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Bienvenue sur mon site Une innovation pour mes anciens lecteurs, désormais je traite de divers sujet, en premier La religion judéo chrétienne signé" Monique Emounah", pour ceux qui ne peuvent se déplacer à l'églises quelques soit la raison, et le lieu de leurs résidences ils peuvent suivre les offices du jour, la politique (LR) et les infos, la poésie et les arts en général. Mes écrits, signé (Alumacom) également mes promos de mes dernières parutions et quelquefois un rappel pour mes anciens écrits. Merci de votre attention,

Histoire de la justice Saint Louis fonde la justice moderne

Histoire de la justice

Saint Louis

fonde la justice moderne

« Selon que vous serez puissant ou misérable – Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Jean de La Fontaine n’a pas été le premier, ni le dernier, à critiquer la justice. Si la justice comme sentiment moral est sans doute innée chez l’humain, la Justice comme institution, avec ses textes et ses procédures complexes, remonte elle-même à l’Antiquité.

Mais c’est seulement au Moyen Âge, en particulier à l’époque de Saint Louis, qu’elle a pris la forme que nous lui connaissons, avec ses défauts mais aussi et surtout ses qualités, n’en déplaise à La Fontaine.

Pierre-Anne Forcadet

La redécouverte des apports antérieurs
 

Rome a inventé le droit, non pas le simple fait d’entretenir des relations juridiques (contracter, posséder, punir…), mais bien le fait de nommer, de catégoriser et de théoriser les rapports entre les hommes, en somme d’en faire une science, un objet d’études et d’analyses.

 

Statue du juriste romain Ulpien (170-vers 223 av. J.-C.) au Palais de justice de Bruxelles.

Deux fragments d'un manuscrit appartenant au Corpus Iuris Civilis (VIe siècle).L’adage ubi societas, ibi jus (« Quand il y a une société, il y a un droit ») convient d’ailleurs que chaque société se crée son corps de règles. Les jurisconsultes romains ont été les premiers à essayer de les comprendre pour les améliorer.

Ils nous ont laissé un immense héritage, notamment grâce aux vastes compilations de Justinien, empereur du VIe siècle, à partir desquelles seront fondées les universités médiévales (Bologne, Orléans…) et qui irriguent encore nos propres codes.

Dans cet acquis immense, la justice, comme institution, tient une place relativement mince, les grands jurisconsultes étant davantage professeurs de droit ou éventuellement avocats que juges. Et ces derniers étant souvent à Rome des particuliers qui arbitraient en dernier ressort, avant que l’Empire n’imposât ses juges, puis ses gouverneurs dans les provinces conquises.

De la même façon, dans l’Antiquité tardive, que les historiens anglo-saxons appellent encore dark ages, les institutions judiciaires ne sont pas au premier plan pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’accent est mis sur les fameuses lois germaniques : la loi salique des Francs, les lois des Burgondes ou des Wisigoths. Selon le principe de personnalité des lois, le juge se devait d’interroger le justiciable sur son ethnie d’origine pour lui appliquer son droit. Mais surtout, le juge n’était pas toujours spécialisé.

Sacre de Philippe V le Long, roi de France, XIVe siècle, Grandes Chroniques de France, Paris, BnF.

Il tient dans la main gauche la Main de Justice.

Il s’agissait sous les Mérovingiens et les Carolingiens du comes civitatis, du comte qui n’était à ce stade qu’un agent du roi, envoyé dans une circonscription de taille comparable à nos départements pour représenter l’autorité dans l’ensemble de ses attributs : certes judiciaire, mais surtout militaire et fiscal. D’aucuns ont donc décrit ces comtes plutôt comme des préfigurations de nos préfets actuels.

La période suivante dite du bas Moyen Âge, elle aussi trop souvent méprisée, n’est pas si sombre et anarchique qu’on le croit. Toutefois, avec le processus par lequel ces mêmes comtes sont devenus indépendants, du fait de l’affaiblissement d’un pouvoir monarchique incapable de maintenir une autorité centrale, la fameuse féodalité (dico) ne fut certes pas propice à une justice rationnelle et professionnelle.

Ses principes sont hérités des mœurs germaniques, hormis une totale décentralisation de l’autorité et donc des inégalités d’une seigneurie à l’autre, notamment la justice par ordalie : cette procédure irrationnelle et très symbolique postule que c’est Dieu qui est censé guider la main du juge et des justiciables. Le plaignant de bonne foi et souvent le coupable ou l’innocent sont donc soumis à des épreuves physiques, qui peuvent parfois être accomplies par des champions choisis pour ce faire.

