12 Février 2019
Orléans était la ville qui convenait le mieux aux Anglais pour le passage et pour la retraite en cas de fâcheux événement quand ils seraient au-delà de la Loire. Le duc de Bedford la fit assiéger par Montagu, comte de Salisbury, qui venait de lui amener d’Angleterre un puissant secours. La ville n’était ni assez fortifiée, ni suffisamment garnie de gens de guerre ; mais elle avait pour ressource préférable à la solidité des remparts et aux phalanges nombreuses, la valeur de ses habitants et leur inébranlable fidélité pour le souverain légitime. Gaucourt y commandait, et Xaintrailles, La Fayette, Graville et autres braves qui s’étaient jetés dans la place , inspiraient aux moindres soldats toute l’ardeur qui les animait.
Salisbury plaça son camp du côté de la Sologne, afin d’attaquer directement le pont, dont la prise devait entraîner celle de la ville. C’était sur la fin de l’automne 1428. Les bourgeois fortifient à la hâte un petit château qui le couvrait , et qui était flanqué de tourelles délabrées. L’Anglais foudroie château, tourelles, murailles avec une nombreuse artillerie, creuse des mines, livre des assauts, présente l’escalade.
Les habitants, guidés par les capitaines arrivés à leur secours, s’enfoncent dans les mines, y combattent corps à corps, comblent les travaux, renversent et brisent les échelles, font rouler des pierres énormes sur les assaillants, lancent sur eux des feux et les inondent d’eau bouillante. Les femmes fournissent l’eau et les feux d’artifice, amènent les pierres, présentent les rafraîchissements, pansent les blessés sur la brèche, et les emportent. On en vit même combattre la pique à la main dans les premiers rangs. Il y eut, dès le commencement du siège, plusieurs assauts semblables. Les Anglais y perdaient à la vérité beaucoup de monde ; mais ils avançaient, et leurs progrès, quoique lents, leur promettaient à la fin la victoire, lorsqu’ils furent arrêtés par une foule de braves que le roi de Bourges — ainsi que les partisans des Anglais désignaient Charles VII — envoya au secours des assiégés. L’histoire compte entre les plus distingués, Dunois, La Hire et Chabanne, qui menaient huit cents hommes d’armes. D’attaqués qu’étaient les Orléanais, ils devinrent assaillants. Ils hasardaient de fréquentes sorties pour faire entrer des vivres. C’était de tous les besoins le plus pressant, parce que la ville s’étant trouvée mal pourvue dès le commencement, l’accroissement des troupes qui arrivaient successivement, faisait craindre la famine. Les Anglais instruits de cette détresse tournèrent le siège en blocus. Ils s’éloignèrent à petite distance, et enveloppèrent la ville de tranchées soutenues de redoutes, pour fermer le passage aux convois. Le roi venu à Chinon pour veiller de plus près aux besoins des assiégés en fit cependant pénétrer un, qu’il se préparait à faire suivre d’un autre, lorsqu’il apprit que les Anglais, ne pouvant tirer des vivres d’un pays ruiné, en faisaient venir de Paris sous escorte. Au mois de janvier 1429 en effet, le sire de Culant, amiral de France, entra dans Orléans avec deux cents lances et annonça aux assiégés que le comte de Clermont, fils du duc de Bourbon, était à Blois où il assemblait une armée pour venir à leur secours. Il était averti que les Anglais éprouvant une grande disette de vivres, en avaient demandé au duc de Bedforf, qui leur envoyait de Paris un convois de poisson salé conduit par sir John Fastolf, avec un corps considérable de troupes. Prévenus de ce dessein, les assiégés d’Orléans, et un corps de troupes qui voltigeaient au dehors sous le commandement du comte de Clermont, décidèrent d’enlever ce convoi, et se donnèrent rendez-vous sur son chemin, à Yenville. Les deux corps, partis l’un de Blois, l’autre d’Orléans, contenaient les guerriers les plus illustres de la France : les deux maréchaux de La Fayette et de Boussac ou Sainte-Sévère, le sire de Culant, amiral de France ; le vicomte de Thouars, le sire de Belleville, Jean Stuart, connétable des Écossais que le roi avait fait comte d’Évreux, avec son frère ; Guillaume d’Albret, sire d’Orval ; Jean de Nilhac, sire de Châteaubrun ; Jean de Lesgot, La Hire, un grand nombre de chevaliers d’Auvergne, de Bourbonnais, de Berry, de Poitou, et les Écossais à la solde de la France.
