14 Août 2019
Vigiles de l'Assomption mercredi 14 août 2019
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Pierre Jounel
La fête mariale du 15 août a pris naissance à Jérusalem, où le lectionnaire de 415-417 déclare : « Le 15 août, de Marie, la Théotokos, au deuxième mille de Bethléem ». On y lit la prophétie de l’Emmanuel (Is. 7,10-16d), le texte de saint Paul sur le Christ « né de la femme » (Gal. 3,29 - 4,7) et le récit de la naissance de Jésus à Bethléem (Luc 2,1-7). Il ne s’agit donc pas encore de célébrer la Dormition de Marie, mais sa maternité divine. De Jérusalem la fête devait se répandre à travers l’Orient, puis atteindre la Gaule et Rome. L’évangéliaire romain de 645 ne connaît pas encore la fête du 15 août, mais celui de 740 annonce Sollemnia de pausatione sanctae Mariae et celui du 9e siècle fera de même. C’est sous ce titre, reçu de l’Orient, que la fête avait pénétré à Rome et qu’elle est mentionnée dans le Liber Pontificalis, qui énumère les quatre processions décrétée par le pape Sergius Ier diebus Adnuntiationis Domini, Dormitionis et Nativitatis sanctae Dei genetricis semperque virginis Mariae ac sancti Symeonis, quod Ypappanti Graeci appellant . Cependant, dans les mêmes années, si l’on s’en rapporte à l’analyse d’A. Chavasse le sacramentaire grégorien intitulait la fête du 15 août Adsumptio sanctae Mariae, comme on le faisait en Gaule, où l’Assomption était célébrée le 18 janvier. Le vocabulaire des martyrologes devait rester plus longtemps fidèle au modèle oriental. Mais la déclaration d’Usuard contre les apocryphes du type Transitus Mariae, le 15 août, ne l’empêche pas de noter, au 14, la vigilia Assumptionis. Au XIe siècle, le martyrologe de Saint-Pierre continue à tenir le langage de ses congénères, quand il annonce Sanctae Mariae dormitio.
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, l’Assomption était célébrée au Latran avec la même solennité que Noël, au dire de l’Ordo, qui lui consacre une ample description. Il évoque, en particulier, la procession nocturne. Mais, bien qu’on célèbre l’Assomption avec ferveur au Latran, on y lit durant les vigiles et pendant toute l’octave l’opuscule pseudo-hiéronymien Cogitis me, o Pauladans lequel Paschase Radbert, sans nier explicitement l’assomption de Marie, met en doute sa résurrection corporelle et veut qu’on ne présente le fait que sous la forme d’une simple opinion . Quant au missel du Latran, il reproduit les oraisons de l’Hadrianum, indiquant pour la station ad sanctum Adrianum l’oraison Veneranda, qui affirme explicitement la résurrection de la sainte Mère de Dieu : « Veneranda nobis domine huius est diei festivitas in qua sancta Dei genetrix mor-tem subiit temporalem, née tamen mortis nexibus deprimi potuit, qui Filium tuum dominum nostrum de se genuit incarnatum ».
En décrivant les manuscrits du passionnaire du Latran et de l’antiphonaire Vat. lat. 5379, on a relevé une anomalie : le premier ne contient aucune lecture pour le 15 août ; le second a une messe, le 14, in vigilia S. Marie, mais non le lendemain pour la fête. Sans doute faut-il expliquer cette absence par le fait qu’au début du 12e siècle le clergé du Latran participait à la procession, qui comportait la célébration de l’office nocturne à Sainte-Marie-la-Neuve et s’achevait par la messe à Sainte-Marie-Majeure.
D’après L’Église en Prières, Martimort et alii.
La récente définition dogmatique de l’Assomption de la Vierge a eu pour conséquence une assez massive révision du formulaire antérieur de la fête, tant pour les hymnes et leçons du bréviaire que pour le missel, où les oraisons, les chants de l’introït, du graduel, de l’offertoire et de la communion, les textes de l’épître et de l’évangile sont nouveaux. Seul, le verset de l’Alléluia : « Assumpta est Maria in cælum, gaudet exercitus angelorum » a pu être maintenu, malgré son imprécision.
Ce fait massif ne mériterait pas d’être souligné s’il ne révélait, par contraste, combien discret et anormalement neutre fut jugé — et est en effet pour ce qui regarde l’assomption corporelle, — le formulaire romain antérieur, resté presqu’inchangé depuis les débuts, soit depuis le VIIe siècle.
Cette obstinée réserve, évidemment voulue à l’origine, perpétuait les scrupules des théologiens anciens — les Carolingiens surtout — inquiets du revêtement légendaire de la croyance. Déjà depuis Grégoire de Tours (573-593), sa ferveur s’appuyait sur d’anciens récits apocryphes orientaux. La défiance datait de longtemps : les premiers sacramentaires en témoignent déjà, par une sorte de significative imprécision neutraliste des formules. En effet, lorsque, vers la fin du VIe siècle, un net décret de l’empereur Maurice (582-602) avait déjà rendu la fête obligatoire partout, le formulaire gélasien, composé de pièces empruntées à des sources romaines antérieures, n’accusait sa destination nouvelle que dans la secrète, par l’addition imprécise : « vel talis assumpta est ». Quant à l’Hadrianum, de ses trois oraisons — celles-là même que reprendra et gardera le missel romain — seule la secrète évoque la fête par un « pro condicionis carnis migrasse cognoscimus » volontairement incolore.
Un siècle environ après saint Grégoire, soit vers l’an 700, le pape Serge Ier, syrien d’origine, voulant instituer à Rome trois processions stationnales pour l’Annonciation, la Dormition et la Nativité, faisait composer pour celle du 15 août une admirable oraison de départ du cortège, ainsi conçue :
Veneranda nobis, Domine, huius est diei festivitas, in qua sancta Dei Genetrix mortem subiit temporalem, nec tamen mortis nexibus deprimi potuit, quæ Filium tuum, Dominum nostrum, de se genuit incarnatum. Per eumdem. | Vénérable est pour nous, Seigneur, la fête qui commémore ce jour en lequel la sainte Mère de Dieu subit la mort temporelle, mais néanmoins ne put être retenue par les liens de la mort, elle qui avait engendré de sa substance votre Fils, notre Seigneur incarné. |
La netteté doctrinale de cette ardente prière fait contraste avec l’insignifiance calculée du formulaire romain antérieur. Au reste, une de ses sources d’inspiration semble bien avoir été le « kontakion » byzantin de la fête de l’Assomption, de doctrine si réfléchie :
La Theotokos, infatigable en ses intercessions, espoir inébranlable grâce à ses plaidoyers, ni le tombeau ni la mort ne l’ont retenue. Étant mère de la Vie, c’est à la Vie qu’elle fut transférée par Celui qu’avait renfermé son sein virginal.
Autant que le « kontakion » grec, l’oraison latine Veneranda est plus que simple louange : elle professe le privilège marial et en fournit soigneusement la justification théologique. Sans doute voulait-on, en imposant son texte si ferme, mettre fin à certaines hésitations doctrinales.
N’appartenant pas à la messe, mais créée en vue de la procession stationnale romaine, Veneranda devenait sans objet hors de la Ville éternelle. Elle finit par disparaître du formulaire, lorsque le Missale secundum consuetudinem Romanæ curiæ se fut répandu partout. Témoin insigne de la doctrine, on l’a maintenue, moyennant de légères retouches, à Lyon et à Milan, et elle est restée en usage dans plusieurs ordres religieux.
Aux autres incolores et trop prudentes formules romaines ont aujourd’hui succédé de lumineuses visions de gloire : la Mulier amicta sole et couronnée d’étoiles (introït), revêtue texturæ aureæ, intégralement ressuscitée comme son Fils, tota decora ingreditur (graduel).
Ainsi l’Église conclura les chants de cette journée glorieuse ; suave antienne, où se résument l’objet de la fête et l’esprit dans lequel elle doit être célébrée.
Il n’est point de solennité qui respire à la fois comme celle-ci le triomphe et la paix, qui réponde mieux à l’enthousiasme des peuples et à la sérénité des âmes consommées dans l’amour. Certes le triomphe ne fut pas moindre au jour où le Seigneur, sortant du tombeau par sa propre vertu, terrassait l’enfer ; mais dans nos âmes, si subitement tirées de l’abîme des douleurs au surlendemain du Golgotha, la soudaineté de la victoire mêlait comme une sorte de stupeur à l’allégresse de ce plus grand des jours. En présence des Anges prosternés, des disciples hésitants, des saintes femmes saisies de tremblement et de crainte , on eût dit que l’isolement divin du vainqueur de la mort s’imposait à ses plus intimes et les tenait comme Madeleine à distance .
Dans la mort de Marie, nulle impression qui ne soit toute de paix ; nulle cause de cette mort que l’amour. Simple créature, elle ne s’arrache point par elle-même aux liens de l’antique ennemie ; mais, de cette tombe où il ne reste que des fleurs, voyons-la s’élever inondée de délices, appuyée sur son bien-aimé . Aux acclamations des filles de Sion qui ne cesseront plus de la dire bienheureuse , elle monte entourée des esprits célestes formant des chœurs, louant à l’envi le Fils de Dieu. Plus rien qui, comme au pays des ombres, vienne tempérer l’ineffable éclat de la plus belle des filles d’Ève ; et c’est sans conteste que par delà les inflexibles Trônes, les Chérubins éblouissants, les Séraphins tout de flammes, elle passe enivrant de parfums la cité bienheureuse. Elle ne s’arrête qu’aux contins même de la Divinité, près du siège d’honneur où le Roi des siècles, son Fils, règne dans la justice et la toute-puissance : c’est là qu’elle aussi est proclamée Reine ; c’est de là qu’elle exercera jusqu’aux siècles sans fin l’universel empire de la clémence et de la bonté.
Cependant, ici-bas, le Liban, Amana, Sanir et Hermon, toutes les montagnes du Cantique sacré , semblent se disputer l’honneur de l’avoir vue s’élever de leurs sommets vers les cieux ; et véritablement la terre entière n’est plus que le piédestal de sa gloire, comme la lune est son marchepied, le soleil son vêtement, comme les astres des cieux forment sa couronne brillante . « Fille de Sion, vous êtes toute belle et suave » , s’écrie l’Église, et son ravissement mêle aux chants du triomphe des accents d’une exquise fraîcheur : « Je l’ai vue belle comme la colombe qui s’élève au-dessus des ruisseaux ; ses vêtements exhalaient d’inestimables senteurs, et comme le printemps l’entouraient les roses en fleurs et les lis des vallées ».
Même douce limpidité dans les faits de l’histoire biblique où les interprètes des saints Livres ont vu la figure du triomphe de Marie. Tant que dure ce monde, une loi imposante garde l’entrée du palais éternel : nul n’est admis à contempler, sans déposer son manteau de chair, le Roi des cieux . Il est pourtant quelqu’un de notre race humiliée, que n’atteint pas le décret terrible : la vraie Esther s’avance par delà toutes barrières ] en sa beauté dépassant toute croyance Pleine de grâces, elle justifie l’amour dont l’a aimée le véritable Assuérus ; mais dans le trajet qui la conduit au redoutable trône du Roi des rois, elle n’entend point rester solitaire : soutenant ses pas, soulevant les plis de son royal vêtement, deux suivantes l’accompagnent [], qui sont l’angélique et l’humaine natures, également fières de la saluer pour maîtresse et pour dame, toutes deux aussi participantes de sa gloire.
Si de l’époque de la captivité, où Esther sauva son peuple, nous remontons au temps des grandeurs d’Israël, l’entrée de Notre-Dame en la cité de la paix sans fin nous est représentée par celle de la reine de Saba dans la terrestre Jérusalem. Tandis qu’elle contemple ravie la magnificence du très haut prince qui gouverne en Sion : la pompe de son propre cortège, les incalculables richesses du trésor qui la suit, ses pierres précieuses, ses aromates, plongent dans l’admiration la Ville sainte. Jamais, dit l’Écriture, on ne vit tant et de si excellents, parfums que ceux que la reine de Saba offrit au roi Salomon .
La réception faite par le fils de David à Bethsabée sa mère, au troisième livre des Rois, vient achever non moins heureusement d’exprimer le mystère où la piété filiale du vrai Salomon a si grande part en ce jour. Bethsabée venant vers le roi, celui-ci se leva pour aller à sa rencontre, et il lui rendit honneur, et il s’assit sur son trône ; et un trône fut disposé pour la mère du roi, laquelle s’assit à sa droite . O Notre-Dame, combien en effet vous dépassez tous les serviteurs, ministres ou amis de Dieu ! « Le jour où Gabriel vint à ma bassesse, vous fait dire saint Éphrem, de servante je fus reine ; et moi, l’esclave de ta divinité, soudain je devins mère de ton humanité, mon Seigneur et mon fils ! O fils du Roi, qui m’as faite moi aussi sa fille, ô tout céleste qui introduis aux cieux cette fille de la terre, de quel nom te nommer ? »
Lui-même le Seigneur Christ a répondu ; le Dieu fait homme nous révèle le seul nom qui, en effet, l’exprime pleinement dans sa double nature : il s’appelle le Fils. Fils de l’homme comme il est Fils de Dieu, il n’a qu’une mère ici-bas, comme il n’a qu’un Père au ciel. Dans l’auguste Trinité il procède du Père en lui restant consubstantiel, ne se distinguant de lui que parce qu’il est Fils, produisant avec lui l’Esprit-Saint comme un seul principe ; dans la mission extérieure qu’il remplit à la gloire de la Trinité sainte, communiquant pour ainsi dire à son humanité les mœurs de sa divinité autant que le comporte la diversité des natures, il ne se sépare en rien de sa mère, et veut l’avoir participante jusque dans l’effusion de l’Esprit-Saint sur toute âme. Ineffable union, fondement des grandeurs dont le triomphe de ce jour est le couronnement pour Marie. Les jours de l’Octave nous permettront de revenir sur quelques-unes des conséquences d’un tel principe ; qu’il nous suffise aujourd’hui de l’avoir posé.
« Comme donc le Christ est Seigneur, dit l’ami de saint Bernard, Arnauld de Bonneval, Marie aussi est Dame et souveraine. Quiconque fléchit le genou devant le fils, se prosterne devant la mère. A son seul nom les démons tremblent, les hommes tressaillent, les anges glorifient Dieu. Une est la chair de Marie et du Christ, un leur esprit, un leur amour. Du jour où il lui fut dit, Le Seigneur est avec vous, irrévocable en fut la grâce, inséparable l’unité ; et pour parler de la gloire du fils et de la mère, ce n’est pas tant une gloire commune que la même gloire qu’il faut dire » . — « O toi la beauté et l’honneur de ta mère, reprend le grand diacre d’Édesse, ainsi l’as-tu parée en toutes manières, celle qui avec d’autres est ta sœur et ton épouse, mais qui seule t’a conçu » .
« Venez donc, ô toute belle, dit Rupert à son tour, vous serez couronnée ], au ciel reine des Saints, ici-bas reine de tout royaume. Partout où l’on dira du bien-aimé qu’il a été couronné de gloire et d’honneur, établi prince sur toutes les œuvres du Père, partout aussi on publiera de vous, ô bien-aimée, que vous êtes sa mère, et partant reine de tout domaine où s’étend sa puissance ; et, à cause de cela, les empereurs et les rois vous couronneront de leurs couronnes et vous consacreront leurs palais » .
LES PREMIÈRES VÊPRES.
Entre les fêtes des Saints, c’est ici la solennité des solennités. « Que le génie de l’homme s’emploie à relever sa magnificence ; que le discours reflète sa majesté. Daigne la souveraine du monde agréer le bon vouloir de nos lèvres , aider notre insuffisance, illuminer de ses propres feux la sublimité de ce jour »
Ce n’est point d’aujourd’hui seulement que le triomphe de Marie ramène l’enthousiasme au cœur du chrétien. Aux temps qui précédèrent le nôtre, l’Église montrait, par des prescriptions conservées au Corps du Droit, la prééminence qu’occupait dans sa pensée le glorieux anniversaire. C’est ainsi que, sous Boniface VIII, elle lui réservait, comme aux seules fêtes de Noël, de Pâques et de Pentecôte, le privilège d’être célébré, dans les pays mêmes soumis à l’interdit, au son des cloches et avec la splendeur accoutumée .
Dans ses instructions aux Bulgares nouvellement convertis, saint Nicolas Ier, qui occupa le Siège apostolique de 858 à 867, rapprochait de même déjà les quatre solennités sous une seule recommandation, quant aux jeûnes de Carême, de Quatre-Temps ou de Vigiles qui s’y rattachent : jeûnes, disait-il, que dès longtemps la sainte Église Romaine a reçus et observe].
Il convient de rapporter au siècle précédent la composition du célèbre discours qui fournit jusqu’à saint Pie V les Leçons des Matines de la fête, et dont l’inspiration, le texte lui-même, se retrouve encore en plus d’un endroit de l’Office actuel . L’auteur, digne des grands âges par le style et la science, mais se couvrant d’un faux personnage, débutait ainsi : « Vous voulez, ô Paula et Eustochium, que laissant de côté la forme de traités qui m’est habituelle, je m’essaie, genre nouveau pour moi, à célébrer selon le mode oratoire l’Assomption de la bienheureuse Marie toujours vierge » Et le saint Jérôme supposé disait éloquemment la grandeur de cette fête « incomparable comme celle qui s’y éleva glorieuse et fortunée au sanctuaire du ciel : solennité, admiration des armées angéliques bonheur des citoyens de la vraie patrie, qui ne se contentent pas de lui donner comme nous un jour, mais la célèbrent sans fin dans l’éternelle continuité de leur vénération, de leur amour et de leur triomphante allégresse » . Pourquoi faut-il qu’une répulsion légitime pour les excès de quelques apocryphes ait amené l’auteur de ce bel exposé des grandeurs de Marie à hésiter sur la croyance au privilège glorieux de son Assomption corporelle] ? Prudence trop discrète, qu’allaient exagérer bientôt les martyrologes d’Usuard et d’Adon de Vienne.
Ce n’était pas pourtant sur les rives de la Seine ou celles du Rhône qu’il eût convenu de méconnaître une tradition s’affirmant toujours plus chaque jour, et dont, avant toutes autres, nos Églises des Gaules avaient eu la gloire dé consacrer en Occident la formule explicite. Qui, mieux que ne le faisait l’antique Liturgie gallicane, a su depuis chanter cette Assomption plénière, conséquence de la divine et virginale maternité, et comme elle apportant joie au monde ? « Ni douleur dans l’enfantement, ni labeur en la mort, ni dissolution au tombeau, nulle tombe ne pouvant retenir celle que la terre n’a point souillée » : ainsi nos pères exprimaient le mystère, et ils s’excitaient à gagner la patrie où nous précède corporellement la Vierge bienheureuse .
Au grand chagrin de plus d’une âme sainte , l’autorité du faux saint Jérôme, survenant à l’heure où se consommait l’abandon de la Liturgie gallicane par les premiers Carlovingiens, déconcerta quelque peu la piété de nos contrées. Mais on n’arrête pas le mouvement qu’il plaît au Saint- Esprit d’imprimer à la foi des peuples. Au XIIIe siècle, les deux princes de la théologie, saint Thomas et saint Bonaventure, s’accordaient pour souscrire au sentiment redevenu général de leur temps, touchant la croyance à la résurrection anticipée de Notre-Dame. Bientôt cette croyance s’imposait, par le fait de son universalité, comme la doctrine même de l’Église ; dès l’année 1497, la Sorbonne déniait la liberté de se produire aux propositions qui s’élevaient à l’encontre, et les frappait de ses plus dures censure]. En 1870, le concile du Vatican, trop tôt suspendu, ne put donner suite au vœu instamment exprimé alors d’une définition qui eût achevé la glorieuse couronne de lumière, œuvre des siècles, hommage de l’Église militante à la Reine des cieux. Mais la proclamation de la Conception immaculée, qui reste acquise à notre temps, encourage nos espérances pour l’avenir. L’Assomption corporelle de la divine Mère se présente désormais comme le corollaire dogmatique, immédiat, d’un dogme révélé : Marie, n’ayant rien connu du péché d’origine, n’a contracté nulle dette avec la mort son châtiment ; c’est librement que, pour se conformer à son Fils, elle a voulu mourir ; et, de même que le saint de Dieu, la sainte de son Christ n’a pu connaître la corruption du tombeau .
Si d’anciens calendriers donnent à la fête de ce jour le titre de Sommeil ou Repos, dormitio, pausatio, de la Bienheureuse Vierge, on ne saurait en conclure qu’au temps où ils furent rédigés, cette fête n’avait pas d’autre objet que la très sainte mort de Marie ; les Grecs, de qui cette expression nous est parvenue, ont toujours compris dans la solennité le glorieux triomphe qui suivit cette mort. Il en est de même des Syriens, des Chaldéens, des Coptes, des Arméniens.
Chez ces derniers, conformément à l’usage qu’ils ont de rattacher leurs fêtes à un jour précis de la semaine, et non au quantième du mois, l’Assomption est fixée au Dimanche qui se rencontre entre le 12 et le 18 août. Précédée d’une semaine de jeûnes, elle donne son nom à la série des autres Dimanches qui la suivent, jusqu’à l’Exaltation de la sainte Croix en septembre.
A Rome, l’Assomption ou Dormitio de la sainte Mère de Dieu apparaît au VIIe siècle, comme célébrée depuis un temps qu’on ne saurait définir ; on ne voit pas qu’elle y ait eu jamais d’autre jour propre que le quinzième du mois d’août. Au rapport de Nicéphore Calliste], c’est la même date que lui assignait pour Constantinople, à la fin du VIe siècle, l’empereur Maurice ; or, comme entre plusieurs autres solennités dont l’historien rappelle au même lieu l’origine, celle de la Dormitio est la seule dont il dise qu’elle ait été, non pas établie, mais fixée par Maurice à tel jour, de savants auteurs en ont tiré la conclusion de la préexistence de la fête elle-même à l’édit impérial : celui-ci n’aurait eu pour but que de mettre un terme à certaine diversité d’usage quant au jour où elle était célébrée
C’était le temps où, bien loin de Byzance, nos pères, les Francs Mérovingiens, célébraient au 18 janvier la glorification de Notre-Dame avec cette plénitude de doctrine que nous avons rapportée. Quelle que puisse être l’explication du choix de ce jour, il est à noter qu’aujourd’hui encore les Coptes des bords du Nil annoncent dans leur synaxaire, au 21 du mois de Tobi, qui répond à notre 28 janvier, le Repos de la Vierge Marie, Mère de Dieu, et l’Assomption de son corps au ciel ; ils reprennent du reste cette annonce au 16 de Mesori, 21 août, et c’est également au premier de ce mois de Mesori qu’ils commencent leur carême de la Mère de Dieu, comprenant quinze jours comme celui des Grecs
Il est des auteurs qui ont fait remonter la fête de l’Assomption de Notre-Dame aux Apôtres eux-mêmes. Le silence des monuments primitifs de la Liturgie favorise peu leur sentiment. L’hésitation sur la date qu’il convenait d’attribuer à cette fête, la liberté laissée longtemps à son sujet, paraissent manifester plutôt dans sa première institution l’initiative spontanée des Églises diverses, à l’occasion de quelque fait attirant l’attention sur le mystère ou l’ayant mis en plus grand jour. De cette sorte a pu être, vers l’an 451, la relation partout répandue dans laquelle Juvénal de Jérusalem exposait à l’impératrice sainte Pulchérie et à son époux Marcien l’histoire du tombeau, vide de son précieux dépôt, que les Apôtres préparèrent pour Notre-Dame au pied du mont des Oliviers. Les paroles suivantes de saint André de Crète, au VIIe siècle, font bien voir la marche un peu indécise à l’origine qui résulta de telles circonstances pour la nouvelle solennité ; né à Damas, moine à Jérusalem, puis diacre de Constantinople, avant de ceindre enfin la couronne des pontifes dans l’île célèbre d’où lui resta son nom, il n’est personne qui soit mieux en mesure que notre Saint de parler en connaissance de cause pour l’Orient : « La solennité présente, dit-il, est pleine de mystère, ayant pour objet de célébrer le jour où s’endormit la Mère de Dieu ; elle s’élève plus haut, cette solennité, que le discours ne peut atteindre ; il n’a pas été tout d’abord, ce mystère, célébré par plusieurs, mais tous maintenant l’aiment et l’honorent. A son sujet, le silence précéda longtemps le discours, l’amour maintenant divulgue l’arcane. On doit manifester le don de Dieu, non l’enfouir ; on doit le présenter, non comme récemment découvert, mais comme ayant recouvré sa splendeur. Quelques-uns de ceux qui furent avant nous ne le connurent qu’imparfaitement : ce n’est pas une raison de se taire toujours ; il ne s’est pas totalement obscurci : proclamons-le, et faisons fête. Qu’aujourd’hui s’unissent les habitants des cieux et ceux de la terre, qu’une soit la joie de l’ange et de l’homme, que toute langue tressaille et chante Je vous salue à la Mère de Dieu » .
Nous aussi, faisons honneur au don de Dieu ; soyons reconnaissants à l’Église de ce que la glorieuse Assomption n’a pas subi chez nous le sort de tant d’autres fêtes, au commencement de ce siècle , et nous trouve toujours unis à nos frères de la terre comme à ceux du ciel pour chanter Marie.
Les Psaumes et l’Hymne des Vêpres sont les mêmes que ceux des autres fêtes de Notre-Dame. Les Antiennes, le Capitule et le Verset rendent avec une grâce infinie le mystère du jour.
Lorsque le temps vint pour la Bienheureuse Marie de quitter la terre, les Apôtres furent rassemblés de tous les pays ; et ayant connu que l’heure était proche, ils veillaient avec elle. Or le Seigneur Jésus arriva avec ses Anges, et il reçut son âme. Au matin, les Apôtres levèrent son corps et le placèrent dans le tombeau. Et de nouveau vint le Seigneur, et le saint corps fut élevé dans une nuée »
A ce témoignage de notre Grégoire de Tours répondent l’Occident et l’Orient, exaltant « la solennité de la nuit bienheureuse qui vit la Vierge vénérée faire au ciel son entrée triomphante » . — « Quelle lumière éclatante perce ses ombres ! » dit saint Jean Damascène ; et il nous montre l’assemblée fidèle se pressant avide, durant la nuit sacrée, pour entendre les louanges de la Mère de Dieu .
Comment Rome, si dévote à Marie, se fût-elle ici laissée vaincre ? Au témoignage de saint Pierre Damien, son peuple entier passait la nuit glorieuse dans la prière, les chants, les visites aux diverses églises ; au dire des privilégiés qu’éclairait la lumière céleste, plus grande encore était, à cette heure bénie, la multitude des âmes délivrées du lieu des tourments par la Reine du monde et visitant elles aussi les sanctuaires consacrés à son nom ]. Mais la plus imposante des démonstrations de la Ville et du monde était la litanie ou procession mémorable dont l’origine première remonte au pontificat de saint Sergius (687-701) ; jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle, elle ne cessa point d’exprimer, comme Rome seule sait faire, l’auguste visite que reçut de son Fils Notre-Dame au solennel instant de son départ de ce monde.
On sait que deux sanctuaires majeurs représentent dans la Ville éternelle la résidence et comme les palais de la Mère et du Fils : la basilique du Sauveur au Latran, celle de Marie sur l’Esquilin ; comme cette dernière s’honore de posséder le portrait de la Vierge bénie peint par saint Luc, le Latran garde dans un oratoire spécial, saint entre tous, l’image non faite de main d’homme où sont tracés sur bois de cèdre les traits du Sauveur . Or, au matin de la Vigile de sainte Marie , le Pontife suprême accompagné des cardinaux venait nu-pieds découvrir, après sept génuflexions, l’image du Fils de la Vierge. Dans la soirée, tandis que la cloche de l’Ara cœli donnait du Capitole le signal des préparatifs prescrits par les magistrats de la cité, le Seigneur Pape se rendait à Sainte-Marie-Majeure, où il célébrait les premières Vêpres entouré de sa cour. Aux premières heures de nuit, étaient de même chantées au même lieu les Matines à neuf Leçons.