L'ordalie par l'eau froide, enluminure, XIIe siècle. En agrandissement,  Duel judiciaire, enluminure, XIVe siècle.

Il est toutefois une évolution d’importance datant de cette époque et liée à la hiérarchie féodale : en dehors de la protection des vassaux et des paysans, l’autorité féodale repose sur la justice, prérogative éminente de puissance du seigneur sur son ressort, à l’image des fourches, symbole de haute justice, et du droit de condamner les criminels à mort. Au sommet de la hiérarchie, le roi, à qui l’on reconnaît un ministerium regis depuis les Carolingiens, c’est-à-dire une mission de paix et de justice, se doit donc plus encore que tous ses barons d’avoir des tribunaux et cours de justice opérants.

Jacobello del Fiore, Triptyque de la justice, 1421, Venise, Gallerie dell'Accademia.

La Justice se trouve entre les archanges Michael et Gabriel. En agrandissement, détail du panneau central : la Justice, assise entre deux lions, tient ses attributs.

Saint Louis et les prémices de la magistrature moderne
 

C’est vers le XIIIe siècle que nous voyons poindre réellement les prémices de la justice telle qu’on la connaît aujourd’hui. La royauté des derniers Capétiens en est à l’origine, mais elle doit beaucoup à deux institutions.

Les décrétales de Grégoire IX, vers 1290, Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence. Collection officielle de textes de droit canonique faisant partie du Corpus juris canonici.L’Église tout d’abord, qui, en plus de soutenir la légitimité royale, fournit d’intenses réflexions théologiques, avec par exemple saint Thomas d’Aquin, mais aussi juridiques, avec le Décret de Gratien (mi-XIIe siècle), et les décrétales des papes peu à peu codifiées dans ce qu’on nommera Corpus juris canonici.

En matière de justice, l’Église, qui, paradoxalement, était hostile aux ordalies et au « jugement de Dieu », va créer la procédure inquisitoire (dico) au début du XIIIe siècle. La rupture est d’importance et de grande portée.

La justice germanique et même en partie romaine reposait en effet sur l’accusatoire, c’est-à-dire que le tribunal devait être saisi par une partie pour se mettre en ordre de marche. Le juge avait alors le rôle sommaire de trancher entre deux positions opposées. Les inconvénients étaient le risque de dénonciation calomnieuse ou surtout d’impunité au profit de ceux dont la fama était inattaquable.

À l’inverse, donner une place centrale à l’enquête (inquisitio), désormais rationnelle et appuyée sur les preuves, témoignages ou pièces écrites, permet de mieux réaliser un autre adage romain : « Il est de l’intérêt de la chose publique qu’aucun crime ne reste impuni ».

Saint Antoine de Padoue confesse un Pénitent, vitrail de la basilique Notre-Dame de la Salette (Isère). En agrandissement, la Confession, Pietro Longhi, 1750, Florence, Galleria degli Uffizi.La révolution de l’inquisitoire passe aussi par le culte de l’aveu qui irrigue encore notre culture judiciaire. Michel Foucault a bien montré en effet que le concile de Latran en 1215, qui favorise aussi la confession auriculaire, prône une justice des âmes autant que des corps.

L’effet pervers en sera le développement, plutôt après le XVe siècle, de la torture, qui, avec l’Inquisition espagnole, achève de donner une triste image à ce type de procédure. C’est prendre à tort les abus d’une pratique pour la règle. Nos juges d’instruction, certes créés formellement par Napoléon, sont les héritiers directs des juges-enquêteurs médiévaux.

L’Église apporte enfin une certaine éthique de la défense des plus faibles et démunis. Et cela vaut particulièrement en justice, les veuves ont par exemple différents privilèges de juridiction et les clercs eux-mêmes évidemment bénéficient du privilège du for, c’est-à-dire qu’ils ont le droit de n’être jugés que par les tribunaux ecclésiastiques.

La naissance de l’avocat 
La professionnalisation médiévale de la justice ne passe pas seulement par les juges. Elle voit aussi apparaître la fonction d’avocat.