Dunois et ses compagnons passèrent à travers les lignes formées par les Anglais, et leurs troupes réunies à celle du comte de Clermont firent leur jonction à Yenville le 11 février 1429. Le samedi 12, tous reprirent la roue de Paris par Étampes, et après avoir marché deux heures, ils découvrirent les Anglais près de Rouvray-Saint-Denis, petite ville de Beauce située à 40 km au nord d’Orléans. Fastolf, qui conduisait les Anglais, en voyant approcher l’armée française, s’était fait une enceinte des chars de son convoi ; il y avait fait monter ses archers, et avait garni les intervalles avec des pieux aigus. Les Français s’arrêtèrent, leur gendarmerie resta en position à cheval, et leur artillerie, couverte par les archers et gens de pied, ouvrit son feu sur les barricades anglaises. L’escorte anglaise n’était que de mille cinq cents hommes. L’artillerie des Français la fit voler en éclats : beaucoup de chars furent renversés ou mis en pièces, les archers et les marchands qui les montaient furent tués, et de larges brèches laissèrent voir l’intérieur de l’enceinte anglaise. Il ne fallait pas d’autre genre d’attaque pour vaincre sans coup férir ; mais l’impétuosité écossaise, qui avait fait déjà perdre la bataille de Verneuil où le connétable Jean Stuart, comte de Buchan, paya sa témérité de sa vie, fut également funeste dans cette circonstance. Le connétable d’Écosse, Jean Stuart Derneley, cria que c’était une honte de ne pas oser aborder l’ennemi par les larges brèches que l’artillerie avait faites. À l’instant, son frère Guillaume et lui se jetèrent à bas de leurs chevaux, se dirigèrent sur le parc anglais et, à la tête de leur corps, dans la brèche faite par le canon. Le comte de Clermont fut obligé de faire cesser son feu, de peur de tirer sur les siens. L’attaque, intempestive et beaucoup trop faible, fut aisément repoussée par les Anglais qui, pourtant en désordre, reprirent courage, les archers de leur escorte, montés sur leurs chariots, dirigeant sûrement leurs traits contre cette troupe amoncelée. Sortant à leur tour de leur parc, ils chargèrent vigoureusement les Écossais, qui furent bientôt en pleine déroute. Les Auvergnats, au lieu de leur venir en aide, prirent la fuite, et en peu de temps les Français, qui se croyaient vainqueurs, furent complètement défaits. On nomma cette déroute la journée des Harengs, parce que, comme on était dans le carême, le convoi était composé en grande partie de cette provision. Il resta à peu près cinq ou six cents, tant Français qu’Écossais sur le champ de bataille ; perte peu considérable, si on la compare à ses effets, c’est-à-dire au découragement que cette déroute jeta dans le parti de Charles VII.
À la nouvelle de cette défaite, le conseil s’assembla en présence du roi. On y délibéra s’il n’était pas à propos qu’il abandonnât non seulement l’Orléanais, mais le Berry et la Touraine, et se retirât à l’extrémité du royaume pour y rassembler des forces et revenir défendre l’Auvergne, le Languedoc, le Dauphiné et les autres contrées méridionales, auxquelles il se bornerait pour le moment. On dit que Charles inclinait à cette résolution, et qu’il n’en fut détourné que par la reine, et selon d’autres, par Agnès Sorel, sa maîtresse. Du moins celte opinion s’est conservée dans la maison royale, puisqu’on attribue à François Ier les vers suivants qu’il composa en voyant un portrait d’Agnès :
La pusillanime hésitation du conseil venait principalement des dispositions qui se manifestaient à Orléans. En vain Dunois et ses compagnons, qui y étaient rentrés après le combat de Rouvray, tâchaient de rassurer les habitants par les promesses d’un prompt secours : les Anglais, quoique repoussés par des sorties fréquentes, avançaient toujours, renforçaient leur circonvallation, et la hideuse famine commençait à se montrer aux Orléanais, avec toutes ses horreurs. Qu’attendre, se disait-on au sein des Orléanais, de Charles VII, que le danger d’Orléans n’avait pu tirer de la mollesse où il était plongé à Chinon ? Qu’attendre des armées françaises, puisque, avec une large supériorité en nombre, elles se laissaient dissiper par les Anglais ? Le salut viendra de Jeanne d’Arc qui délivrera Orléans le 8 mai suivant.
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