Réelle volonté ou effet d'annonce : « l'enquête sur Jeffrey Epstein va continuer, et visera quiconque ayant été son complice », a prévenu mardi William Barr, le ministre américain de la justice. L'annonce pourrait bien concerner des ressortissants français, tant le millionnaire était lié à l'hexagone.
« Il était tombé amoureux de la France – comme beaucoup d'Américains – il y a une vingtaine d'années », évoque Suzan*, une compatriote navigant elle-même entre Paris et New York, qui se décrit comme très amie avec Epstein dans les années 1990 et jusqu'au milieu des années 2000. Le financier avait acquis avenue Foch, à Paris, une propriété estimée à environ 8 millions d'euros, dans laquelle il avait effectué un séjour de trois semaines avant de rentrer aux Etats-Unis, le 6 juillet, date de son interpellation.
Son carnet d'adresses, largement diffusé en ligne et remontant à 2005, comporte une quarantaine de noms d'amis ou de contacts français. Des décideurs, aristocrates, décorateurs, jet-setteurs, tradeurs ou figures du e-business alors naissant. Sans compter les prénoms d'une quinzaine de « masseuses » parisiennes.
Jean-Luc Brunel recruteur de potentielles proies ?
Mais l'entrée la plus étoffée du carnet demeure celle consacrée à Jean-Luc Brunel. Une figure du mannequinat parisien, patron de deux agences, MC2 et Karins model, dont plusieurs victimes d'Epstein assurent que lui et ses amis, dont Brunel, s'en servaient pour recruter de potentielles proies. Les mêmes mettent en cause Next Models, un poids lourd du mannequinat avec lequel Brunel avait également partie liée, et dont Epstein connaissait Laurenzo Pedrini, alors l'un des cadres parisiens de cette agence internationale.
« Oui, il était très porté sur les jeunes filles et ne s'en cachait pas, reconnaît Suzan. Mais c'était uniquement pour des massages, défend-elle. Elles prenaient 200 ou 300 dollars de l'heure et c'était tout. » L'Américaine dit avoir passé des vacances, à l'époque, dans une autre propriété d'Epstein, celle de Palm Beach, en Floride, sans y avoir rien noté d'illégal. « Après, je ne sais pas ce qu'il faisait quand j'étais partie… » admet Suzan, qui continue à défendre mordicus « cet homme victime d'une chasse aux sorcières », dont beaucoup, y compris en France, « ont profité de son argent ou se sont vus offrir de nombreux voyages ».
Un lien avec Epstein était un signe extérieur de réussite
Au fil de ce même carnet d'adresses s'égrènent les noms de palaces parisiens ou de restaurants de premier plan où le millionnaire avait ses habitudes. La fréquence et la durée de ses séjours français nécessitaient également une logistique au quotidien. Plusieurs employés de maison sont répertoriés, de même que les services de base pour un VIP de ce type – location de voitures, taxis, etc. – ainsi que des avocats, parmi lesquels Me Stéphane Coulaux, à l'époque membre du cabinet Berlioz. « Je ne l'ai jamais rencontré, précise-t-il. Mais effectivement, nous étions son Family office, comme on dit dans le jargon, en charge des affaires courantes. »
C'est Samuel Pisar, écrivain rescapé des camps de la mort, ancien conseiller économique de Kennedy, qui avait joué les intermédiaires entre Epstein et le cabinet. « Un personnage dont le carnet d'adresses était d'un tout autre niveau que celui d'Epstein », note Me Coulaux. Lequel a pourtant été longtemps à tu et à toi avec Bill Clinton et Donald Trump.
À l'époque, être en lien avec le multimillionnaire était un signe extérieur de réussite. Désormais, nombre de ceux qui l'ont côtoyé sont amnésiques ou mutiques. « Oui, il était venu quelques fois, mais ça faisait quand même longtemps qu'on ne l'avait pas vu », assure ce galeriste parisien. « Je ne me rappelle pas de lui », assène, la main sur le cœur, un entrepreneur.
«Il savait qu'il risquait de finir ses jours en prison»
Au-delà, Epstein disposait à Paris d'un cercle d'intimes. Il était ainsi très proche de Ghislaine Maxwell, la famille Maxwell étant elle-même profondément attachée à la France. L'aînée des filles Maxwell réside ainsi en banlieue parisienne. « Désolé, nous ne sommes pas intéressés », coupe au téléphone son mari lorsqu'on l'interroge sur ses liens avec Epstein, dont la seule évocation du nom fait désormais office de repoussoir.
Seule Suzan continue à déplorer « une chasse aux sorcières. » Et s'interroge sur la mort de cet « ami » avec laquelle ils avaient prévu de se voir ces derniers mois, sans y parvenir du fait de leurs emplois du temps respectifs. « Il savait qu'avec ce qu'il lui était reproché, il risquait de finir ses jours en prison. Donc je ne serais pas surprise qu' il se soit donné la mort, envisage-t-elle. Comme je ne serais pas étonnée d'apprendre qu'on a voulu le faire taire. »
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée