Le Parisien: Enquête sur 40 ans de terrorisme islamiste
10 Novembre 2019
Rédigé par mim-nanou75.over-blog.com et publié depuis
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Enquête sur 40 ans de terrorisme islamiste
Quantifier et localiser précisément le phénomène, de ses origines en 1979 à nos jours, pour tenter de mieux le comprendre. C’est le travail auquel s’est livrée depuis plus d’un an la Fondation pour l’innovation politique. Voici en exclusivité les résultats de cette étude.
C'est un voyage de quarante ans dans l'horreur du terrorisme islamiste. Un voyage dans le temps et dans l'espace. De l'assassinat d'un responsable religieux à Téhéran le 27 décembre 1979 par un groupe chiite jusqu'à une explosion à Dacca au Bangladesh le 31 août, revendiquée par l'Etat islamique. Au total, l'étude menée par la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol, un laboratoire d'idées français d'inspiration « libérale, progressiste et européen ») a compilé les données associées à 33 769 attentats islamistes commis dans 81 pays entre fin 1979 et fin août 2019. Ils auraient provoqué la mort d'au moins 167 096 personnes dans le monde, dont 317 en France. Une estimation basse, puisque certains attentats, lointains et anciens, sont trop peu connus, quand d'autres ont été perpétrés au nom de causes imbriquées les unes aux autres. « Seuls les attentats commis pour une motivation islamiste clairement identifiée ont été retenus », prévient Victor Delage, responsable des études du Fondapol.
Mais au fond, pourquoi se livrer à un tel décompte ? « Cette étude inédite a pour ambition de documenter de manière objective un phénomène, le terrorisme islamiste, qui occupe une grande place dans le débat public, sans qu'on puisse exactement le décrire. Or, il est important de savoir précisément de quoi on parle », pose Dominique Reynié, directeur général du Fondapol.
Qu'est-ce qu'un attentat islamiste ? La définition retenue est celle d'un usage illégal de la force et de la violence, par un acteur non étatique, visant, par la terreur, à l'instauration d'un ordre politique et social fondé sur la religion musulmane interprétée dans un sens fondamentaliste.
Au printemps,« Le livre blanc et noir du terrorisme en Europe »avait déjà recensé les victimes d'attentats sur le Vieux Continent, mais en mêlant tous les types d'attentats et en se concentrant sur la période 2000-2018.
L'Afghanistan, berceau du djihadisme international
Cette fois, le travail de généalogie plonge jusqu'aux racines profondes du terrorisme islamiste, l'Afghanistan, berceau du djihadisme international. A cette époque, en décembre 1979, l'invasion militaire par l'URSS précipite l'arrivée sur place de « moudjahidin », considérés alors comme des « libérateurs d'une terre d'islam ». Ils sont financés en partie par la CIA. Dans le contexte de la Guerre froide, les Etats-Unis n'ont qu'une seule ambition : transformer l'Afghanistan en un nouveau Viêt Nam pour l'Armée rouge.
Mais les Américains échouent à maîtriser leurs créatures monstrueuses. Après l'effondrement du bloc soviétique, en 1991, les moudjahidin « désœuvrés » essaiment un peu partout, de la Tchétchénie à l'Algérie en passant par la Syrie, l'Egypte et l'ex-Yougoslavie. On assiste alors à la « floraison » de filières terroristes dotées d'une expérience militaire et d'une doctrine élaborée en Afghanistan.
1986, 1995, la France touchée par vagues
Un peu plus tôt, au cours des années 1980, les conflits nationalistes au Moyen-Orient ont pris une tournure islamiste. En Palestine comme au Liban, principal foyer de violence terroriste à cette époque. Le 23 octobre 1983 à Beyrouth, un double attentat fait 299 victimes, dont 58 parachutistes français. Ces profondes turbulences s'exportent jusqu'à Paris, où une série de six attentats se produit en septembre 1986. Celui du 17 septembre, devant le magasin Tati de la rue de Rennes, fait sept morts et 55 blessés. Il est revendiqué par une organisation se réclamant du Hezbollah libanais.
