René Rémond est l'un des grands témoins du XXe siècle et des plus avisé de tous les observateurs de la vie politique française.
Il est né à Lons-le-Saunier (Jura) le 30 septembre 1918. Il a été mobilisé au début de la Seconde Guerre mondiale, et a participé à la Résistance. Il a mené de front ses études à l'École normale supérieure et la résistance comme beaucoup d’étudiants. Il obtient son agrégation d’histoire.
Il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris et crée en 1964, à la faculté de Nanterre, la première chaire française d'histoire du XXe siècle.
Intellectuel catholique, très engagé dans sa foi, d'un abord réservé mais franc, René Rémond se dépense sans compter pour ses concitoyens. Il participe au Conseil supérieur de la magistrature de 1975 à 1979.
Il s’intéresse à l'audiovisuel considérant que l’avenir passe par l’audiovisuel.
Il est élu à l'Académie française le 18 juin 1998, au fauteuil de François Furet (1er fauteuil) (sa mort, le 14 avril 2007, a ramené l'illustre académie des Quarante à un effectif de... 32 «Immortels» ; un étiage jamais atteint à ce jour !).
Il est l’observateur dont l’éveil est constant
René Rémond a participé à la commission de réflexion instituée par le gouvernement, sous la présidence de Bernard Stasi, pour préparer la loi sur le voile islamique.
Les dernières années de sa vie, Il a présidé une mission relative au patrimoine. Il est fréquemment intervenu, dans l'enseignement comme dans les médias, sur les aspects politiques et spirituels de l'actualité.
Il a aussi vigoureusement pris parti en faveur de la liberté lorsque les députés se sont mêlés de réécrire l'Histoire (génocides, Arménie, Napoléon, colonisation....). Il a publié à cette occasion un essai percutant : Quand l'État se mêle d'Histoire (Stock, 2006).
Dans cet opuscule il pointe un passage à propos de l'Histoire et des historiens :
«Il est hors de question qu'une oligarchie s'en empare. Mais cette discipline n'en exige pas moins un apprentissage, une familiarité avec ce dont elle rend compte. C'est moins une question de connaissance factuelle que de sensibilité. C'est comme un sixième sens qui fait discerner ce qui, dans l'événement contemporain, est inédit ou répétitif, éphémère ou porteur d'avenir. Ce sixième sens est rarement inné, même si certains y sont peut-être plus prédisposés que d'autres. Il suppose une connaissance approfondie de l'histoire : il ne suffit pas d'être spécialiste d'une période ou d'un pays. A cet égard, la spécialisation croissante des historiens avec la définition de plus en plus étroite des intitulés de chair et la disparition des généralistes m'inquiète. Comment le chercheur enfermé dans sa spécialité serait-il à même de porter un jugement global et circonstancié ?» (Pages 66-67).
Il distingue les droites
Il est à l'origine d'une distinction célèbre entre les «trois droites» franaises :
La religion et la politique d’après René Rémond
En 1998, il publie : Religion et société en Europe (Seuil), cet essai instructif sur la sécularisation des sociétés européennes aux XIXe et XXe siècles, au cœur de ses propres préoccupations.
La sécularisation, il est vrai, n'est pas une idée neuve en Europe !
«Dès Philippe le Bel, l'État s'était affranchi de la tutelle cléricale», rappelle-t-il. En Allemagne, le mouvement remonte à la Querelle des Investitures et à l'affrontement des guelfes et des gibelins... Mais s'agissait-il vraiment de sécularisation au sens actuel ou simplement d'une querelle de préséance entre souverains temporels ?
«Les motivations intellectuelles étaient moins décisives que le souci de faire respecter la souveraineté de l'État», écrit l'historien.
Le 12 juillet 1790, le vote de la Constitution civile du clergé n'est pas a priori scandaleux au regard de la pratique de Philippe le Bel ! «Le Saint-Siège avait abandonné depuis des siècles aux monarques la désignation des évêques. Était-il plus scandaleux de les faire élire par les citoyens ?»
L'historien souligne dans cet essai le rôle grandissant de la papauté (le Magistère) au cours de ces deux siècles. On a peine à imaginer aujourd'hui que, sous l'Ancien Régime, il était fréquent d'ignorer le nom du pape en exercice !
«L'Église catholique en Europe était plus une fédération d'Églises qu'une Église centralisée».
Deux papes à la longévité exceptionnelle, Pie IX et Léon XIII, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ont pris une part essentielle à cet accroissement d'autorité. Les souffrances de Pie VII, prisonnier de Napoléon, ont aussi leur part dans le regain de considération de la papauté.
Dès 1868, le pape Pie IX a pu réunir un concile sans en référer aux gouvernements catholiques de France ou d'Autriche.