Cependant, une foule plus nombreuse d’instant en instant se presse sur la place du Latran, attendant le retour du Pontife. De toutes parts débouchent les divers corps des arts et métiers, venant sous la conduite de leurs chefs occuper le poste assigné pour chacun. Autour de l’image du Sauveur, en son sanctuaire, se tiennent les douze portiers chargés de sa garde perpétuelle, et tous membres des plus illustres familles ; près d’eux prennent place les représentants du sénat et du peuple romain.
Mais le cortège papal est signalé redescendant l’Esquilin. Partout, quand il paraît, brillent les torches tenues à la main ou portées sur les brancards des corporations. Aidés des diacres, les cardinaux soulèvent sur leurs épaules l’image sainte qui s’avance sous le dais, escortée dans un ordre parfait par l’immense multitude. A travers les rues illuminées et décorées , elle gagne, au chant des psaumes, au son des instruments, l’ancienne voie Triomphale, contourne le Colisée, et, passant sous les arcs de Constantin et de Titus, s’arrête pour une première station sur la voie Sacrée , devant l’église appelée Sainte-Marie Mineure ou la Neuve Pendant qu’on chante dans cette église, en l’honneur de la Mère, de nouvelles Matines à trois Leçons, des prêtres lavent avec de l’eau parfumée dans un bassin d’argent les pieds du Seigneur son Fils, et répandent sur le peuple cette eau devenue sainte. Puis l’image vénérée se remet en marche et parcourt le Forum au milieu des acclamations, jusqu’à l’église de Saint-Adrien ; d’où revenant gravir les rampes de l’Esquilin par les rues des églises de cette région, Saint-Pierre-aux-Liens, Sainte-Lucie, Saint-Martin-aux-Monts, Sainte-Praxède, elle fait enfin son entrée sur la place de Sainte-Marie-Majeure. Alors redoublent les applaudissements, l’allégresse de cette foule, où tous, hommes, femmes, grands et petits, lisons-nous dans un document de 1462 , oubliant la fatigue d’une nuit entière passée sans sommeil, ne se lassent pas jusqu’au matin de visiter, de vénérer le Seigneur et Marie. Dans la glorieuse basilique parée comme une fiancée, le solennel Office des Laudes célèbre la rencontre du Fils et de la Mère, et leur union pour l’éternité.
Le ciel montra souvent par d’insignes miracles la complaisance qu’il prenait à cette manifestation de la foi et de l’amour du peuple romain. Pierre le Vénérable et d’autres irrécusables témoins mentionnent le prodige renouvelé chaque année des torches qui, brûlant toute la nuit, se retrouvaient au lendemain du même poids que la veille. L’an 847, au moment où, présidée par saint Léon IV, la procession passait près de l’église de Sainte-Lucie, un serpent monstrueux, qui d’une caverne voisine terrorisait les habitants, fut mis en fuite sans que depuis lors on le revît jamais ; c’est en souvenir de cette délivrance, que la fête reçut le complément de l’Octave dont jusque-là elle était dépourvue . Quatre siècles plus tard, sous l’héroïque pontificat de Grégoire IXe du nom, le cortège sacré venait de s’arrêter selon l’usage au vestibule de Sainte-Marie-la-Neuve, lorsque des partisans de l’excommunié Frédéric II, occupant non loin la tour des Frangipani, se mirent à crier : « Voici le Sauveur, vienne l’empereur ! » mais soudain la tour s’écroula, les broyant sous ses ruines .
Revenons à l’auguste basilique, où nous rappellent d’autres souvenirs. Une autre nuit nous vit dans son enceinte célébrer joyeux l’enfantement divin. Ineffables harmonies ! C’est donc à l’heure où pour la première fois Marie pressa sur son sein l’Enfant-Dieu dans l’étable, qu’elle s’éveille elle-même dans les bras du Bien-Aimé au plus haut des deux. L’Église, qui lit en ce mois les Livres de la Sagesse éternelle, est bien inspirée de réserver à cette nuit le Cantique sacré.
L’évêque de Meaux décrit ainsi cette mort : « La divine Vierge rendit son âme sans peine et sans violence entre les mains de son Fils. Il ne fut pas nécessaire que son amour s’efforçât par des mouvements extraordinaires. Comme la plus légère secousse détache de l’arbre un fruit déjà mûr, ainsi fut cueillie celte âme bénie, pour être tout d’un coup transportée au ciel ; ainsi mourut la divine Vierge par un élan de l’amour divin : son âme fut portée au ciel sur une nuée de désirs sacrés. Et c’est ce qui fait dire aux saints Anges : Qui est celle-ci, qui s’élève comme la fumée odoriférante d’une composition de myrrhe et d’encens ? Belle et excellente comparaison, qui nous explique admirablement la manière de cette mort heureuse et tranquille. Cette fumée odoriférante que nous voyons s’élever d’une composition de parfums, n’en est pas arrachée par force, ni poussée dehors avec violence : une chaleur douce et tempérée la détache délicatement, et la tourne en une vapeur subtile qui s’élève comme d’elle-même. C’est ainsi que l’âme de la sainte Vierge a été séparée du corps : on n’en a pas ébranlé tous les fondements par une secousse violente ; une divine chaleur l’a détachée doucement du corps, et l’a élevée à son bien-aimé »
Il restait pour quelques heures à notre monde, ce corps sacré « trésor de la terre, en attendant qu’il devînt la merveille des cieux » . Qui nous dira les sentiments des augustes personnages réunis par le Fils de Marie pour rendre à sa Mère en son nom les devoirs suprêmes ? Un illustre témoin, Denys d’Athènes, rappelait à Timothée, présent comme lui alors, les discours qui, de ces cœurs remplis de l’Esprit-Saint, montèrent comme autant d’hymnes à la bonté toute-puissante par laquelle notre faiblesse fut divinisée. Là étaient Jacques, frère du Seigneur, et Pierre le coryphée, et les pontifes du collège sacré, et tous les frères venus pour contempler le corps qui avait donné la Vie et porté Dieu ; entre tous, après les Apôtres, se distinguait le bienheureux Hiérothée, ravi loin de la terre et de lui-même, en sublime communion avec l’objet de sa louange, semblant à tous un chantre divin .
Mais l’assemblée de ces hommes en qui régnait la divine lumière, avait compris qu’elle devait suivre jusqu’au bout les intentions de celle qui dans la mort était restée la plus humble des créatures. Porté par les Apôtres, escorté par les Anges du ciel et les saints de la terre, le corps virginal fut conduit de Sion vers la vallée de Gethsémani, où si souvent, depuis l’agonie sanglante, Notre-Dame avait ramené ses pas et son cœur. Une dernière fois, « Pierre, joignant ses mains vénérables, étudie les traits divins de la Mère du Sauveur ; son regard, plein de foi, cherche à découvrir, à travers les ombres de la mort, quelques rayons de la gloire dont resplendit déjà la reine des cieux » . Jean, le fils adoptif, jette un long, un dernier et douloureux regard sur le visage si calme et si doux de la Vierge. La tombe se referme ; c’en est fait pour la terre de ce spectacle dont elle n’était plus digne.
Plus heureux, les Anges, dont le marbre du monument ne saurait arrêter le regard, veillent près de cette tombe. Ils continuent leurs chants jusqu’à l’heure où, après trois jours, la très sainte âme de la divine Mère étant descendue pour reprendre son corps sacré, ils s’éloignent eux-mêmes en l’accompagnant vers les cieux. Nous aussi donc, en haut les cœurs ! Oublions aujourd’hui notre exil, pour applaudir au triomphe de Marie ; et sachons la rejoindre un jour à l’odeur de ses parfums.
Faisons nôtre cette antique formule qui se disait à Rome sur le peuple assemblé, au moment du départ de la litanie solennelle que nous avons rappelée.
A LA MESSE.
Quel est ce Roi de gloire ? demandaient, au jour de la triomphante Ascension, les gardiens des portes éternelles ; et leur question, répétée dans le Psaume par deux fois , l’était une troisième en Isaïe s’écriant au nom des habitants des cieux : Quel est celui qui vient d’Édom dans la beauté de sa robe empourprée, dans l’élan de sa force victorieuse ? Or, au Cantique sacré, trois fois comme pour le Fils se manifeste au sujet de la Mère le ravissement des célestes Principautés.
Quelle est celle-ci, qui s’avance comme l’aurore à son lever ? Et cette première demande admirative est suscitée par la naissance de Marie en laquelle prend fin la nuit du péché.
Quelle est celle-ci, qui monte par le désert comme une vapeur embaumée de toutes sortes de parfums] ? Et cette deuxième expression de l’étonnement angélique a pour objet l’incomparable vie de la Vierge, où se rencontrent tous les progrès, d’où se dégagent tous les arômes des vertus.
Quelle est celle-ci, qui s’élève du désert inondée de délices, appuyée sur son bien-aimé ? Et c’est là, vue des cieux, la sortie du tombeau de la Vierge bienheureuse.
Elle a rempli sa mission, accompli l’oracle, brisé la tête du serpent maudit . De son cortège montent à nouveau vers les gardiens des remparts du ciel les paroles du psaume de triomphe : Ouvrez vos portes . Ainsi disait prophétiquement, en figure d’elle, Judith victorieuse : Ouvrez vos portes, car Dieu est avec nous, car il a signalé sa puissance
Et voici que se lèvent derechef, en effet, les portes éternelles. Du moindre au plus grand, tous les bienheureux habitants des hauteurs s’avancent à la rencontre de celle qui monte de notre humble vallée . Plus démonstrative est la joie parmi les neuf chœurs, qu’elle ne le fut en Israël au jour où David introduisit l’arche figurative dans la cité sainte
Faisons écho à l’allégresse des cieux. Que le solennel Introït de la fête soit pour nous la marche triomphale accompagnant l’entrée de Marie dans la vraie Sion. Le psaume d’épithalame, qui joint ses Versets à l’Antienne mélodieuse, est le trait d’union des chants du Sacrifice avec la lecture faite cette nuit du Cantique sacré.