 

Yves Hélory, saint patron des professions de justice – un pardon lui est encore consacré à Tréguier tous les ans le 19 mai – fait figure de premier promoteur du métier d’avocat. Mais la pratique ne relève pas que des clercs, les coutumiers tels les Établissements de Saint Louis recommandent la pratique, que l’on appellerait aujourd’hui d’avocat « commis d’office » aux indigents.
Le métier s’organise et est tôt encadré par le roi autour de règles telles la prestation de serment et donc la création de listes d’avocats assermentés (ordonnance de 1344) et le principe de la gratuité des services. Ce dernier reste théorique, la rétribution d’un bienfait est tolérée, mais encore aujourd’hui l’on verse des honoraires et non un salaire à nos défenseurs. La chose est importante pour assoir l’indépendance de l’avocat, il doit avant tout servir le droit et n’être pas le mercenaire de son client. Dès la fin du Moyen Âge, la profession s’organise en corporation (dico) ; ce sont les fameux barreaux avec à leur tête le bâtonnier, qui tient son nom d’une statue de saint Nicolas tenant un bâton dans la chapelle du Palais de justice de Paris.

Autel et retable de Yves Hélory de Kermartin (Yves de Tréguier ou Saint Yves)

dans la chapelle Notre-Dame-de-Kerfons-en-Kerfaouës, commune de Ploubezre, Côtes-d'Armor

. En agrandissement, Basilique San Nicola, Bari, Pouilles, Italie. Statue du saint dans la nef.

L’autre institution majeure qui accompagne la création de la justice au Moyen Âge est l'apparition de l’Université. Elle n’est pas sans lien évidemment avec l’Église qui est à l’origine de ces communautés d’enseignement. Les étudiants, d’autre part, deviennent clercs mais sans vraiment rentrer dans les ordres.

Le phénomène va bien au-delà de cette seule impulsion religieuse et les rois, qui

en perçoivent l’utilité, s’y intéressent de très près. Dès la fin du XIIe siècle, le personnel, dans l’entourage du roi, est régulièrement issu des bancs des universités : celles de droit d’Italie ou du Sud de la France ou celle de théologie de Paris, où un collège pour soutenir les étudiants pauvres est créé par un certain Robert de Sorbon, chapelain de Louis IX, ce patronyme ayant le succès que l’on sait jusqu’à nos jours.

Étudiants en droit de l’Université de Bologne écoutant la leçon de leur Maître, fragments du monument funéraire L’Arche de Giovanni da Legnano des sculpteurs Pier Paolo delle Masegne et Jacobello da Bologna, musée médiéval de Bologne (Italie).

Dès le milieu du XIIIe siècle, sous le règne de Saint Louis, plus d’un tiers des quelques deux cents juges qui statuent régulièrement à la cour sont des « maîtres » c’est-à-dire diplômés des universités et beaucoup sont docteurs, parfois in utroque jure, c’est-à-dire à la fois en droit romain et en droit canon, certains sont même aussi professeurs. Concrètement, ils vont contribuer à la technicité et la sophistication des arrêts du Parlement. La procédure dite romano-canonique est en effet particulièrement savante et fonde une grande partie de nos droits.

Philippe le Bel promulgue une ordonnance en 1312 pour officialiser l’université d’Orléans. Il y affirme que le droit romain n’a pas à s’appliquer en tant que tel en France, mais néanmoins qu’il contribue à former « l’intelligence de la raison ».

Juristes dans un fragment d'un manuscrit enluminé du Corpus juris civilis, vers 1330, Université de Bologne. En agrandissement, bas-relief représentant une réparation publique à l'université et aux religieux augustins par huissiers en 1440, cour École des Beaux Arts, Paris, photographie d'Eugène Atget, 1921, Parus, musée Carnavalet.Les universitaires ne s’en tiennent pas à une simple glose des textes antiques. Ils innovent et beaucoup de préceptes réputés romains viennent plus souvent d’eux en réalité. C’est par exemple le cas de la définition juridique de la propriété reposant sur l’usus, abusus et fructus (le droit d’utiliser la chose, de s’en séparer et d’en tirer les fruits), qui n’existe pas comme telle à Rome.

En justice, l’influence du droit féodal permet ainsi l’apparition des actions possessoires, dites en « nouvelle dessaisine » qui permettent d’agir contre les troubles en matière de propriété, surtout immobilières. Apparaissent alors des procédures et principes aussi variés que l’expertise, y compris médicale, la mise sous séquestre, la descente sur les lieux, la non-rétroactivité des lois… La liste n’est pas exhaustive et d’ailleurs encore largement à enrichir. On est bien loin d’une caricature de Moyen Âge qui verrait régner la loi du plus fort !