Le nationalisme arabe a échoué, la décolonisation est achevée, la cogestion du monde par l'URSS et les Etats-Unis est elle-même terminée. L'islamisme profite alors de l'espace laissé vacant. Il se diffuse notamment dans le chaos de l'Algérie, en proie à la guerre civile. Au cours de cette décennie noire 1990-1999, l'étude du Fondapol recense 542 attentats et au moins 2390 victimes du terrorisme en Algérie. Dontles sept moines français de Tibéhirine, assassinés au printemps 1996.
La France elle-même paye un lourd tribut au contexte algérien avec une nouvelle vague d'attentats entre juillet et octobre 1995. Le 25 juillet, à 17h30, l'explosion d'une bombe dans le RER ligne B à la station Saint-Michel fait huit morts et 117 blessés.Khaled Kelkal, petit délinquant de la banlieue lyonnaise devenu terroriste, est l'un des membres du réseau à l'origine de cet attentat. Il est abattu par les gendarmes fin septembre. Le Groupe islamique armé (GIA) finit par revendiquer cette série d'attaques parisiennes.
Le tournant du 11-Septembre
L'histoire du terrorisme islamiste et l'histoire du monde basculent le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, à New York, Washington et en Pennsylvanie. Des pirates de l'air prennent le contrôle de quatre avions de ligne et exécutent les attentats les plus meurtriers jamais recensés (3001 morts et 16 493 blessés recensés). Internet, alors émergent, offre immédiatement une caisse de résonance mondiale à cette tragédie. Et fournit ensuite à Oussama ben Laden,le chef d'Al-Qaida, un puissant outil de ralliement et de recrutement, y compris au sein des minorités musulmanes des pays occidentaux.
Au cours des années suivantes, l'Afghanistan est à feu et à sang. Pas une semaine ne passe sans que les fondamentalistes talibans ne déclenchent un attentat. Au total, 2536 attaques sont recensées entre 2001 et 2012, faisant au moins 8054 morts, toujours selon les résultats de l'étude du Fondapol.
Mais le djihad ne se contente pas de frapper son berceau. Désormais aidé par la force du Web, il diffuse son idéologie mortifère à une vitesse folle et fait des ravages jusqu'en Thaïlande, aux Philippines et en Somalie. L'Europe aussi est touchée, à Madrid puis à Londres, en 2004 et 2005. La France, elle, reste globalement épargnée en ce début de XXIe siècle. « Seulement » huit attentats sont recensés entre 2001 et 2012 sur le sol français. Huit dont trois sont l'œuvre du seulMohamed Merah, à Toulouse et Montauban en mars 2012. L'événement est reconnu comme un fiasco des services de renseignement français.
L'Etat islamique organisation la plus meurtrière
L'internationale du terrorisme islamiste rentre ensuite dans une phase « industrielle ». Sous la double impulsion de l'organisation Etat islamique (EI) et de Boko Haram, sa « filiale » en Afrique de l'Ouest tenue pour responsable de 2649 attentats (principalement au Nigeria) et plus de 22 000 morts entre 2009 et 2019.
Créé en 2006 dans le contexte de la guerre civile irakienne, l'Etat islamique apparaît de manière spectaculaire sur les radars du terrorisme à partir de 2013. Au total, l'EI et ses différentes branches revendiquent environ 8185 attentats sur la période 2006-2017 pour un bilan estimé à 52 619 morts. Dont les 131 victimes desattentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Deniset les 86 victimes de l'attentat de Nice le 14 juillet 2016.
L'Etat islamiqueest à ce jour l'organisation terroriste islamiste la plus meurtrière de l'histoire, devant les Talibans, Boko Haram et Al-Qaida. Et même sur le déclin, son pouvoir de nuisance n'a toujours pas été réduit à néant.