En 1881, l'État en finit avec le cloisonnement religieux des cimetières (il impose leur laïcisation) et, en 1885, Victor Hugo soi-même est enterré sans la religion.
Avec a loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, la France, toujours en avance dans la voie de la sécularisation des institutions - et prompte à l'exporter par la force -, conduit le processus à son terme après avoir expérimenté toutes les formules possibles.
«Depuis que s'est produite la rupture entre les idées de la Révolution et les principes du catholicisme, on est conduit à considérer que celui-ci est entraîné vers la défense de l'ordre établi. Ce raidissement, incontestable au XIXe siècle, ne doit pas faire oublier que le catholicisme comporte d'autres virtualités : la plupart de nos pratiques électorales, des règles suivies par nos assemblées délibérantes, ont été inventées et appliquées par les ordres religieux».
Il conclut son essai en faisant le constat : aujourd'hui, l'indifférence, et non plus la laïcité militante, n’est devenue que le moteur de la sécularisation. Ainsi, quand le ministère de l'Éducation fixe les dates des vacances scolaires, c'est en toute ingénuité qu'il prend en compte toutes sortes de critères mais ignore les fêtes catholiques.
La religion serait-elle devenue une affaire strictement privée comme le prédisait Taine ? Le Décalogue serait-il en voie de privatisation selon le mot d'un pasteur anglican ? Ou la religion sera-t-elle encore une force morale propre à instruire les citoyens dans les choix de société ?
René Rémond est un chrétien engagé
En 2005, Il est interpellé par le succès incompréhensible à ses yeux : du Traité d'Athéologie de Michel Onfray. Il publie un livre d'entretiens : Le nouvel antichristianisme (Desclée de Brouwer) dans lequel, en bon historien, il s'efforce d'atteindre le tréfonds du climat mental de notre époque.
Il se souvient que l'expression «judéo-christianisme» très en vogue aujourd'hui, a été inventée par Nietzsche pour disqualifier les racines mentales de la société européenne de son temps et plaider l'avènement d'un surhomme libéré des contraintes.
Il rappelle que l'athéisme et l'anticléricalisme ont fait naguère bon ménage avec la rigueur morale. «Souvenons-nous du rigorisme de certains instituteurs de la IIIe République...» écrit-il.
Dans ce même essai très décapant, il insiste sur la liberté individuelle. L'être humain est responsable de ses actes et n'est pas seulement déterminé par ses gènes. Ainsi écrit-il à l'encontre de ceux qui voient dans Hitler un monstre n'appartenant pas à l'espèce humaine : «Je me sens plus proche de la vision d'un Éric-Emmanuel Schmitt qui, dans son roman La part de l'autre, fait droit au double visage de Hitler et montre que, dans des circonstances différentes, le destin aurait pu tourner autrement pour lui... et notre histoire commune».
Les journalistes du Figaro l’interrogent en avril 2006 sur l’état du christianisme en Europe et la crise des vocations sacerdotales. L’historien, n’est jamais à court d'idées et suggère : «Je suis convaincu que, si les Églises proposaient des engagements pour un temps limité, elles auraient pléthore de vocations. L'époque n'est plus aux choix irrévocables, d'autant que la durée de la vie s'est allongée».
Jusqu'à la fin de sa vie Il est au service de l'histoire
Aux événements contemporains René Rémond contribue à ouvrir l’histoire, en aidant à la constitution en France d’une « histoire du temps présent », notamment avec la création en 1978 de l’Institut d’histoire du temps présent par François Bédarida et la publication d’ouvrages comme les trois volumes de l’Introduction à l’histoire de notre temps dans la collection de poche « Points Histoire » du Seuil (1974), et celle de Notre siècle (1988).
C’est un catholique conciliaire, sans agressivité ni complexes, René Rémond s’inquiétait de « l’appauvrissement du catholicisme en ressources humaines » dont une des conséquences est le repli de l’engagement catholique sur les « besoins de l’Église » au détriment du service de la société. (Citations de son livre Chroniques françaises 1973-2007 (Bayard).
Il décède le 14 avril 2007 (à 88 ans) à Paris
Distinctions
Il est élu en 1998 au premier fauteuil de l’Académie française
Membre de l'Académie de Nîmes
Grand prix national d'histoire, 1988
Grand prix de la ville de Paris pour l'ensemble de son œuvre
Grand prix du ministère de la Culture
Lauréat de la médaille Jan Amos Comenius (République tchèque et Unesco, 1998)
Décorations françaises et étrangères
Grand officier de la Légion d’honneur
Grand-croix de l’Ordre national du Mérite (14 novembre 2006)
Commandeur des Palmes académiques
Commandeur des Arts et des Lettres
Commandeur du Mérite agricole
Commandeur de l’Ordre du Mérite de la République italienne
Commandeur de l’Ordre du Mérite de la République de Pologne
Médaille de la Reconnaissance française