Dans cet environnement, la traditionnelle curia regis, la Cour du roi, qui constitue l’entourage du monarque avec les fonctions les plus vastes à l’origine, va petit à petit se spécialiser. Une formation se charge en particulier de la justice à partir du milieu du XIIIe siècle. On l'appellera bientôt Parlement, tout simplement l’endroit où l’on parlemente.

Cette nouvelle institution se fixe à Paris sur l’île de la Cité, près de la Sainte Chapelle, récemment inaugurée, alors que la curia regis a été longtemps itinérante. Elle est constituée d’un personnel stable, de plus en plus nombreux et rémunéré directement par le roi : les « maîtres de la Cour du roi » (le magister en latin, ce qui nous a donné aujourd’hui magistrat) qui sont donc souvent des universitaires, mais en tout cas des techniciens du droit, car les affaires qui se présentent à eux sont de plus en plus complexes.

 

Une justice souveraine


Attribut royal, la justice va donner naissance à un appareil judiciaire toujours plus important, lui-même générateur de procédures, de stratégies juridiques et de corps de métiers spécialisés. Tandis que l’époque où Saint Louis réglait lui-même les litiges entre peu à peu dans la légende dorée de la royauté, l’Ancien Régime finit par accoucher d’une justice qui, devenue un contre-pouvoir, jouera un rôle non négligeable dans sa chute finale.

Pierre-Anne Forcadet


La septiesme leçon chantée par la Justice, Justice suis à tous distributive... , Martial d'Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, 1484, Paris, BnF. Bernardino Mei, Allégorie de la justice, 1656, Stockholm, Nationalmuseum.

Une justice pénale et surtout civile
La justice médiévale et d’Ancien Régime ne se réduit pas au seul droit pénal. Dans les premiers registres d’arrêts du Parlement, seules environ 15% des affaires traitent de violences, viols ou autres crimes et délits. Le gros du contentieux est beaucoup plus « pacifique », il s’agit donc beaucoup de litiges possessoires, en réalité des querelles de voisinage.

Vignette enluminée issue d’un code Justinien glosé, Paris, musée de Cluny. Un homme coupe un arbre planté devant sa maison, car le feuillu risque d’ébranler sa demeure. Sur la gauche, celui qui représente l’autorité lui donne raison.Une dame saisit par exemple le roi pour récupérer une branche tombée sur un chemin qu’elle revendique comme sien. Il s’agit en réalité sans doute d’un arbre et au-delà du cas, évidemment d’asseoir sa compétence sur ledit chemin pour l’avenir.

Cette affaire montre qu’arrivent devant la justice royale non pas seulement les grands procès, les querelles des barons à propos d’un fief par exemple (réglés pacifiquement et non en guerroyant), mais aussi des affaires tout à fait bénignes, portées par des bourgeois des cités et mêmes des communautés de paysans.

Requérir en justice la garantie d’un droit d’usage, de chasse, de bois mort ou de pâturage est chose tout à fait fréquente. Là encore, nous sommes loin du cliché du seigneur nécessairement tyrannique vis-à-vis de ses paysans.

La justice accessible aux recours de quiconque
La procédure est de plus en plus technique et des avocats sont désormais présents, mais il ne s’agit pourtant pas de faire des tribunaux du roi une justice élitiste. La procédure reste longtemps orale, notamment pour ne pas exclure les illettrés.

Les distinctions dans Les Décrétales de Grégoire IX, Henri Bohic, vers 1350-1360, bibliothèque de Tours. En agrandissement, Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, Georges Rouget, 1826, Château de Versailles.

Dans ses conseils de gouvernement à ses enfants, Saint Louis conseille de bien s’attacher à entendre la cause de tout le monde et même en priorité celles présentées contre les puissants. La cour donne ainsi raison à un petit chevalier de Mayenne contre Charles d’Anjou, le propre frère du roi, qui s’était emparé de son château.

L’image d’Épinal du chêne de Vincennes sous lequel le roi entendait les procès de qui souhaitait s’adresser à lui, n’est pas usurpée. Mais il ne faut toutefois pas se laisser abuser par l’impression bucolique qu’elle renvoie.

