Ils sont les observateurs aguerris de l'actualité française pour la presse étrangère. Installés dans l'Hexagone, avec la culture et l'histoire de leur pays respectif comme bagages, ces correspondants étrangers relaient hors de nos frontières le mouvement social que notre pays connaît depuis le 5 décembre contre le projet de réforme des retraites.
« Les Français sont jugés comme très bien lotis »
Anaïs Ginori, correspondante pour le quotidien italien La Repubblica (de tendance centre/gauche), est l'une de ces témoins privilégiés qui abordent et racontent ce conflit social « made in France ».
« Nous avons eu en 2011 une réforme des retraites qui a été très impopulaire en Italie, mais le pays n'a pas connu d'actions de blocage comme ici. Les Italiens sont très surpris qu'un mouvement, ayant un tel impact dans la vie des gens, soit accepté. Il y a, chez les Français, comme un mélange de résignation et de respect de cette forme de lutte. C'est comme un orage qu'on ne peut pas éviter », analyse la journaliste franco-italienne.
Depuis 2011, la majorité des salariés italiens devait cotiser jusqu'à 67 ans. Mais la loi a changé, à titre expérimental, début 2019. La nouvelle règle permet aux Italiens, âgés de 62 ans, de partir à la retraite s'ils ont cotisé pendant au moins trente-huit ans. Un texte valable jusqu'à fin 2021. À cette date, l'Italie reviendra, en principe, à l'ancien système. Notons que la majorité des Etats membres ont un âge légal de départ à la retraite aux alentours de 64 ans.
« Les Français sont jugés comme étant encore très bien lotis. Outre l'impact de cette grève sur l'activité générale du pays, c'est aussi le côté reconductible du mouvement qui étonne. Ce côté jusqu'au-boutiste, on ne voit plus en Italie depuis les années 1970-1980 », précise Anaïs Ginori.
« On commençait à croire que la France avait changé »
En Allemagne, « un point intrigue beaucoup : le fait que cette grève soit lancée avant même la présentation du projet de loi, et ce, juste pour éviter une prise de décision du gouvernement. Dans mon pays, il existe une forte culture du dialogue social et politique, la grève ne vient que lorsque les négociations ont échoué », explique Michaela Wiegel, correspondante à Paris du quotidien allemand libéral Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Une autre chose frappe aussi les Allemands, comme les Italiens : ce mélange d'acceptation et de résignation face aux blocages. Et la journaliste allemande de faire la relation entre « un Etat français très dirigiste » et les faibles moyens individuels à disposition pour se faire entendre, d'où cette culture d'opposition devenue un s
téréotype de la France outre-Rhin.
« On commençait à croire que la France avait changé, mais ce vieux cliché d'un pays où le dialogue ne peut se faire, est ravivé en Allemagne depuis cette grève. Cela donne l'image que la France est un partenaire difficilement fiable. » Même son de cloche en Suisse où « on a le sentiment que la France est un pays en permanence en colère où le dialogue social est impossible », juge Richard Werly, du journal genevois Le Temps, conservateur.
« Un mouvement difficile à expliquer aux Américains »
Avec ses 40 années d'expérience parisienne, d'abord pour la chaîne ABC puis pour CNN, Jim Bittermann regarde l'actualité sociale d'un œil toujours aussi interrogatif. « Comme celui de 1995, que j'ai couvert, ce mouvement est compliqué à expliquer aux Américains, surtout après celui des Gilets jaunes. Il y a confusion entre les revendications des uns et des autres. Une telle grève serait impossible outre-Atlantique, où les syndicats ne sont pas aussi forts dans les secteurs comme les transports publics. Les seuls qui peuvent perturber le quotidien américain sont les chauffeurs de poids lourds! »
Aux inquiétudes de ses téléspectateurs - et de ses rédacteurs en chef - sur les « dangers » de venir visiter la capitale française comme touriste, Jim Bittermann répond dans ses reportages par une dose de mesure teintée d'ironie. « Je leur dis qu'ils peuvent venir mais qu'ils devront beaucoup marcher dans les belles rues parisiennes ! Car les clichés restent forts. Les Américains pensent que la France est un paradis, avec son art de vivre et sa culture, et ne comprennent pas pourquoi les Français disent vivre en enfer ! »
« Inspirez-vous des voisins »
« Pourquoi les Français défendent un système qui est déjà mauvais à la base, tandis qu'un meilleur existe à quelques kilomètres de la frontière, aux Pays-Bas ? » tacle le Néerlandais, Stefan de Vries, qui collabore entre autres pour la chaîne de télévision RTL 4. C'est dans le consensus que son pays a connu une réforme à ce sujet cet été. L'âge de départ en retraite est fixé actuellement à 66 ans et 4 mois, mais devrait passer les 67 ans en 2024.
« Bien évidemment, ce mouvement n'est pas salué par mes compatriotes », ajoute-t-il. Et ce dernier d'inviter politiques et syndicats à « prendre le train pour s'instruire et s'inspirer un peu des voisins ». « Comme le Thalys est une entreprise privée, c'est à peu près le seul train qui circule normalement », ironise le journaliste.