L’Oraison demande le pardon et le salut par l’intercession de la Mère de Dieu. Son peu de rapport apparent au mystère de la solennité pourrait surprendre, si l’on oubliait qu’elle n’est que la deuxième Collecte de ce jour au Sacramentaire ; la première, que nous avons donnée plus haut, se disait au moment de la première réunion des fidèles, et elle proclame expressément l’impuissance de la mort à retenir Marie dans ses liens.
ÉPÎTRE.
Lecture du livre de la Sagesse. Eccli. XXIV.
J’ai cherché partout le repos, et j’ai voulu demeurer dans l’héritage du Seigneur. Alors le Créateur de toutes choses m’a parlé et fait connaître sa volonté ; et lui, qui m’a créée, s’est reposé dans mon tabernacle. Et il m’a dit : « Habitez en Jacob, et qu’Israël soit votre héritage, et prenez racine dans mes élus ». Et c’est ainsi que je me suis affermie dans Sion. J’ai donc trouvé mon repos dans la cité sainte, et ma puissance est établie dans Jérusalem. J’ai pris racine dans le peuple honoré du Seigneur, dans le peuple héritage de mon Dieu, et ma demeure est dans la plénitude des Saints. Je me suis élevée comme le cèdre au Liban, comme le cyprès de la montagne de Sion. Je me suis élevée comme le palmier en Cadès, et comme en Jéricho les plants des rosiers. Je me suis élevée comme un bel olivier dans la plaine, comme le platane sur les places au bord des eaux. J’ai donné mon parfum comme le cinnamome et le baume odorant ; comme une myrrhe de choix j’ai donné ma senteur.
L’Épître qu’on vient de lire est en relation étroite avec l’Évangile qui va suivre. Le repos recherché de Marie est celui de la meilleure part, le repos de l’âme en la présence du Pacifique, qui trouve lui-même dans cette âme pacifiée la part préférée de son héritage [86]. Nulle créature ne s’est approchée au point où l’a fait Notre-Dame de la paix où vit dans son éternité immuable la tranquille Trinité ; aussi nulle autre n’a mérité de devenir autant qu’elle le lieu du repos divin. Or, nulle activité ne saurait atteindre à l’excellence, à l’abondance des fruits d’une âme en laquelle le Seigneur se repose, parce qu’elle-même se repose en lui ; car ce repos est celui de l’Époux. Lorsque le Seigneur aura donné le sommeil à ses bien-aimés, alors apparaîtra leur fécondité, dit le Psaume [87].
Nous tous, devenus les fils de Marie au jour où le Seigneur se reposa dans son tabernacle, comprenons ce que la magnificence des expressions de l’éternelle Sagesse nous révèle de sa gloire en ce jour de triomphe. La branche sortie de la tige de Jessé ne porte point seulement la fleur divine sur laquelle s’est reposée la plénitude de l’Esprit-Saint [88] ; elle a racine dans les élus, appelant du ciel en leurs rameaux la sève qui transforme leur nature et divinise leurs fruits. Ces fruits de Jacob et d’Israël, ces œuvres delà vie chrétienne ordinaire ou de la vie des parfaits, sont donc aussi le bien et la richesse de la divine Mère. Aujourd’hui l’éternelle Sion, la cité sanctifiée, le peuple glorifié, héritage du Seigneur, la voient entrer à juste droit dans le repos sans fin où sa puissance s’affirmera d’autant plus en Jérusalem, que les Saints lui feront à jamais hommage de leur plénitude.
Mais combien cette plénitude des Saints rassemblés est elle-même dépassée par la plénitude des mérites personnels de Marie ! Autant le cèdre du Liban domine les fleurs de la plaine, autant et plus, après son Fils divin, Notre-Dame s’élève par delà toute sainteté créée. « Les arbres auxquels est comparée dans cette Épître la Bienheureuse Vierge en son exaltation, dit le Docteur angélique, peuvent être considérés comme représentant les divers ordres des bienheureux. Le sens de ce passage est donc que Marie, ayant eu les mérites de tous, a été exaltée par delà les Anges, les Patriarches et les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, par delà tous les Saints » [89].
Le Psaume XLIVe, dont les accents d’épithalame ont retenti déjà au Verset d’Introït, se poursuit au Graduel. La terre y chante les perfections qui ont mérité à l’Épouse l’appel du Roi des cieux. Dans le Verset, l’armée des Anges nous est montrée saluant l’entrée de sa Reine.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. X.
En ce temps-là, Jésus entra dans un certain village, et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. Or, elle avait une sœur nommée Marie ; et celle-ci, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se dépensait pour le détail du service, et, s’arrêtant, elle dit : Seigneur, n’avez-vous pas souci de ce que ma sœur me laisse servir seule ? Dites-lui donc qu’elle m’aide. Et répondant, le Seigneur lui dit : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et embarrassez de beaucoup de choses. Pourtant une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.
Autrefois dans la Liturgie romaine [90] comme aujourd’hui encore chez les Grecs et les Mozarabes, l’Évangile du jour se continuait sans transition par ces versets d’un autre chapitre de saint Luc : Comme il disait ces choses, une femme élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles qui vous ont nourri ! Et Jésus dit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent [91] !
Cette addition ramenait la pensée vers Notre-Dame ; mais l’épisode de Marthe et de sa sœur dans l’Évangile du jour n’en restait pas moins mystérieux. Écoutons saint Bruno d’Asti résumer l’explication instructive qui nous est donnée de ce choix par la tradition. « Ces deux femmes sont, dit-il, les chefs de l’armée sainte ; c’est elles que suit le peuple entier des élus. Les uns vont après Marthe, les autres après Marie ; mais nul n’arrive à la patrie, qu’il ne suive ou celle-ci ou celle-là. Aussi les saints Pères ont-ils à bon droit statué que cet Évangile serait lu dans la fête principale de la Bienheureuse Vierge, parce que c’est elle que signifient les deux sœurs ; elle s’élève entre toutes les créatures, comme ayant plus qu’aucune réuni les privilèges des deux vies, à savoir l’active et la contemplative. Comme Marthe, et bien mieux, elle a reçu le Christ : elle l’a reçu, non pas dans sa maison seulement, mais dans son sein ; elle l’a servi davantage, l’ayant conçu, mis au monde, porté dans ses bras. Comme Marie, d’autre part, elle écoutait sa parole, et de plus la conservait pour nous tous en son cœur [92] ; elle contemplait son humanité, elle pénétrait aussi et plus que personne sa divinité. Elle a donc bien choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée » [93].
Or donc, poursuit saint Bernard, « Celui qu’elle reçut à son entrée dans cet humble monde, la reçoit en ce jour au seuil de la cité sainte. Point de lieu ne se trouva sur terre plus digne du Fils de Dieu que le sein de la Vierge ; point de trône plus sublime au ciel que celui où le Fils de Marie la fait asseoir à son tour. De part et d’autre bienheureuses réceptions, ineffables toutes deux, parce que toutes deux elles dépassent la pensée ! Qui racontera la génération du Fils [94]), l’assomption de la Mère [95] ? »
A l’honneur de la Mère et du Fils, conformons nos mœurs aux enseignements évangéliques. Lorsqu’en nous Marthe se trouble, quand elle s’égare dans ses multiples sollicitudes, sachons la rappeler à l’unité de Marie. Soit en lui-même, soit dans ses membres, le Seigneur mérite seul d’arrêter notre pensée ; la valeur de toute chose, l’importance que nous devons dès lors lui attribuer dans notre conduite, se mesure à son rapport plus ou moins immédiat avec Dieu ou sa gloire. Que telle soit en tout la règle de nos appréciations : et la paix qui surpasse tout sentiment gardera nos intelligences et nos cœurs [96].
Aujourd’hui Marthe, l’Église de la terre, laissée seule aux combats, aux labeurs, se plaint de son abandon. Mais le Seigneur prend parti pour Marie, et lui confirme la meilleure part. Il est, à n’en pas douter, grande fête au ciel parmi les esprits angéliques : l’Offertoire revient à nouveau sur les démonstrations de leur allégresse auprès du Seigneur.
Ne laissons pas pourtant un sentiment de regret jaloux assombrir notre âme. Marie, comme tout passager de ce monde, a dû quitter la terre ; mais, dans la gloire, elle prie pour nous. C’est ce qu’exprime la Secrète.
Si vous m’aimiez, disait le Seigneur à ses disciples au moment de les quitter, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père [97]. Nous qui aimons Notre-Dame, réjouissons-nous de ce qu’elle va vers son Fils. Comme le chante l’Antienne de Communion, la meilleure part, qu’elle a choisie, lui est assurée pour jamais.
Le pain sacré, que nous devons à Marie, nous reste toujours. Puisse-t-il, avec son intercession, nous garantir contre tous maux !
AUX SECONDES VÊPRES.
Les Antiennes, les Psaumes, le Capitule, l’Hymne et le Verset, sont les mêmes qu’aux premières Vêpres, à l’exception de l’Antienne de Magnificat.
Après l’Oraison de la fête, on fait mémoire [98] d’un saint Confesseur, St Hyacinthe, qui fut assez heureux que d’être appelé au ciel au jour même du triomphe de Notre-Dame. L’Église, pour le mieux célébrer, a remis sa propre fête au lendemain de celle de Marie.
