Françoise Niamien et Jean Charles Putzolu
12 Juillet 2022
Blaise Compaoré, ex-président du Burkina Faso. (AFP or licensors)
Burkina: court séjour controversé de l’ex-chef d’État Blaise Compaoré
L’ancien président burkinabé a regagné samedi 9 juillet la capitale ivoirienne, après un bref séjour à Ouagadougou. Blaise Compaoré s'y est rendu sur invitation du chef de la junte Paul Henri Damiba, dans le cadre de la réconciliation nationale. Seidik Abba, journaliste spécialiste de l’Afrique, revient sur l’initiative prise par le président de la transition, et sur la situation sociopolitique actuelle au Burkina.
Entretien réalisé par Myriam Sandouno - Cité du Vatican
Après un court séjour dans son pays natal, Blaise Compaoré a rejoint, samedi 9 juillet, Abidjan, la capitale ivoirienne. L’ex-chef d’État a participé vendredi 8 juillet à une rencontre, avec l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et le chef de la junte Paul Henri Damiba. À l’issue de la rencontre, le président de la transition a appelé à la «cohésion sociale, au regard de la situation difficile» que traverse le Burkina, en proie à des attaques terroristes.
Ce voyage de Blaise Compaoré, en exil depuis huit ans en Côte d’Ivoire, a suscité des polémiques dans le pays. Il a été condamné le 6 avril dernier pour son implication dans l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. À son arrivée, des voix se sont élevées pour réclamer son arrestation immédiate.
Seidik Abba, journaliste écrivain et spécialiste de l’Afrique, estime «qu’il faut éviter de faire de la menace terroriste un prétexte à tout». À la suite de cette invitation du chef de la junte, «un retour définitif de Blaise Compaoré au Burkina pourrait être envisageable», a-t-il ajouté.
Dans une déclaration publiée vendredi 8 juillet, les anciens présidents Compaoré et Ouédraogo ont appelé au dépassement des clivages politiques, générationnels et ethniques. Blaise Compaoré, président de 1987 à 2014, a été contraint à l’exil en Côte d’Ivoire à la suite d’une insurrection populaire. Son extradition avait été demandé par Ouagadougou ces dernières années. Ce que la Côte d’Ivoire a toujours refusé, avec pour motif, qu’elle n’extrade pas ses ressortissants.
Entretien avec Seidik Abba
https://media.vaticannews.va/media/audio/s1/2022/07/11/12/136638267_F136638267.mp3
Des militaires surveilent un camp de déplacés burkinabés, à Dori, au Burkina Faso, le 3 février 2020. (AFP or licensors)
Françoise Niamien et Jean Charles Putzolu
Onze civils ont été tués au Burkina Faso en début de semaine, victimes de djihadistes présumés, lors d’une attaque contre deux villages. Quelques jours plus tôt, une trentaine de terroristes avaient été abattus lors d’une attaque contre un détachement de l’armée. Ces épisodes de violences sont récurrents dans le pays, qui peine à lutter contre la violence terroriste, quatre mois après le renversement du président Roch Kaboré par un coup d’état militaire.
L’éradication du terrorisme de matrice islamiste était l’objectif de la junte militaire burkinabaise. Sur le terrain, cependant, les opérations particulièrement compliquées coûtent la vie à de nombreux militaires. La population, qui n’avait jusqu'ici pas manifesté de réelle opposition à la prise du pouvoir par l’armée, commence à s’interroger, à en croire l’ancien président de la Commission électorale indépendante. Newton Ahmad Barry se demande si les burkinabés n’ont pas «abandonné la peste pour le choléra», d’autant que l’incertitude persiste sur la durée de la transition politique. Une inquiétude soulignée par les Nations Unies, qui invitaient il y a une semaine encore à accélérer la transition, afin qu'elle réponde aux doléances de la population.
Pour le cardinal Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou, le Burkina ne pourra redresser la tête qu'à travers le dialogue et avec le soutien des organisations africaines et internationales. «C’est une situation très préoccupante non seulement pour le Burkina Faso, mais pour notre sous-région ouest africaine : le Mali, le Niger, le Nigeria ou le Burkina Faso, confrontés aux grands défis de la violence, du terrorisme et du djihadisme», explique-t-il. Tournant son regard vers l’Ukraine, l’archevêque ajoute que «le monde entier aspire à la paix. Ce qui se passe en Russie, en Ukraine, est un scandale. L'humanité est incapable d'aimer la paix, l'humanité est incapable de faire la paix. C'est une catastrophe».
Quant à la prise de pouvoir par les militaires, en Janvier dernier, «ceux qui viennent de prendre le pouvoir par les armes se rendent bien compte que ce n'est pas si simple que cela», observe le cardinal. «Depuis la déstabilisation au Nigeria avec Boko Haram et la Libye etc., c'est toute une chaîne de violence qui ne fait que se pérenniser au détriment des populations innocentes».
Depuis 2015, les attaques terroristes ont fait plus de 2000 morts au Burkina Faso, et contraint 1,8 millions de personnes à quitter leurs villages. Le cardinal Ouédraogo précise par ailleurs qu’en raison de ces violences, plus de 3000 écoles sont actuellement fermées. «C'est une catastrophe pour un pays. Pensez à tous ces enfants, toutes ces femmes et ces familles disloquées», déplore-t-il.
Le prélat burkinabé s’interroge sur les causes de ces violences: «il y a certainement des causes internes et des causes externes. Il faudrait une plus grande synergie et une plus grande prise de conscience de la situation, pour un engagement beaucoup plus déterminé et organisé au plan national, régional et international».
Il s'interroge sur la gestion des très nombreuses armes en circulation dans le pays. «Dans la semaine, on vient de neutraliser presqu'une quarantaine des djihadistes et on a récupéré du matériel. D'où viennent ces armes? Il n'y a aucune usine d'armement dans l'Afrique de l'Ouest à ma connaissance. Ces armes-là ne sont pas fabriquées dans nos villages. Qui donne ces armes et qui finance, qui organise ? Voilà autant de questions qui méritent vraiment réflexion, qu'on trouve des réponses appropriées, et surtout qu'une stratégie puisse être mise en œuvre pour arriver à la paix».
La transition politique, affirme le cardinal, tout comme le retour des civils au pouvoir, sont un processus en cours qui engage tant les autorités militaires que les organisations africaines telles que la Cédéao, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. L’archevêque de Ouagadougou invite ainsi toutes les parties à trouver un consensus qui tiennent compte du bien-être de la population, car «on peut prendre des sanctions au détriment de la junte militaire, mais au fond qui fait les frais de cette affaire ? C'est la population».