Ce qu’on oublie trop souvent en effet dans le récit de Jean de Joinville, c’est que le biographe du roi précise que Louis IX recueille la parole des plaignants, mais ne tranche pas sur le champ, il les renvoie ensuite à ses conseillers, qui se trouvent être des juges bien connus de la Cour du roi, tel Pierre de Fontaine, auteur par ailleurs d’un important recueil de droit coutumier.

Saint Louis rend la justice
La justice du roi est accessible, mais elle n’est pas arbitraire et expédiée entre deux portes :
« Souvent, durant l’esté, il s’alloit promener après la messe au bois de Vincennes, et là il s’asseyoit au pied d'un chesne, où tous ceux qui avoient affaire à luy avoient une entière liberté de l'approcher. Il demandoit luy-même s’il n'y avoit point de procès à vider, parloit avec une extrême bonté aux parties et aux avocats, et les faisoit juger par ceux de son conseil qui estoient assis auprès de luy, ou il les jugeoit luy-même. ll faisoit souvent la même chose en son jardin du palais à Paris, assis avec ceux de son conseil sur des tapis. » (L.-S. Lenain de Tillemont, Vie de saint Louis, roi de France, entre 1679 et 1684, d’après l’édition donnée par J. de Gaulle, Paris, 1847-51).

Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, Pierre-Narcisse Guérin, 1816, musée des beaux-arts d'Angers.

Jusqu’à la Révolution, les héritiers du saint roi essaieront, avec des fortunes diverses, de conserver un lien privilégié avec les justiciables. Ces derniers pourront toujours s’adresser directement à l’Hôtel du roi, mêle si celui-ci ne les reçoit presque plus jamais en personne.

Si le roi a  le souci de rendre la justice accessible et d'insister sur sa mission de paix et de résolution des litiges, c'est en vue d’asseoir son autorité sur les juridictions concurrentes.

Dans une large mesure, les justiciables développent en effet des stratégies juridictionnelles en privilégiant les cours qui leur semblent les mieux à même de régler leur affaire, que ce soit les Parlements, l'Hôtel du roi ou quoi que ce soit d'autre. Un historien a appelé le phénomène « consommation de justice » Aux siècles suivants, notons que cette acculturation aux arcanes de la procédure aura des inconvénients, en particulier sur la célérité des procès et finalement avec ce que Racine moquera dans sa pièce, Les Plaideurs, comme des comportements chicaniers.

Les Plaideurs, comédie de Jean Racine illustrées de douze planches gravées d’après les compositions de Jacques de Seve.

Les Plaideurs (Jean Racine, Acte I, scène VII)
Voici le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,
au travers d'un mien pré certain ânon passa,
s’y vautra, non sans faire un notable dommage,
dont je formai ma plainte au juge du village.
Je fais saisir l'ânon. Un expert est nommé,
à deux bottes de foin le dégât estimé.
Enfin, au bout d'un an, sentence par laquelle
nous sommes renvoyés hors de cour. J’en appelle.
Pendant qu’à l'audience on poursuit un arrêt,
remarquez bien ceci, madame, s’il vous plaît,
notre ami Drolichon, qui n'est pas une bête,
obtient pour quelque argent un arrêt sur requête,
et je gagne ma cause. à cela que fait-on ?
Mon chicaneur s’oppose à l'exécution.
Autre incident : tandis qu’au procès on travaille,
ma partie en mon pré laisse aller sa volaille.
Ordonné qu’il sera fait rapport à la cour
du foin que peut manger une poule en un jour :
le tout joint au procès enfin, et toute chose
demeurant en état, on appointe la cause
le cinquième ou sixième avril cinquante-six.
J’écris sur nouveaux frais. Je produis, je fournis
de dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,
rapports d’experts, transports, trois interlocutoires,
griefs et faits nouveaux, baux et procès-verbaux.
J’obtiens lettres royaux, et je m’inscris en faux.
Quatorze appointements, trente exploits, six instances,
six-vingts productions, vingt arrêts de défenses,
arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,
estimée environ cinq à six mille francs.
Est-ce là faire droit? Est-ce là comme on juge ?
Après quinze ou vingt ans! Il me reste un refuge :
la requête civile est ouverte pour moi,
je ne suis pas rendu….

 Justice lisant la lettre de Grâce, Guillaume de Digulleville, Pèlerinage de l'âme, Rennes, XVe siècle, Paris, BnF.