Aujourd’hui, dans toutes les églises de France, a lieu la procession solennelle instituée en souvenir et confirmation du vœu par lequel Louis XIII dédia le royaume très chrétien à la Bienheureuse Vierge.
Par lettres données à Saint-Germain-en-Laye, le 10 février 1638, le pieux roi déclarait consacrer à Marie sa personne, son état, sa couronne, ses sujets. « Nous enjoignons à l’archevêque de Paris, disait-il ensuite, que tous les ans, le jour et fête de l’Assomption, il fasse faire commémoration de notre présente déclaration à la grande Messe qui se dira en son église cathédrale, et qu’après les Vêpres dudit jour il soit fait une procession en ladite église, à laquelle assisteront toutes les compagnies souveraines et le corps de ville avec pareille cérémonie que celle qui s’observe aux processions plus solennelles. Ce que nous voulons aussi être fait en toutes les églises tant paroissiales que celles des monastères de ladite ville et faubourgs, et en toutes les villes, bourgs et villages dudit diocèse de Paris. Exhortons pareillement tous les archevêques et évêques de notre royaume, et néanmoins leur enjoignons de faire célébrer la Messe solennelle en leurs églises épiscopales, et autres églises de leurs diocèses ; entendant qu’à ladite cérémonie les cours de parlement et autres compagnies souveraines, les principaux officiers des villes y soient présents. Nous exhortons lesdits archevêques et évêques... d’admonester tous nos peuples d’avoir une dévotion particulière à la Vierge, d’implorer en ce jour sa protection, afin que sous une si puissante patronne notre royaume soit à couvert de toutes les entreprises de ses ennemis ; qu’il jouisse longuement d’une bonne paix ; que Dieu y soit servi et révéré si saintement, que nous et nos sujets puissions arriver heureusement à la dernière fin pour laquelle nous avons tous été créés ; car tel est notre plaisir ».
A nouveau donc, le royaume de France s’affirmait le royaume de Marie. Moins d’un mois après la première fête célébrée conformément aux royales prescriptions, le 5 septembre 1638, naissait d’une union stérile vingt ans celui qui fut Louis XIV. Lui-même devait renouveler la consécration à Marie de la couronne et du sceptre de France [99]. L’Assomption demeura, elle est toujours, pour ceux que ne séduisent pas des dates de révolte et d’assassinat, la fête nationale du pays.
Voici les prières spéciales qui se dirent tous les ans jusqu’à la chute de la monarchie, en exécution du vœu de Louis XIII. Nous donnons l’Oraison dans son texte primitif.
NTIENNE. | |
Sub tuum præsidium confugimus, sancta Dei Gemtrix : nostras deprecationes ne despicias in necessitatibus ; sed a periculis cunctis libera nos semper, Virgo gloriosa et benedicta. | Nous avons recours à votre protection sainte Mère de Dieu : dans nos besoins ne méprisez pas nos prières ; mais délivrez-nous toujours de tous maux, Vierge glorieuse et bénie. |
V/. Deus judicium tuum regi da et justitiam tuam filio regis. | V/. O Dieu, donnez au roi votre science du jugement et au fils du roi celle de votre justice. |
R/. Judicare populum tuum in justitia et pauperes tuos in judicio. | R/. Pour juger votre peuple dans l’équité et vos pauvres dans la droiture. |
ORAISON. | |
Deus, regum et regnorum rex, moderator et custos, qui Unigenitum Filium tuum, Beatissimæ Virginis Mariæ filium, et ei subjectum esse voluisti, famuli tui christianissimi Francorum regis, fidelis populi et totius regni sui vota, secundo favore prosequere, ut qui ejusdem se Virginis imperio manciparit, et ipsius servituti devota sponsione consecrant, perennis in vita tranquillitatis ac pacis et æternæ libertatis in cælo præmia consequantur. Per eumdem. |
Dieu, roi des rois et des royaumes, leur guide et leur gardien, vous qui avez donné comme fils à la bienheureuse Vierge Marie votre propre Fils unique et le lui avez soumis : accueillez favorablement les vœux de votre serviteur le très chrétien roi des Francs, de son peuple fidèle et de tout le royaume ; ils se soumettent eux-mêmes à l’empire de cette bienheureuse Vierge, ils se dévouent, s’engagent et se consacrent à son service : puissent-ils en retour obtenir, durant cette vie la tranquillité et la paix, au ciel l’éternelle liberté. Par le même Jésus-Christ, notre Seigneur.
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Nous ne devons pas omettre de rappeler que la Hongrie fut de même consacrée à la Mère de Dieu par son premier roi, saint Étienne. Le présent jour y prit dès lors l’appellation du jour de la grande souveraine, dies Magnœ Dominae. Marie reconnut la piété de l’apostolique prince : ce fut le 15 août 1038, qu’il échangea pour la couronne des cieux son trône de la terre : nous le retrouverons sur le Cycle au deuxième jour de septembre. Au XVIe siècle, on vit en plusieurs lieux les Luthériens continuer après leur apostasie d’observer l’Assomption de la bienheureuse Vierge, que les populations n’eussent pas laissé supprimer. La coutume d’un grand nombre d’églises d’Allemagne était, comme en font foi leurs Bréviaires et Missels, de célébrer durant trente jours consécutifs par des réunions et des chants le triomphe de Marie.
Tressons notre couronne liturgique à Marie glorifiée. Par où mieux commencer que par ces fleurs de si parfait, de si plein arôme, que le sol gaulois fit surgir aux premiers jours ? On verra que dans la Messe du 18 janvier, d’où elles sont prises, nos pères célébraient à la fois la maternité de Notre-Dame et son triomphe.
Vous avez goûté la mort, ô Marie ! Mais son sommeil, comme le sommeil d’Adam aux premières heures du monde, n’a été qu’une extase mettant en présence l’Époux et l’Épouse. Comme le sommeil de l’Adam nouveau au grand jour du salut, il appelait aussi le réveil de la résurrection. Déjà, par le Christ Jésus, notre nature, dans la totalité de son être, âme et corps, régnait aux cieux ; mais, comme au paradis du premier jour, il n’était point bon que l’homme fût seul sous le regard de la Trinité sainte . A la droite de Jésus paraît aujourd’hui la nouvelle Ève , en tout semblable au chef divin dans le vêtement de sa chair glorifiée ; rien ne manque plus au paradis de l’éternité.
O Marie, qui, selon l’expression de votre dévot serviteur, Jean Damascène, avez rendu la mort bienheureuse et joyeuse, détachez-nous de cette terre où rien ne saurait plus nous retenir. Nous vous avons accompagnée de nos vœux] ; nous vous avons suivie, du regard de l’âme, aussi loin que l’ont permis les bornes de notre mortalité : et maintenant, nos yeux pourront-ils jamais se reporter sur ce monde de ténèbres ? Vierge bénie, pour sanctifier l’exil, pour nous aider à vous rejoindre, assurez-nous le secours des vertus dont le vol sublime vous a portée à ces hauteurs. En nous aussi, il faut qu’elles règnent ; en nous aussi, il faut qu’elles brisent la tête du serpent maudit : pour qu’un jour, en nous aussi, elles triomphent. O jour des jours, où l’espérance de Job sera pour nous dépassée , où nous verrons non point seulement le Rédempteur, mais la Reine qui se tient si près du Soleil de justice qu’elle en est revêtue, éclipsant de son éclat les splendeurs des Saints !
L’Église, il est vrai, nous reste, ô Marie, l’Église elle aussi notre Mère, et qui poursuit votre lutte contre le dragon aux sept têtes odieuses. Mais elle aussi soupire après l’heure où lui seront données les ailes d’aigle qui lui permettront de s’élever comme vous par le désert, et d’atteindre l’Époux. Voyez-la parcourant comme la lune à vos pieds ses phases laborieuses ; entendez les supplications qu’elle vous adresse comme à sa médiatrice auprès du Soleil divin : que par vous elle reçoive la lumière ; que par vous elle mérite faveur auprès de Celui qui vous a aimée, revêtue de gloire, couronnée de beauté .
La fête.
La fête de la Dormition ou de l’Assomption de la Mère de Dieu au ciel est probablement la plus ancienne des fêtes mariales, car, très longtemps avant les conciles de Chalcédoine et d’Éphèse, elle apparaît comme d’usage universel et commun, non seulement chez les catholiques, mais aussi parmi les sectes dissidentes ou dans de très anciennes églises nationales comme celle des Arméniens et des Éthiopiens. Il est probable que la dédicace, à Rome, de la basilique major de Sainte-Marie sur l’Esquilin le 5 août au temps du pape Libère (352-366), ou de Sixte III, a elle-même quelque relation avec la fête de l’Assomption qui, bien que célébrée le 18 janvier dans le rit gallican, le 16 dans le rit copte, était fixée selon l’usage byzantin à la mi-août, date qui fut retenue définitivement ensuite par l’empereur Maurice au temps de saint Grégoire le Grand.
Quelle que soit d’ailleurs l’origine de cette solennité, il est certain qu’à Rome la fête existait bien longtemps avant le pape Serge, car, nous l’avons déjà dit, ce pontife, pour l’entourer d’une plus grande splendeur, décida qu’à cette occasion on ferait chaque année une procession solennelle, de la basilique de Saint-Adrien sur le Forum à Sainte-Marie-Majeure où le Pape célébrait la messe stationnale. Il prescrivit une cérémonie semblable pour la Purification, la Nativité et l’Annonciation de la Mère de Dieu, s’inspirant probablement de l’usage des Byzantins qui, depuis quelques siècles déjà, célébraient ces solennités. Léon IV établit, vers 847, que la fête de l’Assomption serait précédée à Rome de la veillée solennelle (vigile) du clergé et du peuple dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure ; et pour le jour de l’octave il prescrivit que la station serait célébrée hors la porte Tiburtine dans la basilique maior en l’honneur de la Vierge, érigée par le pape Sixte III devant l’abside de l’église constantinienne de Saint-Laurent.
