POLITIQUE - Adoubée par Edouard Philippe au lendemain d'un nouveau week-end de violences en marge du mouvement des gilets jaunes, la proposition de loi anticasseurs atterrit ce mardi 29 janvier dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Censé sanctionner plus sévèrement les fauteurs de troubles et les manifestations non déclarées, le texte voté en octobre dernier par la droite sénatoriale a finalement obtenu début janvier le soutien du gouvernement, soucieux d'apporter une réponse législative aux dégradations à répétition constatées lors des "actes" hebdomadaires de la contestation en veste fluo.
Mais avec quelque 200 amendements à la clé sur ses mesures les plus controversées, et malgré un premier coup de toilettage opéré par la majorité LREM lors de son examen en Commission des lois, le texte continue d'alimenter des réticences jusqu'au sein du parti présidentiel, sans parler d'une opposition farouche du côté de l'opposition de gauche, pour qui le texte acte une atteinte au droit de manifester tout en faisant l'impasse sur les violences policières.
Filtrages et interdictions, les mesures qui fâchent encore
Parmi les sujets de tension, la proposition de loi votée par la majorité LR à la chambre haute prévoyait que le préfet puisse autoriser des palpations de sécurité et des fouilles de sacs "pendant les six heures qui précèdent" une manifestation et jusqu'à dispersion, "dans un périmètre délimité". La mesure a hérissé certains élus de la majorité, inquiets notamment d'atteintes à la liberté d'aller et venir et mettant aussi en doute son caractère opérationnel. Le gouvernement doit proposer une nouvelle rédaction.
Le texte dispose également que les préfets pourront prononcer des interdictions de manifester à l'encontre d'individus susceptibles de représenter une menace grave pour l'ordre public, sous peine de six mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende en cas d'infraction. Pendant la manifestation, le préfet serait aussi en droit d'imposer une convocation à la personne concernée, afin qu'elle ne se rende pas à la manifestation.
Une trentaine de députés LREM ont déjà, en commission, réclamé en vain la suppression de cette mesure, soulevant un risque d'inconstitutionnalité et soulignant qu'une interdiction peut déjà être prononcée par la justice.
Les députés MoDem réclament aussi une condamnation pénale préalable. La mesure doit être améliorée en séance. "Cette loi doit veiller à ne pas altérer le droit de manifester", met en garde le député LREM Matthieu Orphelin, figure de l'aile gauche de la majorité, qui entend maintenir sa "vigilance" pendant l'examen du texte.
Des concessions dénoncées par la droite
Problème, toute nouvelle concession accordée aux partisans d'une loi mesurée risquerait de compliquer l'équation politique du gouvernement, particulièrement soucieux de ménager son électorat de droite depuis la crise des gilets jaunes.
Le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau accuse déjà l'exécutif d'avoir "dénaturé" sa proposition de loi en cédant aux amendements des députés LREM en commission. La proposition de loi initiale prévoyait en effet la création d'un nouveau fichier national, comme il en existe un pour les hooligans interdits de stade depuis 2007. À l'initiative de la rapporteure Alice Thourot (LREM), les députés ont revu et corrigé le dispositif en commission: pas de fichier dédié, mais une inscription des seules interdictions judiciaires de manifester au fichier des personnes recherchées (FPR).
Promu par la droite, le délit de dissimulation volontaire du visage (totalement ou partiellement) dans une manifestation est créé, assorti d'une peine d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. Mais les députés ont tenu à préciser sa définition, le port d'un casque ou d'une cagoule ne suffisant pas: il faudra la démonstration d'une intention de la personne de participer à des troubles, ce que condamne Les Républicains.
Enfin, alors que les sénateurs avaient voté une présomption de responsabilité civile collective en cas de condamnation au pénal pour des violences contre les personnes ou des atteintes aux biens, les députés ont décidé d'encadrer la mesure. L'État pourra exercer son recours sur le plan civil contre toute personne à l'encontre de laquelle sera rapportée la preuve qu'elle a participé aux faits dommageables, mais sans la nécessité d'une condamnation pénale.
À ce stade, le juste milieu recherché par LREM entre les revendications de la gauche (pour qui le texte est liberticide) et celles de la droite (pour qui l'exécutif cède au laxisme) n'est pas encore acquis.