfants
accourent. Le foyer est enguirlandé de jouets et de friandises. Descendu
par le grand trou de la cheminée qui flamboie, c’est l’Enfant-Jésus qui les a
déposés, autour de la belle bûche de chêne, tout comme, aujourd’hui, il les
dépose, dans le petit sabot de nos enfants.
« Bûche première ! seconde bûche ! bûche vingtième ! bûche quarantième ! »
disait-on, au Moyen Age, en apportant, chaque année, la nouvelle bûche de
Noël. Cette formulette signifiait que déjà deux fois, déjà vingt fois, déjà
quarante fois... l’aïeul avait ainsi présidé à la familiale solennité de Noël.