Nous connaissons encore l’ordre de la solennelle procession stationnale établie du temps de Serge Ier. De bon matin le peuple, portant des cierges allumés et chantant des antiennes et de pieuses litanies, se rendait à l’église de Saint-Adrien, où on attendait l’entrée du Pontife. A peine celui-ci arrivait-il à cheval du Latran, lui et ses sept diacres laissaient leurs vêtements habituels et prenaient les lugubres pænulæ de pénitence, puis la procession commençait. Devant, marchaient sept porte-croix, puis venait le peuple priant, et enfin le clergé palatin et le Pontife escorté de deux acolytes soutenant des flambeaux avec les torches allumées selon l’usage impérial romain. Suivaient un sous-diacre, balançant l’encensoir des parfums, puis deux autres porte-croix chargés chacun d’une précieuse croix stationnale ; enfin le cortège se terminait par la Schola des chantres, composée des enfants de 1’’orphanotrophium, qui alternaient avec le clergé le chant des antiennes et des litanies appropriées à la circonstance. Quand cet interminable défilé arrivait enfin vers l’aurore à Sainte-Marie-Majeure, le Pape et ses diacres se retiraient d’abord dans le secretarium pour changer de vêtements et se préparer à la célébration de la messe, tandis que le reste du clergé et le peuple, humblement prosternés devant l’autel, comme cela se fait aujourd’hui encore le Samedi saint, chantaient pour la troisième fois la litanie ternaire des saints, c’est-à-dire en répétant trois fois chaque invocation.
Par la suite, ce rite vigilial, composé de processions nocturnes, d’antiennes, de croix et de cierges, rite si différent de l’habituelle pannuchis romaine, et qui accuse pour cette raison une origine orientale, eut un immense développement et devint l’une des solennités les plus caractéristiques de la Rome médiévale. Au Xe siècle, le Pape et le Collège des cardinaux, le matin de la vigile de l’Assomption, se rendaient pieds nus dans l’oratoire de Saint-Laurent, appelé aujourd’hui Sancta Sanctorum au Latran, où l’on conservait, entre autres reliques, l’antique image du Sauveur qu’on disait avoir été soustraite jadis à la destruction des Iconoclastes à Constantinople. Ce tableau était, à Rome, en grande vénération ; aussi le Pontife, avant d’ouvrir les portes du tabernacle qui le gardait, faisait, avec ceux qui étaient présents, sept génuflexions. A l’apparition de la sainte image, selon une ordonnance de saint Léon IV, on entonnait l’hymne Te Deum ; le Pape montait alors sur l’estrade préparée dans ce but, et baisait d’abord les pieds du Sauveur, puis déposait le tableau sur la table du saint autel.
Dans l’après-midi, tout le haut clergé du patriarchium du Latran se rendait, en compagnie du Pontife, à Sainte-Marie-Majeure pour y célébrer les vêpres. Puis on prenait un sobre repas qui était d’ailleurs l’unique réfection permise en ce jour de jeûne rigoureux. Au coucher du soleil se terminait ce repas frugal, et le clergé papal se retirait pour prendre un peu de repos dans les salles du palais voisin.
Au chant du coq, le Pape était debout de nouveau avec son clergé et tous retournaient dans la basilique luxueusement illuminée et toute ornée de tentures, pour y célébrer en présence du peuple innombrable l’office vigilial. Celui-ci, selon l’usage romain des plus grandes solennités, se composait de deux offices de matines, suivies des psaumes habituels des laudes qui devaient être chantés à l’apparition de la lumière. L’offrande du divin sacrifice mettait fin à cette longue cérémonie.
Au XIe siècle, ce rite avait subi quelques modifications. Ce n’était plus le Pape mais les cardinaux qui, au soir du 14 août, allaient retirer de la chapelle de Saint-Laurent au Sancta Sanctorum l’image du Sauveur, et la conduisaient en triomphe sur la vaste place qui s’ouvrait alors devant le Patriarchium du Latran.
La vénérable image était escortée par douze portiers tenant des cierges allumés ; suivait, le sous-diacre régionnaire avec la croix stationnale ; puis venaient le clergé palatin, le primicier avec la Schola des chantres, le préfet de la Ville avec une délégation de douze autres membres de la commune, et enfin une foule immense de peuple qui, cette nuit, avait abandonné les quartiers de la Cité pour se porter au Latran. Du Patriarchium, la procession se dirigeait vers la basilique de Sainte-Marie-la-Neuve, près de la Voie sacrée sur le Forum, dont l’on célébrait la solennité titulaire, et en cette splendide matinée d’août, tandis que le soleil levant dorait les monts Albains, ce devait être assurément un spectacle digne de la Ville éternelle qu’offrait la procession triomphale du Rédempteur et de son Église, en ces lieux, sous ces mêmes arcs de victoire, le long de ces portiques et de ces antiques amphithéâtres dédiés à Titus, à Domitien et à Vespasien, et qui rappelaient trois siècles de persécution et de sang généreusement répandu pour la confession du Christ.
La vénérable image du divin Rédempteur était momentanément déposée sous le portique de Sainte-Marie-la-Neuve, où le clergé, en signe d’adoration, répandait sur les pieds du Sauveur des essences parfumées extraites de la plante appelée vulgairement basilic. Puis la Schola des chantres entrait dans la basilique et commençait l’office du matin, tandis que les fidèles, pour ne pas attendre paresseusement la fin de cette psalmodie, s’emparaient pour un moment de la sainte image, et, à bras d’hommes, au chant de psaumes et d’hymnes d’action de grâces, la transportaient dans la basilique voisine de Saint-Adrien. Là se répétait la cérémonie du lavement des pieds du Sauveur, avec de nouveaux parfums, jusqu’à ce que, à la fin de l’office du matin, le cortège se reformât, pour se diriger cette fois vers Sainte-Marie-Majeure, où se célébrait la messe stationnale de l’Assomption de la sainte Vierge.
Au Xe siècle, l’imagination populaire avait étrangement transformé l’histoire de Rome impériale, et dans tous ces majestueux vestiges d’antiques monuments qui encombraient alors le Capitole et le voisinage des forums impériaux, la légende ne voyait que d’horribles cavernes de basilics et de reptiles qui avaient jadis empoisonné de leur seul souffle pestiféré les étourdis qui étaient passés par là. La foi énergique du moyen âge sentait donc le besoin de s’affirmer avec force devant ces trophées qui rappelaient le règne diabolique de l’idolâtrie de Rome impériale ; c’est pourquoi les rituels romains des XIe et XIIe siècles prescrivaient à la procession de passer près de l’arc dit de Latone, et devant la domus Orphei, l’antique fontaine ornée de la statue du poète thrace, afin que le peuple romain fût délivré des influences diaboliques par les supplications de si nombreux fidèles et grâce à l’intercession de la puissante Mère de Dieu.
Le cortège étant enfin arrivé à Sainte-Marie-Majeure, après une nuit si féconde en grandes émotions, le Pape célébrait la messe stationnale et donnait la bénédiction au peuple fatigué par le jeûne et par la veillée. C’est la raison pour laquelle, selon l’ancien rit romain, dans l’après-midi des fêtes solennelles, à l’exception de Pâques, on ne célébrait pas les secondes Vêpres, laissées exclusivement à la dévotion des moines. Plus tard seulement, c’est-à-dire quand les vigiles nocturnes tombèrent en désuétude, le rit romain finit par admettre la célébration des secondes vêpres, mais généralement le Pape n’y prenait aucune part.
Pour compléter ce tableau de la fête de l’Assomption au moyen âge à Rome, voici un poème du début du XIe siècle, où est décrite la solennelle veillée des Romains en l’honneur de l’Assomption de la sainte Vierge. Il est important, parce qu’il supplée à quelques lacunes des Ordines Romani eux-mêmes. Nous en empruntons le texte à des mélanges cassiniens ] du même siècle.
A LA MESSE.
Quel est ce Roi de gloire ? demandaient, au jour de la triomphante Ascension, les gardiens des portes éternelles ; et leur question, répétée dans le Psaume par deux fois [ l’était une troisième en Isaïe s’écriant au nom des habitants des cieux : Quel est celui qui vient d’Édom dans la beauté de sa robe empourprée, dans l’élan de sa force victorieuse ] ? Or, au Cantique sacré, trois fois comme pour le Fils se manifeste au sujet de la Mère le ravissement des célestes Principautés.
Quelle est celle-ci, qui s’avance comme l’aurore à son lever? Et cette première demande admirative est suscitée par la naissance de Marie en laquelle prend fin la nuit du péché.
Quelle est celle-ci, qui monte par le désert comme une vapeur embaumée de toutes sortes de parfums ? Et cette deuxième expression de l’étonnement angélique a pour objet l’incomparable vie de la Vierge, où se rencontrent tous les progrès, d’où se dégagent tous les arômes des vertus.
Quelle est celle-ci, qui s’élève du désert inondée de délices, appuyée sur son bien-aimé? Et c’est là, vue des cieux, la sortie du tombeau de la Vierge bienheureuse.