Le roi souverain et la justice d'appel
Le XIIIe siècle est aussi celui de l’apparition d’actes officiels en français, bien souvent dans le domaine judiciaire. Un terme d’une importance immense et voué à un avenir durable fait son apparition sous la plume des coutumiers ou proches du roi : le mot souverain.

Traduction incertaine du latin superanus (« au-dessus »), l’adjectif et bientôt le nom, soveraineté ou souvraineté, ne trouvent application à cette époque-là que pour désigner la supériorité de la justice royale sur les autres juridictions.

Le jurisconsulte Philippe de Beaumanoir remet symboliquement son ouvrage achevé au Christ et à la Vierge, XVe siècle.

Le grand juriste Beaumanoir évoque ainsi le fait que des barons peuvent être souverains, mais que le roi est souverain par-dessus tout et par-dessus chacun, c’est-à-dire que sa Cour peut toujours trancher en dernier ressort.

Le règne de Saint Louis voit apparaître une procédure fondamentale, communément admise aujourd’hui, au titre même des droits de l’homme : le droit de voir sa cause jugée une seconde fois si l’on se plaint du premier jugement. Le double degré de juridiction, plus simplement nommé « appel », est une évolution majeure datant du Moyen Âge et de la procédure royale, inspirée des droits savants et d’une mutation du féodal.

Les conséquences sont politiques car, quand le roi se dote du pouvoir de casser les jugements des barons ou des communes, il s’affirme effectivement comme supérieur, comme souverain en dernier ressort.

D’autant qu’à cela s’ajoute la pratique de la « défaute de droit », quand le roi s’estime compétent également pour juger les causes de ceux à qui on aurait opposé un déni de justice. La mesure est symbolique et prépare à l’adage consacré au début de l’époque moderne : « toute justice émane du roi ».

Il faut compter enfin avec le pouvoir de grâce qui se codifie et devient monopole royal à la fin du Moyen Âge. C’est l’ultime pouvoir régalien qui reste aujourd’hui au président de la République.

Lit de justice du roi Charles VII auprès du parlement de Paris installé à Vendôme, en 1458, miniature de Jean Fouquet pour Des cas des nobles hommes et femmes, de Boccace. En agrandissement, une séance au parlement de Toulouse, in De Tholosanorum Gestis, Nicolas Bertrand, 1515, Archives municipales de Toulouse.

La souveraineté est en somme à la fois le pouvoir de juger et celui de casser tous les jugements, le roi disposant de ce qui est alors appelé par les historiens « justice retenue ». Dès l’époque de Saint Louis, le roi ne peut bien évidemment plus juger toutes les affaires en personne. Les tribunaux royaux sont même rapidement engorgés et victimes de leur succès.

Des parlements de province vont ainsi être créés dans tout le royaume, du XIVe au XVIIIe siècle (Toulouse, Rennes, Pau, Nancy, etc.). Mais leurs officiers vont obtenir progressivement une véritable indépendance statutaire (par la vénalité, autrement dit l'achat de leur charge) et politique (avec les fameuses remontrances).

En prenant de l'importance, les parlementaires vont prétendre rendre une justice souveraine, au même titre que le roi, et non pas seulement un pouvoir que le monarque leur aurait délégué.

Les conflits entre la magistrature et le roi vont en conséquence émailler toute la fin de l’Ancien Régime. Les blocages qui vont en découler et mener tout droit à la Révolution, doivent être perçus à l’aune de cette aporie : les parlements et le roi revendiquent la même légitimité à rendre sur terre la justice divine. C’est l’invention de la Nation et l’apparition du Peuple Souverain avec les états généraux, en 1789, qui mettra fin à ce débat insoluble et délétère.

Domenico Mecarino Beccafumi, La Justice, XVIe siècle, Lille, Palais des Beaux-Arts.

Contre-pouvoirs et État de droit
Aristote prenait comme critère de légitimité le fait que celui qui gouverne ne doit pas le faire pour lui et son entourage, mais pour l’intérêt et le bien du plus grand nombre. L’avantage de la justice, par rapport à la loi, qui n’est jamais qu’un vase que l’on peut remplir de ce que l’on veut, est qu’elle est aussi une vertu, une fin.

