26 Juillet 2021
Klaus Barbie,
attentats du 13 novembre...
La justice sous l'œil des caméras pour:
"garder une trace filmée des grands procès pour l'histoire"
A Lyon, le 11 mai 1987, Klaus Barbie comparait pour crime contre l'Humanité. © Francis Apesteguy/Getty Images
Le procès des attentats du 13-Novembre sera le quinzième en France depuis celui de Klaus Barbie en 1987 à être intégralement filmé pour la constitution d'archives audiovisuelles de la justice, lui conférant avant même qu'il ne débute une qualité historique.
La régie vidéo est déjà installée au fond de la gigantesque et flambant neuve salle d'audience où se déroulera, à partir du 8 septembre et pour environ neuf mois, dans le palais de justice historique de Paris, le procès des pires attentats jamais commis en France. Elle permettra de piloter à distance les huit caméras qui enregistreront l'entièreté des débats, non pas pour les diffuser à la télévision mais pour graver un moment d'Histoire.
"L'enregistrement de ce procès permettra précisément de démontrer devant l'Histoire comment une démocratie a été conduite à juger des accusés pour des faits criminels terroristes", souligne le Premier président de la cour d'appel de Paris Jean-Michel Hayat dans son ordonnance autorisant le filmage.
Dérogation à l'interdiction stricte de photographier et filmer les procès édictée en 1954 après les couvertures sensationnalistes des procès de Marie Besnard et Gaston Dominici (accusés respectivement d'empoisonnement et d'un triple meurtre), cette captation en direct et sans montage est permise par la loi de 1985 pour la constitution d'archives audiovisuelles de la justice.
La France s'apprête alors à juger pour crimes contre l'humanité Klaus Barbie, arrêté en 1983. Le garde des Sceaux Robert Badinter, à l'initiative de la loi, souhaite "garder une trace filmée des grands procès pour l'histoire", à l'image de ceux de 21 dignitaires nazis à Nuremberg (1945-46) et d'Adolf Eichmann à Jérusalem (1961).
Un cadre très précis pour les prises de vue
Le procès Barbie s'ouvre à Lyon le 11 mai 1987 et la récente loi est mise à l'épreuve: "tout le procès est émaillé d'exceptions" au cadre réglementaire qui impose notamment que "la caméra doit être fixe et toujours suivre la personne en train de parler", souligne Martine Sin Blima-Barru, co-commissaire de l'exposition "Filmer les procès, un enjeu social" aux Archives nationales.
L'exposition propose jusqu'au 18 décembre une plongée dans la fabrique de ces documents d'histoire en donnant à voir des extraits issus de huit des quatorze procès filmés pour l'Histoire, soit 2.600 heures de tournage conservées aux Archives nationales.
Dans le montage réalisé à partir des 185 heures d'enregistrement du procès Barbie, on voit la caméra du réalisateur "quitter un moment le visage du président d'assises pour filmer la tribune des parties civiles et le public", "ici un gros plan sur un scellé, là un espèce de fondu", décrit Martine Sin Blima-Barru, responsable du Département de l'archivage électronique et des archives audiovisuelles aux Archives nationales.
Un plan montre même l'entrée dans la salle de Klaus Barbie: une "souplesse" dans la réalisation qui ne se "verra plus par la suite", assure la conservatrice du patrimoine.
Des archives consultables uniquement dans le cadre de recherches
En trente-cinq ans, les caméras n'entreront dans les prétoires qu'à seulement treize autres occasions.
A l'automne 2020, le procès des attentats de janvier 2015 a été le premier filmé en matière de terrorisme. "Pour la première fois" aussi, et ce sera également le cas pour le celui des attentats du 13-Novembre, l'enregistrement réalisé au titre des archives audiovisuelles de la justice était retransmis à l'identique dans les salles annexes du palais de justice.
Scolaires, journalistes, chercheurs "ont vu ce que le public verra dans 50 ans ou ce que les historiens verront dès que la décision sera définitive", souligne Martine Sin Blima-Barru.
Car la loi de 1985 n'a permis qu'un accès très restreint à ces archives filmées aux seuls spécialistes. Elles sont consultables à des fins de recherche historique et scientifique une fois que l'affaire a connu son épilogue judiciaire. Leur diffusion et réutilisation est en principe interdite pendant cinquante ans, sauf à avoir l'autorisation du tribunal judiciaire de Paris.
La perspective de la loi Badinter était de "créer des documents d'histoire", explique la conservatrice du patrimoine. Tout autre est l'optique du projet de loi de l'actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti qui souhaite filmer et diffuser "tous" les procès afin "que la justice s'invite dans les salons des Français". Son texte doit être examiné au Sénat en septembre, à l'heure où sera reposée, avec l'ouverture du procès des attentats du 13-Novembre, la question d'une plus large diffusion de ces audiences historiques.