Elle a rempli sa mission, accompli l’oracle, brisé la tête du serpent maudit. De son cortège montent à nouveau vers les gardiens des remparts du ciel les paroles du psaume de triomphe : Ouvrez vos portes. Ainsi disait prophétiquement, en figure d’elle, Judith victorieuse : Ouvrez vos portes, car Dieu est avec nous, car il a signalé sa puissance .
Et voici que se lèvent derechef, en effet, les portes éternelles. Du moindre au plus grand, tous les bienheureux habitants des hauteurs s’avancent à la rencontre de celle qui monte de notre humble vallée . Plus démonstrative est la joie parmi les neuf chœurs, qu’elle ne le fut en Israël au jour où David introduisit l’arche figurative dans la cité sainte .
Faisons écho à l’allégresse des cieux. Que le solennel Introït de la fête soit pour nous la marche triomphale accompagnant l’entrée de Marie dans la vraie Sion. Le psaume d’épithalame, qui joint ses Versets à l’Antienne mélodieuse, est le trait d’union des chants du Sacrifice avec la lecture faite cette nuit du Cantique sacré.
L’Oraison demande le pardon et le salut par l’intercession de la Mère de Dieu. Son peu de rapport apparent au mystère de la solennité pourrait surprendre, si l’on oubliait qu’elle n’est que la deuxième Collecte de ce jour au Sacramentaire ; la première, que nous avons donnée plus haut, se disait au moment de la première réunion des fidèles, et elle proclame expressément l’impuissance de la mort à retenir Marie dans ses liens.
ÉPÎTRE.
Lecture du livre de la Sagesse. Eccli. XXIV.
J’ai cherché partout le repos, et j’ai voulu demeurer dans l’héritage du Seigneur. Alors le Créateur de toutes choses m’a parlé et fait connaître sa volonté ; et lui, qui m’a créée, s’est reposé dans mon tabernacle. Et il m’a dit : « Habitez en Jacob, et qu’Israël soit votre héritage, et prenez racine dans mes élus ». Et c’est ainsi que je me suis affermie dans Sion. J’ai donc trouvé mon repos dans la cité sainte, et ma puissance est établie dans Jérusalem. J’ai pris racine dans le peuple honoré du Seigneur, dans le peuple héritage de mon Dieu, et ma demeure est dans la plénitude des Saints. Je me suis élevée comme le cèdre au Liban, comme le cyprès de la montagne de Sion. Je me suis élevée comme le palmier en Cadès, et comme en Jéricho les plants des rosiers. Je me suis élevée comme un bel olivier dans la plaine, comme le platane sur les places au bord des eaux. J’ai donné mon parfum comme le cinnamome et le baume odorant ; comme une myrrhe de choix j’ai donné ma senteur.
L’Épître qu’on vient de lire est en relation étroite avec l’Évangile qui va suivre. Le repos recherché de Marie est celui de la meilleure part, le repos de l’âme en la présence du Pacifique, qui trouve lui-même dans cette âme pacifiée la part préférée de son héritage. Nulle créature ne s’est approchée au point où l’a fait Notre-Dame de la paix où vit dans son éternité immuable la tranquille Trinité ; aussi nulle autre n’a mérité de devenir autant qu’elle le lieu du repos divin. Or, nulle activité ne saurait atteindre à l’excellence, à l’abondance des fruits d’une âme en laquelle le Seigneur se repose, parce qu’elle-même se repose en lui ; car ce repos est celui de l’Époux. Lorsque le Seigneur aura donné le sommeil à ses bien-aimés, alors apparaîtra leur fécondité, dit le Psaume .
Nous tous, devenus les fils de Marie au jour où le Seigneur se reposa dans son tabernacle, comprenons ce que la magnificence des expressions de l’éternelle Sagesse nous révèle de sa gloire en ce jour de triomphe. La branche sortie de la tige de Jessé ne porte point seulement la fleur divine sur laquelle s’est reposée la plénitude de l’Esprit-Saint ; elle a racine dans les élus, appelant du ciel en leurs rameaux la sève qui transforme leur nature et divinise leurs fruits. Ces fruits de Jacob et d’Israël, ces œuvres delà vie chrétienne ordinaire ou de la vie des parfaits, sont donc aussi le bien et la richesse de la divine Mère. Aujourd’hui l’éternelle Sion, la cité sanctifiée, le peuple glorifié, héritage du Seigneur, la voient entrer à juste droit dans le repos sans fin où sa puissance s’affirmera d’autant plus en Jérusalem, que les Saints lui feront à jamais hommage de leur plénitude.
Mais combien cette plénitude des Saints rassemblés est elle-même dépassée par la plénitude des mérites personnels de Marie ! Autant le cèdre du Liban domine les fleurs de la plaine, autant et plus, après son Fils divin, Notre-Dame s’élève par delà toute sainteté créée. « Les arbres auxquels est comparée dans cette Épître la Bienheureuse Vierge en son exaltation, dit le Docteur angélique, peuvent être considérés comme représentant les divers ordres des bienheureux. Le sens de ce passage est donc que Marie, ayant eu les mérites de tous, a été exaltée par delà les Anges, les Patriarches et les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, par delà tous les Saints »].
Le Psaume XLIVe, dont les accents d’épithalame ont retenti déjà au Verset d’Introït, se poursuit au Graduel. La terre y chante les perfections qui ont mérité à l’Épouse l’appel du Roi des cieux. Dans le Verset, l’armée des Anges nous est montrée saluant l’entrée de sa Reine.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. X.
En ce temps-là, Jésus entra dans un certain village, et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. Or, elle avait une sœur nommée Marie ; et celle-ci, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se dépensait pour le détail du service, et, s’arrêtant, elle dit : Seigneur, n’avez-vous pas souci de ce que ma sœur me laisse servir seule ? Dites-lui donc qu’elle m’aide. Et répondant, le Seigneur lui dit : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et embarrassez de beaucoup de choses. Pourtant une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.
Autrefois dans la Liturgie romaine comme aujourd’hui encore chez les Grecs et les Mozarabes, l’Évangile du jour se continuait sans transition par ces versets d’un autre chapitre de saint Luc : Comme il disait ces choses, une femme élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles qui vous ont nourri ! Et Jésus dit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent Cette addition ramenait la pensée vers Notre-Dame ; mais l’épisode de Marthe et de sa sœur dans l’Évangile du jour n’en restait pas moins mystérieux. Écoutons saint Bruno d’Asti résumer l’explication instructive qui nous est donnée de ce choix par la tradition. « Ces deux femmes sont, dit-il, les chefs de l’armée sainte ; c’est elles que suit le peuple entier des élus. Les uns vont après Marthe, les autres après Marie ; mais nul n’arrive à la patrie, qu’il ne suive ou celle-ci ou celle-là. Aussi les saints Pères ont-ils à bon droit statué que cet Évangile serait lu dans la fête principale de la Bienheureuse Vierge, parce que c’est elle que signifient les deux sœurs ; elle s’élève entre toutes les créatures, comme ayant plus qu’aucune réuni les privilèges des deux vies, à savoir l’active et la contemplative. Comme Marthe, et bien mieux, elle a reçu le Christ : elle l’a reçu, non pas dans sa maison seulement, mais dans son sein ; elle l’a servi davantage, l’ayant conçu, mis au monde, porté dans ses bras. Comme Marie, d’autre part, elle écoutait sa parole, et de plus la conservait pour nous tous en son cœur ; elle contemplait son humanité, elle pénétrait aussi et plus que personne sa divinité. Elle a donc bien choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée » .
Or donc, poursuit saint Bernard, « Celui qu’elle reçut à son entrée dans cet humble monde, la reçoit en ce jour au seuil de la cité sainte. Point de lieu ne se trouva sur terre plus digne du Fils de Dieu que le sein de la Vierge ; point de trône plus sublime au ciel que celui où le Fils de Marie la fait asseoir à son tour. De part et d’autre bienheureuses réceptions, ineffables toutes deux, parce que toutes deux elles dépassent la pensée ! Qui racontera la génération du Fils [, l’assomption de la Mère[ ? »
A l’honneur de la Mère et du Fils, conformons nos mœurs aux enseignements évangéliques. Lorsqu’en nous Marthe se trouble, quand elle s’égare dans ses multiples sollicitudes, sachons la rappeler à l’unité de Marie. Soit en lui-même, soit dans ses membres, le Seigneur mérite seul d’arrêter notre pensée ; la valeur de toute chose, l’importance que nous devons dès lors lui attribuer dans notre conduite, se mesure à son rapport plus ou moins immédiat avec Dieu ou sa gloire. Que telle soit en tout la règle de nos appréciations : et la paix qui surpasse tout sentiment gardera nos intelligences et nos cœurs .
Aujourd’hui Marthe, l’Église de la terre, laissée seule aux combats, aux labeurs, se plaint de son abandon. Mais le Seigneur prend parti pour Marie, et lui confirme la meilleure part. Il est, à n’en pas douter, grande fête au ciel parmi les esprits angéliques : l’Offertoire revient à nouveau sur les démonstrations de leur allégresse auprès du Seigneur.
Ne laissons pas pourtant un sentiment de regret jaloux assombrir notre âme. Marie, comme tout passager de ce monde, a dû quitter la terre ; mais, dans la gloire, elle prie pour nous. C’est ce qu’exprime la Secrète.
Si vous m’aimiez, disait le Seigneur à ses disciples au moment de les quitter, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père . Nous qui aimons Notre-Dame, réjouissons-nous de ce qu’elle va vers son Fils. Comme le chante l’Antienne de Communion, la meilleure part, qu’elle a choisie, lui est assurée pour jamais.
Le pain sacré, que nous devons à Marie, nous reste toujours. Puisse-t-il, avec son intercession, nous garantir contre tous maux !