Mais Aristote, à nouveau, la définit comme la volonté « d’accorder à chacun ce qui lui est dû ». La formule est une merveille d’ambigüité, en ce qu’elle convient autant à nos sociétés égalitaires reposant sur le mérite, qu’aux sociétés anciennes de privilèges, voire aux sociétés esclavagistes. Elle a même été reprise en dernier ressort par les nazis !

Le seigneur rendant la justice, miniature, XVe siècle, Paris, BnF.

Concrètement, la Justice en tant qu’institution doit être capable d’agir en contre-pouvoir. Dès le Moyen Âge, si le roi peut arbitrer en dernier ressort, en souverain, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’est guidé que par son « bon plaisir ».

Outre ses valeurs chrétiennes, outre les puissances centrifuges, tel le clergé ou les corps intermédiaires, la royauté a assigné à la justice la mission de contrôler sa propre administration dès le XIIIe siècle. Saint Louis a ainsi mis en place ce qui a longtemps été nommé enquêtes administratives, en 1247, avant de partir en croisade. Il s’agissait de parcourir tout le royaume et de donner la parole à quiconque aurait à se plaindre du roi et de ses agents. C'était une préfiguration des cahiers de doléances ou plus anecdotiquement du Grand Débat d’Emmanuel Macron, en 2019.

Cour de justice seigneuriale, XVe siècle, Paris, BnF.

Le roi fut certainement fort marri du succès de l’entreprise, car plusieurs milliers de plaintes sont ainsi remontées à Paris. Coupables de corruption, d’abus de pouvoir, de mise en détention abusive, les baillis, prévôts et sergents royaux ont eu alors à rendre des comptes.

Difficile de savoir si tout fut réellement indemnisé, mais la mesure n’est pas que symbolique : le roi se montre responsable des exactions commises en son nom et plus généralement il s’abaisse à la critique. Car en effet, outre ces enquêtes ponctuelles, le Parlement prend vite un rôle, non seulement on l’a vu de résolution des litiges entre particuliers, mais aussi de justice en quelque sorte administrative.

Némésis, Albrecht Dürer, XVIe siècle, Mougins, musée d'Art classique.  En agrandissement, l'injutice terrassée au pieds du roy, 1600, Paris, BnF

.Au XIIIe siècle, la moitié des procès faits devant la cour sont des procès dirigés contre le roi lui-même, ses impôts, ses empiètements et tous les abus de ses agents. Et ces appels, qui sont portés contre les jugements inférieurs, sont bien fréquemment dirigés contre les juges locaux du roi eux-mêmes. L’administration royale naît avec l’idée qu’elle ne doit pas être toute-puissante.

Le concept d’État de droit est anachronique et insaisissable et laissons-le de côté. Il n'en reste pas moins qu’un État de justice se met en place dans les derniers siècles du Moyen Âge. La monarchie absolue ne le détruira jamais complètement.

Les « philosophes » des Lumières dénoncent à juste titre les abus et l’arbitraire de la justice de leur siècle, mais les scandales pointés ne doivent pas occulter la permanence d’une procédure qui n’a certes pas valeur de libertés fondamentales – la France n’a pas comme l’Angleterre sa Magna Carta – mais qui toutefois apporte des garanties.

Par exemple, toute décision prononçant le recours à la peine de mort remonte en appel automatiquement, c’est-à-dire sans même que le condamné le demande. La torture est également beaucoup plus encadrée qu’on le croit et n’est utilisée, à l’instar de la peine capitale d’ailleurs, qu’avec une grande parcimonie.

Et à nouveau, en dehors du champ criminel, les tribunaux royaux connaissent un succès non démenti. Nos archives contiennent des kilomètres de linéaires de ces centaines de milliers d’arrêts rendus lors de ces longs siècles, une véritable mine pour les historiens !

Archives nationales, Galerie du Parlement.

 

On fait grand cas de l’imprimerie, mais la grande révolution documentaire eut lieu deux siècles avant son invention. Dès la fin du Moyen Âge, s’établissent par milliers des tenues de comptes, des recueils de jurisprudences, des correspondances administratives, des actes normatifs, etc. C’est le Moyen Âge qui a inventé notre bureaucratie française et sa paperasse !

Avec, dans le domaine judiciaire, ses inconvénients telles la lenteur et la complexité, mais aussi ses avantages, à savoir une procédure et une justice sophistiquées qui, malgré la réputation d’arbitraire, donnaient nombre de garanties aux sujets et que les droits de l’Homme et le système moderne ont très largement repris à leur compte.

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